Dans Imminences * Bruno Colmant rappelle ces propos de Stefan Zweig : « c’est une loi inéluctable de l’histoire qu’elle défend aux contemporains des grands mouvements qui déterminent leur époque de les reconnaître dans leurs premiers commencements ». Or ce que Zweig disait qu’on ne fait pas, Colmant précisément le fait : il reconnaît ces grands mouvements, et les met en évidence. D’où le titre « imminences ».
Et ce faisant, il fait apparaître que ce n’est pas tant que les contemporains des grands mouvements ne les voient pas, c’est que la grande masse des contemporains refuse d’entendre ceux qui affirment qu’ils voient. C’est aussi ce qu’écrit Antoine Reverchon à propos de la crise des subprimes dans son article « Ils avaient sonné l’alerte en vain… » **, « … quelques économistes avaient prévenu de l’imminence d’une crise. Plutôt que [« Pourquoi personne n’a-t-il rien vu venir ? »] la véritable question est : pourquoi ni la majorité de leurs collègues ni les décideurs ne les ont écoutés ? Car les Cassandre ont abondé ».
Pourquoi la grande masse refuse-t-elle d’écouter ceux qui voient ? Parce qu’elle est faite de moutons, qui désignent de « Cassandre » ceux qui voient, pour pouvoir continuer en paix à brouter, le nez bien enfoncé dans l’herbe. Et à bêler.
Colmant met en exergue de ses billets les vers de quelques vieilles chansons des Beatles, de Pink Floyd, de Paul Simon ou de Supertramp : « Now they’re planning the crime of the century, And they rape the universe… », comme témoignage d’une époque où il semblait qu’un nouveau monde était en construction, plutôt qu’un monde rassis en effondrement : « la fin d’un monde de rentiers d’idées », écrit-il.
Mais Colmant a d’autres auteurs à son répertoire : « William Shakespeare avait écrit dans King John : « So foul a sky clears not without a storm ». Un ciel aussi sombre ne s’éclaircit pas sans une tempête ».
Le ciel sombre, c’est celui où les « réseaux sociaux et les plates-formes de commerce digitales permettent, déjà maintenant, à un algorithme de prévoir nos actes, nos préférences, nos habitudes de consommation, elles-mêmes conditionnées par ces mêmes réseaux sociaux. Ils nous conduiront à la folie ». Le ciel sombre c’est aussi « la guerre de la machine contre l’homme ». Le ciel sombre c’est enfin un monde où le seul choix qui s’offre aux jeunes générations est celui-ci : « Les prophètes ou les profits ? ».
Quant à la tempête qui vient, c’est la guerre : « ceux qui dirigent la planète ne parlent plus de paix, mais d’armement, de murs, d’exclusions, de rejets, de renvois… ».
Est-ce à dire qu’il n’y ait plus rien à faire ? Bien au contraire : « Le temps de la prise de parole est venu ».
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* Bruno Colmant, Imminences, Limal : Anthemis, 2017, 43 pp.
** Antoine Reverchon, « Ils avaient sonné l’alerte en vain… », Le Monde, le 8 juillet 2017
1) On peut utiliser des bombes nucléaires pour stériliser l’entrée d’abris souterrains (au sens galeries bien bouchées, comme au sens…