Billet invité.
Le flux des réfugiés cherchant à rejoindre l’Italie dans des embarcations de fortune a brusquement baissé courant juillet, sans que l’on en comprenne les causes. 4.300 arrivées en Italie ont seulement été dénombrées depuis la mi-juillet, un nombre qui correspond habituellement aux mois creux de l’hiver.
La raison n’est pas à chercher dans l’aide italienne apportée aux garde-côtes libyens, pas plus que dans la création d’une zone de rechercher et de sauvetage (SAR) par la marine libyenne : les deux sont postérieures à la baisse du rythme des départs. C’est à terre et non en mer qu’il faut en chercher les causes.
Les journalistes de Reuters pensent les avoir trouvées et font état sources à l’appui d’une mystérieuse milice, qui se ferait appeler la « 48ème Brigade » et qui bloquerait les départs depuis Sabratha, à 70 kilomètres de Tripoli. De là partait dernièrement la grande majorité des embarcations de réfugiés. Elle regrouperait les forces hétérogènes de quelques centaines de civils, policiers et militaires et aurait été formée par un patron de la mafia locale.
Dans la confusion interne qui règne en Libye, où de multiples milices rivales se disputent les territoires et les profits de la contrebande, tout est possible. Mais un intérêt supérieur doit avoir présidé à la création de cette « brigade » pour que le vent tourne et que soit stoppé le juteux business représenté par l’embarquement des réfugiés. Bloquer les réfugiés serait devenu plus rentable. Mais pour le comprendre, on en est réduit aux hypothèses faute d’information.
Une explication qui ne manque pas de sens repose sur l’intervention des services secrets italiens, qui pourraient être à l’origine de la formation de cette brigade et qui la financeraient. De longue date, ceux-ci sont impliqués dans la protection des installations pétrolières italiennes de l’ENI-Agip en Libye et connaissent bien le terrain. Ils pourraient intervenir en suivant les instructions directes ou indirectes du ministre de l’intérieur, Marco Minniti, qui a pris le dossier des réfugiés en main.
Dès février dernier, il avait réuni les responsables des localités côtières afin de les pousser à entraver l’action des passeurs. Hier, il en a fait de même avec les représentants de celles du sud libyen, avec le même objectif. Avec l’Union européenne qui apporte un dérisoire 90 millions d’euros, l’Italie s’est engagée à apporter des financements en contrepartie de l’arrêt de leur activité, qui contribuerait pour moitié aux revenus de ces régions. Une enveloppe de 200 millions d’euros a été annoncée à la mi-août, dans quelles poches ces fonds finiront-ils ?
Ayant fait la preuve de son efficacité, la brigade en question serait à la recherche d’une reconnaissance officielle du gouvernement d’union nationale de Tripoli et à l’accès aux financements officiels qui pourraient en découler. Mais une explication moins délicate à formuler est avancée par l’agence Frontex, selon laquelle des luttes entre milices rivales perturberaient l’activité des passeurs. En tout état de cause, le mélange des genres est total, un rapport de l’ONU a déjà relevé que des fonctionnaires de l’État et des responsables locaux participent aux activités des passeurs, qui représentent une importante activité économique.
Le blocage qui est actuellement enregistré est-il durable ? Environ un million de réfugiés seraient déjà stationnés en Libye, où dans le meilleur des cas ils vivent dans des conditions de grande précarité quand ils ne sont pas internés, soumis à de très mauvais traitements, voire à l’esclavage, les femmes victimes de violences sexuelles ou réduites également en esclavage. En tentant de reproduire le modèle Turc d’un pays-tampon et de sous-traiter à la Libye la gestion des réfugiés, les autorités européennes en portent l’intégrale responsabilité. Et l’attrait irrésistible de l’Europe ne disparait pas pour autant.
Bien qu’en faible nombre, des départs sont toujours observés par des ONG depuis les navires qui patrouillent encore, cette fois-ci à l’est de Tripoli. Ce ne serait pas la première fois que des réseaux seraient démantelés ici et que d’autres se reconstitueraient ensuite là.
Sans connaître un trafic de même ampleur, des routes alternatives se développent. Celles vers les îles grecques au départ de la Turquie ne sont pas totalement impraticables, d’autres vers l’Espagne au départ du Maroc sont de plus en plus fréquentées. Bien que n’étant pas membre de l’espace Schengen, la Roumanie vient d’enregistrer à deux reprises l’arrivée de réfugiés ayant traversé la mer Noire sur des bateaux de pêche en provenance de Turquie.
Demain après-midi, une « réunion de travail », planifiée pour durer une heure et demi et suivie d’une conférence de presse, réunira autour d’Emmanuel Macron, Angela Merkel, Paolo Gentiloni, Mariano Rajoy, et Frederica Mogherini qui est en charge de la diplomatie européenne. Les présidents du Niger et du Tchad, Mahamadou Issoufou et Idriss Deby, ainsi que le Premier ministre libyen Fayez el-Sarraj, ont été conviés pour y assister.
Un mini-sommet à quatre consacré aux questions européennes était initialement prévu, mais il sera repoussé à après le dîner, la question de « la gestion et du contrôle des flux migratoires » ne pouvant attendre. Toutefois, deux ans après un sommet de La Valette sans grand résultat, que peut-on concrètement attendre de cette rencontre, au-delà des déclarations ronflantes qui ne vont pas manquer ?
Dans l’entourage du président du Niger, on affecte naturellement la coopération, selon les propos rapportés par Reuters : « nous sommes pressés de voir des actions concrètes pour que les candidats à l’immigration aient des alternatives et cessent de rêver à l’Europe. » Mais lorsque l’on en vient aux moyens qui pourraient ramener les réfugiés potentiels au sens des réalités, il n’est pas question de développement mais de « demander des moyens financiers et plus d’appuis sur le volet sécuritaire, ainsi que du matériel. Nous devons installer davantage de casernes, de points de contrôle et de sécurité ».
Et, venant à point nommé, un rapport commandé par Jean-Yves Le Drian, devenu ministre des affaires étrangères après avoir été ministre de la défense, pourrait être présenté. Il porte sur la faisabilité de hotspots en Afrique, dont Emmanuel Macron avait lancé le projet en les présentant comme allant « éviter aux gens de prendre des risques fous alors qu’ils ne sont pas tous éligibles à l’asile ». Pour mémoire, 40% des réfugiés demandant l’asile en Italie l’obtiennent, combien seront-ils dans ce cas si ces hotspots voient le jour ?
La première ligne de défense libyenne étant trop fragile et le sort réservé aux réfugiés difficile à assumer, une deuxième ligne nigérienne et tchadienne aux confins avec la Libye pourra-t-elle prétendre à l’étanchéité ? On peut fortement en douter dans cette région du Sahel en guerre, haut lieu de tout temps du passage des caravanes et de la contrebande. En viendra-t-on à construire un mur, comme il est de plus en plus l’usage ?
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