Billet invité. Judith Ezekiel est une amie de François Leclerc. Ouvert aux commentaires.
La décision d’une ville de Virginie, Charlottesville, d’enlever une statue de Robert E. Lee, général Sudiste de la Guerre de Sécession, a déclenché une tempête. À la mi-août, un rassemblement à Charlottesville pour « unir la droite » a attiré des blancs, quasi exclusivement des hommes, membres du Ku Klux Klan, de partis nazis et de divers autres groupes militants suprémacistes blancs et de l’extrême-droite, baptisée, pour faire moins peur, « l’alt-right ». Les cris nazis de « sang et sol », « les juifs ne nous remplaceront pas », voir même « Sieg heil », se mêlent aux slogans comme « la vie des blancs compte » (« White Lives matter », pour contrer le mouvement « Black Lives Matter »), le tout sous les drapeaux confédérés, américains et nazis dont les porteurs étaient munis de badges et de casquettes pro-Trump. L’un de militants du « pouvoir blanc », a foncé dans une foule et tué une militante antiraciste, Heather Heyer, et blessé de nombreux autres. L’existence de ces groupes n’est pas une découverte, mais leur manifestation explicite, confiante et sans complexes bénéficie du soutien de Donald Trump. Suite aux évènements, Trump a dénoncé la violence de « tous les bords », soulignant le tort des antifascistes, et a proclamé qu’il y avait des « gens très bien » des deux côtés.
Cette statue a une importance symbolique. La Southern Poverty Law Center a dénombré 1.500 monuments confédérés dans tout le pays. Ils n’ont pas été érigés à la fin de la Guerre de Sécession, mais des décennies plus tard en réaction à la Reconstruction (lorsque l’on tenta de redresser les torts faits aux anciens esclaves). Comme l’a été la représentation du Sud en victime noble dans Autant en emporte le vent, afin de justifier les lois de ségrégation rigide, dites « Jim Crow ».
L’une des plus importantes de ces statues a été créée par mon cousin au quatrième degré, Moses Jacob Ezekiel (1844 – 1917), qui fut un des plus importants sculpteurs de son époque. Dans la famille, on était très fier de Moses ; malgré l’antisémitisme qui l’entourait, il a été le premier juif à accéder au prestigieux Virginia Military Institute, et l’un des rares juifs américains de son époque à avoir réussi en tant qu’artiste. L’une de ses sculptures est dédiée à la liberté religieuse et il a réalisé des bustes de Michel-Ange, Da Vinci, Edgar Allan Poe et de son ami Frans Liszt. Après la guerre, il a vécu la plupart du temps en Italie où il fréquentait les grands de son époque. Mais Moses, qui s’est battu du côté du Sud, a également réalisé en 1914 un immense Monument Confédéré de près de 100 mètres de haut pour le cimetière national d’Arlington en Virginie, un éloge des forces Sudistes esclavagistes intitulé « Le Nouveau Sud ». Parmi les trente trois personnages représentés figurent deux noirs qui symbolisent – comme l’écrit la brochure officielle de l’époque – « les rapports bienveillants entre maître et esclave », voire même la collusion de ces derniers dans le maintien de l’esclavage. Cette œuvre se situe pleinement dans le cadre des efforts révisionnistes de l’histoire de l’époque.
Il n’était pas simple d’assumer ce passé familial sudiste et raciste. Car ma famille a vécu une longue série d’oppressions, de l’Inquisition à la Shoah, en passant par les pogroms, et a soutenu les luttes de libération : depuis mon arrière grande-mère suffragette, à mon grand-oncle économiste en faveur du New Deal, incluant également plusieurs syndicalistes, un volontaire dans la guerre d’Espagne, ainsi que mon oncle, signataire de la lettre ci-dessous, militant progressiste qui a longuement étudié les nazis américains et le Klan.
En voyant le défilé de nazis revendiqués et les violences exercées contre les militants antifascistes, j’ai lancé un débat avec mes cousins sur Facebook. C’est ainsi qu’y est née l’idée de demander l’enlèvement du monument de notre cousin. En douze heures, en ligne, nous avons écrit collectivement la lettre ci-dessous. Nous étions 22 à signer (seulement trois ont décliné) de trois générations, âgés de 20 à 90 ans.
Que faire de cette œuvre de Moses ? L’un voulait qu’elle soit détruite. L’intérêt artistique ne pesait pas lourd face au message d’oppression et d’esclavagisme, disait-il. Un autre suggérait de l’entourer de statues d’anciens esclaves, comme Harriet Tubman et Frederic Douglass. Plusieurs souhaitaient la création d’un musée spécifique et pédagogique, où les reliques de l’esclavage et du racisme seraient exposées dans leur contexte. Groupe à la composition assez cosmopolite et comprenant des historiens, nous avons évoqué le sort réservé aux monuments nazis en Allemagne et en Autriche, ainsi qu’à ceux des anciens pays communistes. En fin de compte, nous avons simplement demandé qu’il soit placé dans un musée, sans plus de précisions. Puis, nous avons envoyé notre lettre le mercredi 16 août au Washington Post.
Les temps nous furent favorables : pendant que les Ezekiel débattaient entre eux, des descendants d’importants personnages Sudistes comme Robert E. Lee et Stonewall Jackson déclaraient soutenir l’enlèvement des monuments confédérés. Le lendemain, autre coïncidence, paraissait un article sur le monument de Moses dans le Washington Post, qui a ensuite reproduit notre lettre dans un article paru dans son édition en ligne, puis dans le journal papier.[1] Puis une agence de presse en a fait état et l’article a été repris par les éditions en ligne d’une cinquantaine de journaux à travers le pays, et même à l’étranger.
Nous le savons, avec Trump président, il n’y a aucune chance d’être entendu et de voir déboulonné ce monument ; notre acte est de simplement favoriser une prise de conscience et d’exprimer notre solidarité. Nous essayons de faire face à notre héritage familial et d’utiliser notre nom pour contribuer à la lutte antiraciste et antifasciste en cours.
La lettre :
L’un des mémoriaux des plus importants consacrés à la Confédération est la statue au Cimetière National d’Arlington, présentée au public en 1914. Il a été réalisé par Moses Jacob Ezekiel, un ancien soldat confédéré et sculpteur renommé de son époque. Ezekiel fut membre de notre famille. Comme pour la plupart de ces monuments, celui-ci avait pour but de réécrire l’histoire pour justifier après coup la cause du Sud dans la Guerre de Sécession, ainsi que les lois racistes et segrégationistes mises en place ensuite, dites « Jim Crow ». Il glorifie la lutte en faveur du droit d’être propriétaire d’êtres humains, et, dans sa représentation des Africains-américains, implique leur collusion dans l’esclavage. Même si notre famille est fière de la prouesse artistique de Moses, nous, une vingtaine d’Ezekiels, disons : enlevez cette statue. Retirez-la de sa place d’honneur au Cimetière d’Arlington et mettez-la dans un musée en rendant claire son implication dans l’oppression.
Signé : Judith Ezekiel, Raphael S. Ezekiel, Lewis Ezekiel, Daniel Ezekiel, Joshua Ezekiel, Aaron Ezekiel, Eizo Lang-Ezekiel, Clara Lang-Ezekiel, Tamar Ezekiel Granor, Solomon Granor, Nathaniel Granor, Nathan D. Horowitz, Danah Ezekiel, Luna Ezekiel, Margalete Ezekiel, Rachel Ezekiel-Fishbein, David Ezekiel-Herrara, Joel Fishbein, Bernice Ezekiel Brant, Elaine Ezekiel, Nina Clark, Jasmin Zafra (et d’autres à venir)
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[1] Descendants of Rebel sculptor: Remove Confederate Memorial from Arlington National Cemetery
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