Billet invité. Ouvert aux commentaires.
Comment ? Par quelle perversion les mânes d’un vieil esclavagiste sudiste pourraient-elles être réhabilitées par ce parangon de la contre-culture américaine des sixties, par ce nouveau rêve libertaro-californien de réinventer la société au travers du miraculeux pouvoir émancipateur de la révolution numérique ? Le commandant des armées confédérées durant la guerre de sécession – et accessoirement icône de l’extrême-droite américaine -, était un riche propriétaire sudiste possesseur d’esclaves qui combattait entre autres pour maintenir intacts les privilèges de sa caste.
L’exact inverse – a priori – de la sympathique utopie de rendre les individus libres et autonomes grâce à la fée numérique.
Pourtant il suffit de se livrer au simple exercice des avantages comparatifs de l’esclavage et de la société rêvée par les GAFA (benchmarking en novlangue globish), pour se rendre compte qu’il n’y a pas opposition mais bel et bien continuation, voire révolution ! Révolution dans l’augmentation des bénéfices s’entend.
Admirons en effet les progrès réalisés dans la gestion des ressources humaines depuis l’époque de cette vieille barbe de Lee.
Rendez-vous compte qu’en ces âges obscurs, au tout début de la seconde révolution industrielle, les pauvres possesseurs d’esclaves voyaient leurs revenus scandaleusement obérés par la nécessité de maintenir leur cheptel humain en bonne condition physique pour pouvoir exploiter correctement leur force de travail. Cela incluait de dispendieux frais de bouche et de logement, quand il ne s’agissait pas carrément de frais médicaux (après analyse du rapport coût/profits liés notamment à l’âge et au sexe de l’esclave défectueux).
Heureusement, la foi en un monde meilleur chevillée au corps, des petits génies ont su libérer les propriétaires du capital des chaines de cette tyrannie. Et l’ingénierie sociale permise par la numérisation a finalement débouché sur ce merveilleux concept : l’ubérisation.
Eh oui, c’est maintenant à l’esclave de prendre en charge les frais nécessaires à sa survie. Dans tous les cas, le salaire versé par le maitre pour la location de la force de travail est largement inférieur à ce qu’il aurait dû débourser pour en devenir propriétaire et en assurer la maintenance !
Et le progrès faisant rage, chaque jour s’observe la fulgurante avancée de l’ubérisation des métiers, même de ceux qui furent un temps prestigieux. Les exemples sont légion.
Hier encore, pilote de ligne était un métier qui vous posait son homme, synonyme de salaires aussi élevés que ceux des coûts consentis par les compagnies aériennes pour assurer des qualifications sans cesse plus pointues. Aujourd’hui, dans l’attente d’une dronisation des appareils qui sauront gérer grâce à l’IA embarquée leur environnement de vol – faisant disparaitre au passage les métiers du contrôle aérien -, les pilotes des compagnies low-cost sont devenus l’équivalent de chauffeurs de cars établis en tant qu’auto-entrepreneurs (réduction drastique des cotisations patronales pour les compagnies aériennes), payant quasiment pour avoir le droit de voler et pouvoir remplir le quota d’heures nécessaires aux différentes qualifications, et dormant en mobil-home.
Assurément un grand malheur que ce pauvre général Lee soit né trop tôt. Il se serait sûrement esbaudi devant la perfection qui s’annonce : un monde d’esclaves libres s’auto-exploitant librement !
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