Retranscription de Le temps qu’il fait le 28 juillet 2017. Merci à Marianne Oppitz et Olivier Brouwer ! Ouvert aux commentaires.
Bonjour, nous sommes le vendredi 28 juillet 2017 et hier, j’ai reçu un long message d’un participant au Blog, qui fait des billets sur le blog, et qui participe aussi à l’activité du groupe plus restreint qui s’appelle : « Les Amis du Blog de Paul Jorion ». Il m’envoyait un portrait de la situation de mon blog, des « Amis du Blog de Paul Jorion » et, d’une manière plus générale aussi, de la situation dans les pays où on lit, où on écoute essentiellement le Blog de Paul Jorion, c’est-à-dire dans les pays francophones : en France, en Belgique, en Suisse, au Québec et dans d’autres endroits. Cela me fait plaisir de voir de temps en temps, qu’on me regarde en Chine, qu’on me regarde en Amérique Latine, qu’est-ce que j’ai encore vu l’autre jour ? La Turquie, le Canada et ainsi de suite. Mais le Canada, je l’ai mentionné, c’est le Québec où on écoute depuis longtemps ce qui se dit ici.
Et, le portrait qui était dressé par cette personne, que j’encourageais d’ailleurs à modifier légèrement son billet, pour enlever des éléments trop personnels, je l’ai encouragé à le mettre sous une forme qui permettrait de le mettre sur le Blog, mais il ne l’a pas fait, je ne sais pas, il attend. Ou bien il travaille, ou bien il pense que ce n’est pas une bonne idée. Mais le portrait qu’il dressait mérite d’être résumé par une expression : « un champ couvert de morts sur qui tombait la nuit ». Il faisait le bilan du fait qu’il pourrait sembler, il pourrait sembler que le blog de Paul Jorion a échoué dans ce qu’il a essayé de faire, que ce petit groupe qui avait été extrêmement actif des « Amis du Blog de Paul Jorion » est tombé dans ce qu’on appelle – ou dans ce qu’on appelait – en psychiatrie, une « stupeur catatonique », c’est-à-dire, c’est le silence, le silence de gens que je crois dans un désarroi, de gens qui se demandent si ça vaut encore la peine de faire quelque chose, qui réfléchissent, qui ont été sonnés par la campagne en France, qui sont peut-être sonnés par la situation politique en Belgique.
Et si je voulais vous parler de ça, c’est parce qu’il y a un paradoxe. Le paradoxe, c’est que j’ai le sentiment, moi, personnellement, de n’avoir jamais aussi bien su ce que j’avais envie de faire. Oui, je vous pose des questions en vous demandant s’il faut adopter telle ou telle position – j’en reparlerai peut-être pour terminer – mais j’ai de la chance, j’ai de la chance. Vous savez que j’ai une conception extrêmement psychanalytique de l’être humain et j’ai le sentiment que pas plus que les autres, nous ne savons qui nous sommes si nous ne prenons pas le temps de nous regarder – les vidéos offrent la possibilité de le faire – de nous écouter, de relire ce que nous avons pu écrire. Et, vous savez, ce paradoxe dont je vous ai déjà souvent parlé, c’est qu’on peut avoir le sentiment – je ne suis pas le seul – d’apprendre quelque chose en lisant quelque chose qu’on a écrit, ce qui est très paradoxal puisqu’on l’a écrit. Mais comme vous le savez, nous sommes… Il y a une scission au milieu de nous. Nous sommes clivés, nous n’avons pas, comme sujet, un accès absolu à la personne que nous sommes. Nous avons cette petite lucarne, cette petite fenêtre que nous appelons la conscience mais elle ne nous permet que de jeter un regard, voilà, c’est plutôt comme une meurtrière ou comme un « regard », comme on dit, une fenêtre très étroite qui ne permet pas – pas plus qu’à d’autres – de comprendre qui nous sommes.
Et là, les aléas de l’histoire (mais de l’histoire avec un petit « h »), les événements font que parfois on est dans une meilleure position qu’à d’autres moments. Et là, j’ai la chance d’être dans une bonne position parce que sur une période d’un an, vont paraître ou ont déjà paru quatre ouvrages de ma plume, et dont l’initiative n’est pas nécessairement la mienne, ce qui est encore plus intéressant. Quand on vous demande de faire quelque chose, quand on vous demande de faire quelque chose, c’est parce qu’on reconnaît que vous avez un certain talent, une certaine capacité à faire quelque chose qui n’est peut-être pas ce que vous imaginez. Ça a été fort l’histoire de ma vie, qu’on me demande de faire des choses – et que je les fasse très correctement – mais qui n’étaient pas du tout ce que je voyais comme étant « ma vocation », comme on dit. Et là, ces quatre ouvrages, c’est, voilà ! Il y en a un qui est déjà paru officiellement, au mois de mars et qui s’appelle Se débarrasser du capitalisme est une question de survie. Je vous l’ai dit, le titre n’est pas de moi, le titre est d’une personne qui m’a interviewé, dont l’interview se trouve dans ce volume [Anthony Laurent]. Et sinon, c’est un ensemble de chroniques que j’ai écrites sur une dizaine d’années et en les relisant, j’ai trouvé un certain sens que je n’avais peut-être pas trouvé au moment même ou j’écrivais ces papiers, mais tout ça se mettait ensemble. Et de voir ça, sur dix ans, il y avait effectivement ce sens qui apparaissait et qui a très bien été résumé par cette phrase : « se débarrasser du capitalisme est une question de survie ».
Alors, il y a un autre ouvrage et ça, cet ouvrage est le fruit d’une longue discussion, sur de nombreuses années, avec Jean-Pascal Labille et Michel Jadot, en Belgique. Ce sont les représentants, je ne crois pas que je les offenserais en disant qu’ils représentent un courant de gauche à l’intérieur d’un mouvement qui s’appelle « le mouvement socialiste » et qui est un…. Le socialisme est un mot que plus personne n’ose utiliser, ni Monsieur Macron, ni Monsieur Mélenchon. Je ne l’ai pas vu beaucoup non plus chez Monsieur Hamon et voilà, je suis un des derniers à utiliser ce mot parce que je crois que c’est un mot qui est encore plein de promesses. On n’a pas… Voilà, ceux qui s’en sont prévalus ne savaient pas de quoi ils parlaient ou oubliaient de quoi ils parlaient. C’est une idée neuve ! C’est une idée neuve du début du 19è siècle mais qui n’a encore jamais été mise en application. Le moment est venu. Oui, ce sont essentiellement des gens que Marx et Engels ont appelé des « socialistes utopiques », mais c’était un terme de dérision parce que eux étaient en faveur d’un socialisme de type autoritaire dont j’ai le sentiment qu’il a été mis en application en Union Soviétique et dans quelques autres pays. Je n’ai pas le sentiment, moi, je vous l’ai souvent dit, que Marx et Engels aient été trahis dans le communisme soviétique, j’ai l’impression que c’est cela qu’ils voulaient. Ce n’est pas du tout ça que moi je veux personnellement et il y a d’autres personnes qui se prévalent du « socialisme » : de ce mot-là.
Alors, premier ouvrage : Se débarrasser du capitalisme est une question de survie, le deuxième : Vers un nouveau monde qui est ce manifeste pour un socialisme « moderne », « de maintenant », « de progrès ». Bien entendu tous ces mots, « moderne », « progrès », ont été mis à toutes les sauces et on n’ose même plus, presque, les utiliser – ni même « socialisme ». Tout ça, si, ce sont des choses qu’il faut faire. Tout ça, c’est dans l’esprit des révolutions : les réussies, les ratées, etc. Des choses qu’il faudrait, des choses qu’il faut absolument faire. Un « manifeste pour un socialisme de demain » dont j’espère qu’on aura l’occasion, eh bien, de le mettre en pratique en Belgique en particulier. Pourquoi en Belgique ? Mais parce que c’est là qu’on m’a demandé de le faire et c’est là que je l’ai fait très volontiers. Et c’est là que, si on me demandait de faire des choses, en tant que citoyen, c’est le seul pays où j’ai la capacité de le faire parce que c’est la seule nationalité que j’ai, qui est d’être Belge. Et puis, j’ai beaucoup apprécié quand on m’a demandé, c’était… eh bien c’était il y a deux ans, quand on m’a demandé de participer à ce Comité pour l’avenir du secteur financier en Belgique eh bien, j’ai été très honoré. Je l’ai fait avec beaucoup de plaisir et j’ai eu le sentiment qu’il y avait des choses à faire et que je pouvais – je vous l’ai dit à l’époque – que je pouvais convaincre les interlocuteurs devant moi, de faire les choses dans le sens que je vois.
Le troisième ouvrage, c’est un ouvrage dont je ne vous ai absolument pas encore parlé, qui s’appelle : À quoi bon encore penser à l’heure du grand collapse ? Un très beau titre mis au point par Sandrine Palussière chez Fayard. Voilà, je vous le répète : « À quoi bon encore penser à l’heure du grand collapse ? ». C’est un ouvrage qui dérive… qui a été conçu à partir de ces interviews qu’ont voulu faire de moi Frank Cormerais et Jacques Athanase Gilbert. Franck Cormerais est professeur à Bordeaux et Jacques Athanase Gilbert, professeur à Nantes. Des membres de « Ars Industrialis », des gens proche de Stiegler qui ont voulu m’interroger, vous avez dû voir ça sur le blog aussi. Et c’est une sorte de parcours intellectuel qui m’a permis, là, de comprendre, de comprendre non pas ce que j’avais écrit comme dans le cas du premier ouvrage dont je viens de parler, mais de comprendre ce que j’avais peut-être essayé de faire dans une carrière intellectuelle. Tout ça a l’air de s’articuler. Tout ça a l’air d’aller ensemble. Ma réflexion sur la guerre civile numérique, ça fait corps avec la réflexion que j’avais pu faire en intelligence artificielle. Ce que j’ai pu comprendre de travailler dans la soute, dans la salle des machines des banques où on m’a demandé de venir travailler. De ce que j’ai compris dans mon parcours d’anthropologue et, là aussi, c’est un ouvrage qui est salutaire pour moi parce que j’ai compris les éléments que j’ai pu rassembler. Et là aussi ça fait sens. Ça fait sens : tout ça va bien ensemble.
Et ensuite, il y a l’ouvrage que je suis en train de terminer. Vous en voyez des bribes sur le blog parce que je les publie. Des réflexions sur le transhumanisme, des réflexions sur la théologie, des réflexions sur « où en est-on ? », « qu’est-ce qu’on peut faire dans un monde comme le nôtre ? ». Et là où m’a conduit de lire récemment la pensée de ce théologien qui s’appelle Jacob Taubes, un théologien qui ne tombe pas du tout dans le moule (rires), ne vous attendez pas à trouver quelqu’un qui ne sort pas de sa tour d’ivoire et qui réfléchit en théologien. Non, il a fait de la théologie, je dirais, d’une manière qui vous encourage, qui encourage tout le monde à en faire, c’est-à-dire à mettre ensemble tous les éléments de notre culture et d’essayer de voir comment ça se goupille ensemble. Et là, tout ça aboutit à cette conclusion que je vous ai soumise, d’ailleurs, la semaine dernière : on peut aussi bien, à l’intérieur de notre culture… Et là, je ne parle pas de la Chine parce que la Chine, c’est un autre truc et là aussi, j’essaye de la comprendre et là aussi, pour moi, c’est un élément important d’information, [ce fait] qui est que mon livre qui s’appelle : Le dernier qui s’en va éteint la lumière, que les Chinois ont voulu le traduire et que voilà, ça va paraître bientôt. Je ne sais pas comment ça va être reçu, je n’en ai absolument pas la moindre idée, mais le fait que les Chinois aient envie de lire ce livre m’a encouragé à terminer celui que je suis en train d’écrire depuis un an, un an et demi, et qui s’appellera : Qui étions-nous ? Qui est un ouvrage qui est dans la suite de ce Le dernier qui s’en va éteint la lumière, une réflexion sur ce qu’il est encore possible de faire. Qu’est-ce que nous avons compris en tant que genre humain et est-ce que nous avons les éléments, là, d’une survie possible de nous-mêmes, à la surface de notre planète ?
Pour moi, la réponse n’est absolument pas évidente, et c’est ça qui me distingue évidemment des théologiens. Quand un théologien me dit : « On peut soit tomber dans une pensée, dans notre culture occidentale, tomber dans une pensée de l’éternel recommencement (nous ne sommes jamais que dans des reconfigurations, des recombinaisons de choses qui ont déjà eu lieu, qui auront encore lieu), on peut aussi se dire – parce qu’à l’intérieur d’une culture comme la nôtre, c’est un raisonnement sur lequel on tombe nécessairement – que les choses vont à la catastrophe et qu’il y a peut-être quelque chose à faire et que peut-être même après la catastrophe, on se retrouvera dans une situation où on aura sauvé le monde, d’une certaine manière : il y aura une rédemption (il y aura d’abord une Apocalypse, c’est-à-dire une révélation de la catastrophe qui se prépare) et des « lendemains qui chantent », le Royaume de Dieu sur terre, etc. etc. », on peut aussi arriver à une troisième conclusion : non pas qu’il y ait l’éternel retour, non pas qu’il y ait justement des catastrophes suivies de renaissances mais il peut y avoir – et ça c’est l’aboutissement de ma propre pensée – il peut y avoir des catastrophes. Il peut y avoir des catastrophes qui ne sont pas suivies d’une renaissance, qui ne sont pas suivies d’une rédemption. C’est pour ça qu’il faut faire quelque chose. Et là, voilà, c’est ce que je disais, j’ai cette chance, en se contentant de faire comme d’autres peuvent faire, c’est-à-dire de lire ces quatre ouvrages qui sont parus ou qui vont paraître, je crois qu’il y a du sens qui apparaît, qu’il y a un sens qui est visible aussi par d’autres. Et c’est un sens, à mon avis, qui peut sortir, peut-être, les gens de la catatonie, du découragement, de la même manière que hier, voilà, que hier je me suis réjoui, je me suis réjoui de voir, dans le journal : « Nationalisation des chantiers de Saint-Nazaire ». Ça, c’est la chose qu’il faut faire.
Vous avez dû voir que dans le discours qui avait été tenu par Monsieur Macron, le long discours, je ne me souviens plus de la date, c’était quoi ? Le 3 [juillet], j’avais été particulièrement irrité par ce terme de « girondisme », non pas que la Gironde ne soit pas un beau pays, mais l’esprit du girondisme, c’est l’esprit, voilà, du retour en arrière, de la contre-révolution, de la restauration, de ne pas aller jusqu’au bout de son projet. Et là, ça m’avait irrité particulièrement, et quand j’ai vu… C’est le mot qui m’est venu tout de suite : « jacobinisme », jacobinisme ! Voilà, c’est le contraire, c’est au moins une des choses dans lesquelles je crois, comme moyen, comme moyen vers certaines fins. Quand j’ai vu que tout le monde a utilisé ce terme de jacobinisme, j’ai été, voilà, j’ai été un petit peu soulagé. Pourquoi ? Parce que ce désarroi, cette paralysie, cette catatonie, elle est aussi, elle est aussi [la réalité de] ce gouvernement, de ce nouveau régime que Monsieur Macron essaye d’incarner dans le bon sens. Mais c’est aussi, là aussi, il faut bien le dire, cette campagne électorale en France, récente, des élections présidentielles puis des législatives, on peut aussi le résumer comme « un grand champ couvert de morts sur qui tombait la nuit ». Et on le voit, d’ailleurs, dans les dissensions qui apparaissent aussitôt. Ce n’est pas en rassemblant une armée d’éclopés, pour appeler les choses par leur nom, qu’il y a nécessairement un grand souffle qui se lève. Mais, mais il y a la possibilité de faire autre chose. Il y a la possibilité de ne pas tomber dans l’ornière tragique de la Hongrie et de la Pologne pour le moment, les nationalismes de droite, le populisme dans son plus mauvais sens, le plus mauvais sens du terme, prenant le pouvoir.
Alors, voilà : on est à la fin du mois de juillet, mais j’ai le sentiment qu’une renaissance est possible. Non pas sur des illusions, non pas sur des croyances de type théologique, non pas sur des mythes comme les fils dévorant le père et puis étant coupables à l’infini de ça, tout ça c’est de la mythologie ! Il faut séparer la mythologie de ce qui s’est vraiment passé, de ce qu’on peut vraiment tirer de ce genre humain, de quoi il est capable. Il faut… c’est le mot que j’avais utilisé, c’est peut-être le grand mot de ce livre Le dernier qui s’en va éteint la lumière, lucidité, appelons à la lucidité ! Et la lucidité, c’est que le genre humain, voilà, c’est un mélange de tas de trucs : c’est l’horreur absolue, c’est le bonheur absolu, c’est la beauté et c’est la laideur. Ce sont ces [représentations] de Dieu qui sont apparues dans notre tête mais aussi ces représentations du diable et de Satan, c’est tout ça, c’est tout ça. C’est ce spectacle d’une espèce animale, douée, avec un talent spécial, un talent de la technologie et qui aime inventer des choses, ce qui lui permettra peut-être d’échapper à la planète qu’il aura complètement détruite… Euh… Ce n’est vraiment pas le scénario que j’espère. J’espère qu’on pourra garder cette planète, qu’on pourra la rendre vivable, qu’on pourra en faire le paradis sur terre que ça pourrait être et sans nécessairement l’immortalité. L’immortalité je crois que c’est une idée qui nous est nécessaire comme jambe de bois, parce que, voilà… de la même manière que l’idée que l’on puisse mourir un jour, peut être considéré par nous comme une manière de… voilà… un salut en soi : qu’au moins ça s’arrête ! Mais l’immortalité peut aussi apparaître comme la possibilité d’exorciser cette grande terreur qui est la nôtre à partir du moment où nous avons compris que nous allions mourir un jour.
Il faut que nous comprenions le monde où nous sommes. Il faut que nous comprenions sa capacité à être un enfer mais aussi sa capacité à être un paradis et que nous sortions de la gangue la capacité d’en faire un paradis. Et là ! Le temps presse (rires) ! Le temps presse, c’est le nom qui a été donné à ce recueil d’articles de Jacob Taubes que je vous encourage véritablement à lire. Le temps presse parce que la catastrophe, elle est là : sans Révélation, sans Apocalypse, sans « lendemains qui chantent » automatiquement derrière, sans Royaume de Dieu. Dieu à mon sens ne descendra pas sur terre. Nous savons ce qu’il y a dans le ciel maintenant, grâce à la physique moderne, grâce à l’astronomie. Le Royaume de Dieu n’est pas là quelque part. Si nous voulons le Royaume de Dieu, il faut que nous le fassions nous-mêmes avec nos propres moyens. Et nous avons le talent pour le faire. Nous avons aussi, voilà… cette dimension satanique en nous-mêmes. Nous avons le sadisme, le plaisir de faire souffrir, le plaisir d’en jeter plein la vue, de montrer aux autres qu’on n’est pas un con, etc.
Nous avons la capacité de saboter ça et nous l’utilisons tous les jours et, malheureusement, nous sommes victimes d’un complot : de ce complot ultra-libéral qui est une forme – je ne crois pas que Satan existe – mais qui est une forme de satanisme en soi. C’est vraiment de mettre en avant le pire, le pire à l’intérieur de l’homme et de vouloir en faire un idéal. Et on ne répétera jamais assez que des gens comme von Hayek, von Mises, ce Buchanan dont on parle ces jours-ci parce qu’on comprend mieux à quel point ce type était lié comme tous les gens – pas von Mises – mais si on ajoute Friedman, des « prix Nobel [d’économie] », tous des personnes qui ont voulu aller conseiller Pinochet, c’est dire le genre d’ordures dont on parle. Il y a des gens qui m’écrivent et qui ont une bonne opinion d’Hayek. Mais bon, Messieurs, Dames ! oui, si vous croyez à Satan, c’est Satan ! Voilà, c’est ce qu’on peut faire de pire au genre humain, de se conduire comme des gens comme ça. On ne lui a pas demandé d’aller conseiller Pinochet. Ça lui est venu tout seul. Alors, ne me citez pas ce bonhomme en exemple. Ne me dites pas qu’il a réfuté Keynes. Non, c’est une crapule, c’est une ordure. Il n’y a rien de ce qu’il a pu dire qui n’ait pas été calculé, qui n’était pas en vue d’établir la différence entre les êtres humains. Et comment ? Sur la base du Veau d’or, sur la capacité des gens à faire de l’argent ! À dire voilà : « quelqu’un qui mérite de vivre et de survivre et de vivre bien, c’est quelqu’un qui a pu le montrer en faisant de l’argent ». Il n’y a pas de moyen plus dévoyé de comprendre ce qu’a pu être le genre humain ! Il faut lire les gens qui ont compris au fil des années ce qui s’est passé : les Socrate, les Aristote, les Machiavel, les Shakespeare et les Victor Hugo, les saint Paul. Les gens, voilà, qui ont réfléchi à ce qu’on était et dont j’essaye de mettre l’image ensemble pour que nous puissions tirer des conséquences des leçons de ce qu’ils ont appris, chacun à sa manière et en tirant la quintessence : en essayant d’en tirer la quintessence. Voilà, ça c’est le programme de ce livre qui s’appelle : Qui étions-nous ?
J’ai l’impression d’avoir parlé plus longtemps que d’habitude, mais c’est parce que j’avais envie de dire quelque chose : c’est ce contraste entre le sentiment d’avoir l’idée de savoir où il faut aller maintenant, ce contraste entre ça et le désarroi que je vois autour de moi, tout près ! Sur ce blog de Paul Jorion, dans ces « Amis du blog de Paul Jorion » qui sont tombés dans un mutisme absolu. Non, non, je crois qu’il y a moyen, je crois qu’il y a moyen de savoir ce qu’il faut faire. C’est pour ça que cette réflexion est si importante, que je fais en ce moment sur le transhumanisme. Parce que le transhumanisme, il n’y a pas grand-chose à en garder mais il y a au moins, il y a un projet, il y a un projet. C’est un projet, là aussi, qui est assez dévoyé, mais il faut voir ce qui est valable là-dedans et ce qui ne l’est pas. Ce qui fait toujours partie de ce grand objet de l’anthropologie, de faire disparaître la superstition, parce que la superstition, c’est exactement le contraire de la lucidité. Mais aussi ce qui sont des illusions de type scientiste ou autre, qui sont du recyclage aussi de la pensée apocalyptique qu’on trouve chez les transhumanistes, et ainsi de suite. Il faut trier le bon grain de l’ivraie. Mais il y a du bon grain, il y a du bon grain aussi et c’est ce que je vais essayer de faire dans Qui étions-nous ?
Alors, je crois que le moment est véritablement venu de retrousser ses manches et de faire des choses. Parce que, dans des périodes de grand désarroi, eh bien, il y a quand même une chose qu’on apprend quand on regarde l’histoire. Ce sont des périodes de plus grande liberté. Ce sont des périodes où, si on a une idée, si on veut la réaliser, elle est beaucoup plus simple à mettre en œuvre. Parce que si elle est bonne, il y a des gens qui viendront avec vous. Parce qu’il y a des choses à changer, il y a d’autres gens qui veulent les changer. Alors, j’espère que ma… j’allais dire le mot « certitude », ce n’est pas une certitude. Ce n’est pas une certitude du tout puisque je vous dis, c’est en me lisant moi-même que je trouve peut-être ce qui [s’y trouve], mais il y a la possibilité dans ce monde, non pas de trouver du sens, mais d’en mettre. Et le moment est venu d’en mettre. Nous avons – la boîte à outils est là ! – nous avons les éléments pour comprendre. Ce sont des gens comme, voilà : Machiavel, Shakespeare, Victor Hugo, il y en a d’autres qui ont mis tout ça en place : Rimbaud, Lautréamont, et ainsi de suite.
Le moment est venu, le moment est venu ! Non pas parce que Dieu attendrait de descendre sur terre, non, non : si nous voulons faire les choses, il faut que nous les fassions nous-mêmes et que nous lisions, dans le reste du monde, les volontés de faire comme nous. Le désarroi des Américains devant le président qu’ils se sont donnés, c’est une chose… Voilà, il y a un ferment aussi, là. Ces tentatives désordonnées, un peu dans tous les sens, de modernité, de retour à des absolutismes qu’on voit en Chine. Là aussi, il y a des choses à apprendre. Nous avons le moyen de réfléchir, nous avons le moyen de réfléchir. Et pas simplement parce que tous ceux qui ont un smartphone peuvent aller regarder dans Wikipedia quelques bonnes définitions mais, oui, nous avons… tout est sur la table, tous les éléments sont dans notre main et si nous voulons en faire un autre monde, nous pouvons le faire maintenant et il faut le faire maintenant, parce que si on ne le fait pas maintenant, on ne le fera jamais parce que la possibilité existe effectivement que nous soyons tout simplement en train de détruire la planète, comme le lieu où nous pouvons vivre. Il faut le faire maintenant. Il faut se dépêcher, le temps compte. Vous ne serez pas immortel, je ne le suis pas non plus. Je suis plus proche de la fin, sans doute, que la plupart d’entre vous. Le moment est venu de faire des choses, le moment est venu de faire des choses. Il faut sortir, il faut secouer cette… voilà, ce mutisme, cette catatonie, cette paralysie dans laquelle on est. Elles sont liées au fait que nous sommes au pied du mur et ça participe à notre paralysie, de voir ce grand mur devant nous. Mais le moment est venu de l’escalader, d’en faire quelque chose. Pas parce qu’il y a quelque chose déjà derrière ce mur, mais parce que nous, nous avons des choses à bâtir derrière ce mur. Et il faut les bâtir maintenant ! Voilà !
Allez ! Passez une bonne semaine.
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