Billet invité. Ouvert aux commentaires.
Après 19 ans de chavisme et 10 ans de crise des subprimes, le Venezuela n’en finit plus d’explorer les impasses politiques et économiques du monétarisme libéral. Le monétarisme libéral est le régime politico-monétaire des États-Unis depuis son émergence comme empire des Amériques au XIXème siècle puis mondial au XXème siècle. Ce régime pose l’autonomie constitutionnelle de l’émission monétaire par le crédit bancaire. Dans la mythologie libérale puritaine, la délibération et d’interprétation de la loi par le pouvoir politique et les agents de la puissance publique ne peut pas et ne doit pas déterminer la politique d’émission des signes monétaires par quoi les banques quantifient leurs crédits à l’économie.
Mythologie libérale de la valeur créée ex nihilo par les banquiers
Concrètement, le monétarisme libéral pose le crédit comme une affaire privée assurée par des capitaux privés. La masse monétaire résultant de l’émission de crédits bancaires ne peut pas être initiée ni limitée par l’État de droit posé comme acteur public institué de la chose publique. Les finalités de la monnaie émise par le crédit bancaire libéral sont exclusivement privées : elles n’entrent pas dans le champ de la république. La monnaie libérale est une matière privée qui accorde au banquier le droit exorbitant de faire exister une valeur sans lui donner de cause intelligible concrètement et publiquement vérifiable : un paiement en monnaie n’exprime que la satisfaction d’un objectif privé dont la légalité et la conformité à un bien commun réel tangible n’ont pas à être établies ni vérifiées par un pouvoir public collectif.
Le monétarisme libéral étatsunien est la norme monétaire mondiale depuis la dérégulation financière qui a sanctionné dans les années 1980 l’abandon de tout étalon international objectif de comptabilité du crédit. Depuis l’abandon en 1971 de l’étalonnage international des monnaies par le prix fixe d’une once d’or, le pouvoir d’achat et de remboursement monétaires des dettes se définit indépendamment de toute légalité nationale ou internationale. Le prix « réel » d’un signe monétaire se définit uniquement par un rapport de force mathématisé sur un marché bancaire nominal entre des opérateurs qui empruntent et qui prêtent le signe.
La force des prêteurs du signe est dans le crédit obligeamment prêté à fournir une contrepartie réelle dans un futur indéterminé. La force des emprunteurs du signe est dans la contrepartie supposée réelle immédiate fournie en contrevaleur du prix revendiqué de quelque chose proposé à la vente. Ainsi le prix réel du dollar, qui est la monnaie réelle de fait au Venezuela, est dans tout ce qui peut s’acheter à des gens qui acceptent de vendre quelque chose contre un paiement en dollar.
L’imbécillité du dollar au Venezuela comme dans le reste du monde est dans la causalité légalement, moralement et réellement invérifiable du prix prêté ou emprunté. L’objet de valeur positive sous-jacent à un prix en dollar n’est pas reconnaissable indépendamment de son prix affirmé par une banque. Le banquier libéral peut décréter le prix d’un crédit dont l’objet n’est pas public, donc invisible.
De fait, un détenteur de dollar en espèces ou sur un compte de dépôt dans un paradis fiscal quelconque, peut au Venezuela tout acheter y compris la conscience et l’arbitrage d’un président, d’un député, d’un fonctionnaire, d’un policier, d’un juge, d’un maire, d’un chef d’entreprise, d’un proxénète ou d’un trafiquant de drogue. Dès son émancipation à la faveur de l’occupation de la métropole espagnole par les Français impériaux en 1808, le Venezuela a été contrôlé par des grands propriétaires et des marchands soucieux de s’enrichir librement par le commerce avec l’Europe.
Le mythe rentable de la rentabilité du capital hors du travail
Le principal motif de l’indépendance progressivement conquise à partir de 1811 fut de même nature que celui des États-Unis d’Amérique issus de l’empire britannique : liberté de commerce avec quiconque sur toute marchandise et franchise fiscale par rapport à la métropole. Dès l’origine, le Venezuela fut gouverné par des coalitions d’intérêts privés de la bourgeoisie des villes antérieurement coloniales. La finalité de la souveraineté vénézuélienne est comme dans toutes les Amériques la liberté économique de la bourgeoisie d’affaire agricole, industrielle et commerciale. Les lois, le gouvernement et la politique sont construits sur les intérêts des propriétaires de tout ce qui peut constituer du capital y compris des esclaves indiens ou importés d’Afrique.
L’ordre monétaire par quoi sont évaluées et réglées les dettes issues des échanges économiques est dans toute l’Amérique, indépendante de l’ordre politique et d’une quelconque souveraineté du peuple, de la nation ou de la socialité politique. Le fondement de la valeur exprimée dans le prix réglable en monnaie n’est pas le droit de la personne qui vend ou qui achète, ni celui de la société politique qui fait le cadre de la transaction et du paiement. La justification du prix et de la dette est dans la seule marchandise supposée vendue par celui qui possède hors de toute responsabilité réelle.
Depuis son indépendance, l’ordre monétaire vénézuélien est fondé sur la propriété du capital et non sur le travail. Les prix sont commandés par l’intérêt du capital plutôt que par les besoins humains défendus par et pour une société politique. Il en résulte que le pouvoir d’achat des monnaies vénézuéliennes jusqu’à aujourd’hui a toujours dépendu du commerce extérieur et du crédit que les possédants veulent bien consentir à la société domestique. La liquidité de l’économie et de l’État vénézuéliens dépendent depuis l’origine de la part des capitaux que les élites possédantes veulent bien rapatrier de l’étranger sur le prix accumulé de leurs ventes au marché mondial.
Le principe juridique fondateur du monétarisme libéral est la libre circulation du capital par dessus les frontières de la souveraineté donc de la responsabilité des États nationaux. En pratique, la circulation du capital est libre quand une banque gérant des dépôts nationaux peut prêter ou emprunter à des étrangers sans permettre à la puissance publique nationale qui garantit les dépôts de contrôler les crédits ou emprunts internationaux qu’ils génèrent. L’intérêt immédiat de la circulation totalement libre du capital est de contourner la loi et l’impôt pour augmenter et accélérer la rentabilité du capital.
Contourner la loi permet de minimiser les droits du travail qui transforme et rentabilise le capital. Contourner l’impôt permet de minimiser le coût des solidarités sociales légales et de cantonner l’investissement public au minimum d’existentialité juridique qui permette la rentabilité exclusive du capital privé. L’État de droit libéral est nominal et pas nécessairement réel : au service du capitalisme privé, il se doit de minimiser l’intérêt général à la reconnaissance légale et politique de tous les besoins humains des citoyens. Le travail est un coût à abaisser le plus possible au profit d’une attribution maximale de valeur ajoutée aux propriétaires du capital.
Les États-Unis se sont imposés dès la fin du XIXème siècle comme le premier client et fournisseur international du Venezuela. En accumulant des dépôts en dollar aux États-Unis, les grands propriétaires vénézuéliens ont importé la philosophie étatsunienne du droit qui minimise la représentation de l’intérêt général par l’État et les officiers publics et maximise l’initiative et les intérêts privés des propriétaires du capital. Jusqu’à l’avènement du chavisme avec l’élection de Hugo Chavez à la présidence en 1998, l’investissement et la dépense de l’État vénézuélien au bénéfice de la société toute entière sont minimaux.
Le Venezuela enlisé dans la guerre des mythes
Le chavisme est une évolution politique socialiste autoritaire de l’État vénézuélien pour redistribuer la rente pétrolière dans l’ensemble de la société vénézuélienne. L’autoritarisme chaviste est à la fois une posture et une réalité dans une histoire politique inspirée par le capitalisme libéral étatsunien. Pour redistribuer la valeur ajoutée par l’intermédiaire d’une puissance publique socialement interventionniste et responsable, les chavistes ont évidemment augmenté la fiscalité sur le capital, donc sur les riches, nationalisé partiellement l’industrie pétrolière, financière et commerciale, et instauré un contrôle légal et fiscal plus serré de la circulation du capital. L’instauration d’un État au service de tous porte évidemment atteinte aux libertés privées de la propriété libérale.
Même si les chavistes en sont venus à se qualifier de socialistes, ils sont restés bon gré mal gré dans un régime politique de démocratie libérale. Ils n’ont pas instauré un régime de démocratie populaire avec un parti unique et une propriété publique généralisée des moyens de production. Nicolas Maduro a été élu avec une très courte majorité et fait face à un parlement majoritairement acquis aux anti-chavistes. La situation actuellement chaotique du Venezuela n’est donc pas typique d’une dictature du prolétariat agonisante par son impéritie économique et politique. Les Vénézuéliens sont au cœur de la contradiction radicale entre la démocratie et le système mondialisé de la libre circulation du capital au-dessus des États de droit.
Le postulat de l’auto-régulation internationale du crédit et de la monnaie par un marché global mondialisé a été anéanti par le krach des subprimes. A l’échelle internationale le crédit interbancaire ne repose plus sur la loi ni sur la confiance des sociétés politiques mais sur des coalitions supra-nationales d’intérêts économiques privés adossées à la super-puissance militaire et monétaire des États-Unis. Par le truchement du « quantitative easing » des banques centrales spécialement de la Fed, la masse monétaire mondiale explose pour dissimuler derrière une dette supranationale non remboursable et non vérifiable par des lois souveraines, une fausse accumulation de capital. Le capital libéral actuel est devenu fictif par l’évasion fiscale totalement libre : construit sur l’anéantissement des États donc de la base publique juridique et morale du capital.
Huitième exportateur mondial de pétrole, le Venezuela est un État et une économie totalement dépendants de la sur-consommation mondiale d’énergie fossile et de la croissance économique artificielle issue du pillage des ressources naturelles. Depuis 2008, l’économie vénézuélienne n’est plus en mesure de financer l’État social chaviste, lequel n’a apporté aucun remède à la liberté de corrompre la responsabilité publique qui découle de l’intégration du Venezuela dans la mondialisation financière libérale.
Un cadastre financier pour fonder la responsabilité du capital et du travail
Pour que l’État vénézuélien soit financé sur toutes ses fonctions essentielles d’instauration de la démocratie, il faudrait que tout les bases vénézuéliennes du capital disponible à la société vénézuélienne soient identifiées dans un cadastre financier distinct et séparé du capital et des intérêts non vénézuéliens. Il faudrait que le crédit en bolivar et la parité internationale de change du bolivar soient exclusivement gagés et indexés sur des actifs détenus et contrôlés par des ressortissants de la loi vénézuélienne ; lesquels soient publiquement assurés par du capital public vénézuélien géré par le pouvoir politique travaillant exclusivement en monnaie vénézuélienne.
Le pouvoir libératoire du bolivar devrait être exclusif à l’intérieur des frontières juridiques et financières du Venezuela : toute monnaie dont les comptes bancaires ne sont pas visibles au juge vénézuélien devrait être sans valeur légale. Aucune dette à l’intérieur de la souveraineté vénézuélienne ne devrait être convertible en monnaie étrangère autrement que par un marché des changes public vérifiable par le pouvoir judiciaire vénézuélien. Aucune banque ne devrait pouvoir comptabiliser une dette ou une créance en droit vénézuélien sans disposer d’un capital en bolivar convertible et fiscalisable sur le marché des changes publics surveillé par le pouvoir judiciaire vénézuélien.
Si le bolivar n’avait de valeur libératoire que par la démocratie vénézuélienne exclusive de tout pouvoir étranger non ressortissant du juge vénézuélien, alors il pourrait se former un équilibre général des prix de tous les biens et services disponibles au bénéfice réel de tout citoyen du Venezuela. Les prix ne seraient plus déterminés par des rapports de force inégaux entre des acteurs soumis à des lois différentes et des intérêts cachés. Les prix seraient publiquement explicables par la contribution explicite en capital et en travail effectifs de toutes les personnes physiques politiquement et socialement impliqués dans la production des biens par une même loi.
Le projet chaviste de mettre l’État et l’ordre social au service de tous les citoyens se révèle antinomique de la globalisation libérale. Si le règlement des dettes internationales est de fait invisible à la fonction judiciaire et régulatrice des États, les intérêts privés anonymes restent libres d’utiliser n’importe quelle monnaie moralement fausse pour corrompre n’importe quelle conscience personnelle. L’économie ne peut pas servir l’humain si les droits de la personne, du citoyen et de la société ne sont pas séparables de la comptabilité matérielle des choses. Autrement dit, le capital ne doit pas pouvoir exister dans un prix en monnaie sans une protection politique et judiciaire préalable de toute personne susceptible de produire et de s’approprier le capital pour vivre et prospérer.
Le système bancaire et monétaire existe qui permet la démocratie et le droit des citoyens au Venezuela et ailleurs ; ce n’est évidemment pas le monétarisme libéral actuel du dollar et de ses dérivés européens. C’est la monnaie keynésienne telle qu’ébauchée puis abandonnée dans la dérégulation libérale : une monnaie émise et garantie par des États souverains mis à égalité de puissance et de pouvoir économique par un marché international public des changes surveillé par des juges internationaux du crédit. Un crédit international gagé par les droits communs mondiaux du citoyen et par des biens et services réels publiquement cotés dans une monnaie de compte qui appartient à tout humain et pas à une oligarchie quelconque dissimulée par le secret bancaire.
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