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Invités : Jean-Éric Hyafil, membre du Mouvement pour un revenu de base, Marie-Aleth Grard représentante d’ATD Quart Monde, Mickaël Mangot, directeur général de l’Institut de l’économie du bonheur, et Paul Jorion.
Introduction du sujet : il s’agit de mesures, parfois prônées par la gauche et par la droite, qui ne poursuivent pas les mêmes objectifs : la droite voudrait une « simplification » du système des allocations sociales, visant notamment à lutter contre la bureaucratisation ; la gauche voudrait principalement un moyen de lutte contre les inégalités et la pauvreté. À ce sujet, le présentateur évoque que certains à gauche voudraient mettre fin au fameux principe de « tout travail mérite salaire » (sic).
Le principe d’un « revenu annuel de base » a été évoqué historiquement en 1967 dans un discours prononcé par Martin Luther King, comme un moyen de lutte contre la pauvreté, touchant notamment des catégories les plus défavorisées aux US, en particulier la population noire.
Pour ATD Quart Monde, il s’agit avant tout de poursuivre un objectif de dignité humaine et de lutte contre la pauvreté. Sa représentante rappelle les chiffres en France : 2,5 millions de personnes en situation de très grande pauvreté, soit percevant un revenu mensuel inférieur à 500 euros par mois; et 9 millions de personnes en-dessous du seuil de pauvreté, soit avec un revenu inférieur à environ 900 euros par mois.
Paul Jorion propose lui une voie différente qui est celle de promouvoir la gratuité des services indispensables pour vivre décemment : nourriture, transport, soins, éducation, connectivité. Il pense qu’allouer des sommes aux personnes dans le besoin risque d’exposer à la prédation de la finance et de détourner cette aide.
Lors de sa campagne, Benoît Hamon avait d’abord évoqué le principe d’un revenu garanti, par l’allocation d’un chèque pour tous, quel que soit son revenu, estimé à environ 500 euros par mois. Le coût de cette allocation, soit 50 millions de personnes majeures multiplié par ce montant, représenterait donc un budget de 600 milliards d’euros par an pour l’Etat. Mais ce montant serait compensé par une fiscalité modifiée, notamment par ceux percevant les revenus les plus importants.
ATD Quart Monde prône en quelque sorte une augmentation du revenu de solidarité active (RSA) à hauteur de 750 à 800 euros par mois (le RSA est d’environ 537 euros par mois aujourd’hui pour une personne seule), estimant qu’il s’agit d’un minimum pour permettre de vivre dignement en France.
ATD Quart Monde rappelle qu’en l’état actuel, 35% des ayant droit du RSA n’en font pas la demande, car le système est trop compliqué.
Le principe d’un revenu universel est celui d’une allocation d’un revenu de base égal pour tout le monde quel que soit son revenu. Il pose en effet les questions de (i) son montant, (ii) son financement, (iii) ce qu’il remplace. Il n’est concevable qu’assorti d’une réforme fiscale, nécessaire à son financement.
Une réforme du système actuel est fortement justifiée par la complexité administrative, la bureaucratisation et l’effet d’empilement des mesures (RSA, APL, Prime d’Activité, allocations familiales, etc.).
Le risque d’un revenu de base garanti est de créer une « trappe à inactivité », selon le principe que jusqu’à un certain seuil il serait plus avantageux pour une personne de ne pas travailler étant assuré d’un revenu de subsistance, que de travailler pour un salaire fournissant un revenu un peu près équivalent.
La proposition de Benoît Hamon au cours de la campagne a évolué vers une sorte de « super RSA », pouvant notamment bénéficier aux jeunes.
PJ prône donc un système de gratuité, sous-jacent à un système de redistribution de l’ensemble de la richesse créée. Par là, il s’agit de rétablir et de prolonger ce qui existe déjà partiellement dans les secteurs de la santé et de l’éducation, en l’étendant à d’autres services de base. Les paroles de Robespierre ont été rappelées à ce sujet. PJ associe une telle mesure à celle de la mise en place d’une « taxe robot », compte tenu des prévisions actuelles de l’évolution du travail et de sa raréfaction.
ATD Quart Monde fait savoir que sa proposition ne devrait surtout pas se substituer aux autres systèmes d’aide que sont les aides au logement ou les allocations familiales notamment, et prône son expérimentation.
Un intervenant fait savoir qu’une enquête avait fait ressortir la « dimension statutaire » du « niveau de bonheur ». Entre une personne inactive et une autre ayant un emploi précaire, le second ressent un « niveau de bonheur » nettement supérieur. Sur une échelle de 1 à 10, le niveau de bonheur moyen en France est d’environ 6,5. Cet indice du bonheur ressenti diminue par exemple quand des gens vivent dans une zone où se trouvent à proximité des voitures de luxes : cela crée des sentiments de frustration et diminue l’indice de bonheur ressenti par les gens.
PJ attire l’attention sur le fait que procéder à une allocation de base à des effets économiques induits, d’alignement des prix en conséquence. Il cite un cas observé dans le secteur de la pêche, où le fait d’avoir établi un prix-plancher pour les captures lorsque les pêcheurs n’ont pas pu les écouler, a eu pour effet immédiat un alignement du prix de chacune des espèces avec son prix-plancher.
A noter que les propositions de Benoît Hamon lors de la campagne électorale ont été « torpillées » par d’autres membres du PS, les considérant comme irréalistes.
Le risque est de créer un système à plusieurs vitesses.
Une question se pose également de la manière de gérer un tel dispositif, et d’un risque de bureaucratisation étatique.
PJ est un défenseur de l’Etat-providence. Il pense en effet qu’il faut envisager ces questions dans le long terme, avec l’amplification de la robotisation au sens large. Il ne pense pas que des mesures telles que celle de la diminution de la durée hebdomadaire du temps de travail soient à la hauteur des enjeux. Il donne en exemple le cas de la société Snapchat qui avait généré 8 milliards de dollars de CA avec seulement 250 emplois créés.
Un autre intervenant évoque le fait que l’institution d’un revenu universel est susceptible de permettre aux personnes de refuser un emploi indigne, et de contrer une certaine tendance du marché du travail de ce que l’anthropologue David Graeber appelle les « bullshit jobs ».
Un autre intervenant fait savoir que ces nouveaux enjeux vont nécessiter des politiques d’accompagnement et de formation. Il note également que se présente actuellement un enjeu démographique du départ à la retraite des « babyboomers », qui menace l’équilibre financier du système social dans sa forme actuelle. Dans ce contexte, il s’agit de maintenir un taux d’emploi élevé. Il indique qu’un test dans le passé (dans le Manitoba au Canada), allant dans le sens d’un revenu universel, aurait eu pour effet de baisser le taux d’emploi en diminuant l’incitation au travail.
ATD Quart Monde insiste sur l’enjeu prioritaire de lutte contre la pauvreté et de la précarisation croissante, qui fait, en particulier, qu’une personne dans une telle situation est dans l’incapacité de faire des prévisions pour le lendemain. C’est le cas par exemple, de plus en plus de personnes en situation de chômage longue durée.
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