Billet invité.
Bloquer la seconde grande voie d’accès des réfugiés à l’Europe se révèle un véritable casse-tête. L’application de la dernière en date des mesures destinées à y contribuer, la signature par les ONG d’un code de conduite minorant leur intervention, a eu comme premier effet de créer une grande confusion en Méditerranée.
Après la mise sous séquestre d’un des navires des ONG, un autre a été hier condamné à faire des ronds dans l’eau faute de pouvoir accéder à un port maltais ou italien, bien que son affréteur ait signé le code de conduite. L’intervention d’un troisième, dont les affréteurs SOS Méditerranée et MSF ne l’ont pas signé, a été demandée par le centre opérationnel des garde-côtes avant d’être annulée au profit d’un garde-côte italien, et un quatrième a été agressé par un garde-côte libyen qui a tiré en l’air. Enfin, pour dresser l’ensemble du tableau, le navire anti-réfugiés affrété par l’extrême-droite est arrivé au large de la Libye après avoir été empêché de se ravitailler en Tunisie par les syndicats de marins.
Élaboré par le gouvernement italien, le code de conduite a été dans la foulée entériné par la Commission, puis soutenu par l’émissaire de l’ONU pour la Libye. Mais en dépit de ces éminents soutiens il n’est à notre connaissance toujours signé que par trois des neuf ONG qui interviennent au large des côtes libyennes. Deux de ses dispositions sont réfutées par ceux qui s’y refusent ou ne les ont pas rejoints : la venue à bord de policiers armés et l’obligation de coopérer avec eux, au prétexte de lutter contre les passeurs, ainsi que l’interdiction de transborder des réfugiés d’un navire à l’autre, avec pour effet de restreindre la présence des navires de secours au large des côtes libyennes.
Mais rien ne s’est révélé simple quand il a fallu passer à l’acte. Des divergences sont immédiatement apparues entre ministres italiens, dont le gouvernement est prié par ses homologues européens de se débrouiller tout seul. Celui de l’intérieur a rejeté toute collaboration avec les ONG non signataires, tandis que celui des transports – dont dépendent les garde-côtes – a été moins catégorique : « J’ai donné consigne aux garde-côtes de faire appel principalement aux ONG qui se montrent coopératives. Mais si un navire d’ONG se trouve près de gens à secourir, même s’il n’a pas signé le code de conduite, il faut l’appeler ». Cette importante nuance a comme origine que certaines dispositions du code de conduite sont jugées incompatibles avec les règles du sauvetage en mer, ce qui a été déjà relevé au sein du parlement allemand, le Bundestag.
Intercepter les réfugiés alors qu’ils sont encore dans les eaux libyennes posera d’autres problèmes. Non seulement parce que l’intervention de garde-côtes italiens dans les eaux libyennes est source de désaccords entre les deux factions qui s’affrontent pour le pouvoir, mais parce que cela revient à refouler les réfugiés dans les sordides camps libyens, où beaucoup sont soumis au travail forcé, aux extorsions, aux abus sexuels et à la torture. Or, le code maritime réclame que les naufragés soient débarqués dans des ports « sûrs ».
Il faut avoir la foi du charbonnier ou chercher à se dédouaner pour déclarer, comme l’a fait le ministre italien des Affaires étrangères Angelino Alfano, que « nous devons investir massivement dans une opération humanitaire internationale et multilatérale pour nous assurer que ces camps respectent des critères acceptables en termes de droits de l’Homme et d’autres aspects ».
Il a fallu négocier avec l’autocrate qui règne sur la Turquie pour bloquer la route des Balkans, à quel autre abandon moral va-t-il falloir se résigner pour tenter, sans garantie de succès, de bloquer la voie de la Méditerranée afin de ne pas partager l’accueil de ceux qui désespérément cherchent refuge ?
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