Ouvert aux commentaires. Un chapitre de mon nouveau livre-manifeste.
LE MONDE TEL QU’IL DEVRAIT ÊTRE
4. Imposer par une « taxe Sismondi » le travail des machines, robots et logiciels
S’il est un phénomène dont la plupart d’entre nous ne mesurent pas l’ampleur, tant les conséquences nous en semblent impensables parce qu’il atteint les structures mêmes de notre société, c’est bien la disparition accélérée de l’emploi, que celle-ci soit due à l’automation, c’est-à-dire au remplacement de l’humain par un robot, ou à l’informatisation, qui est son remplacement par un logiciel. Nous l’observons déjà autour de nous depuis quelques décennies, mais il s’attaque de manière de plus en plus frontale à notre vie quotidienne par le biais de licenciements toujours plus nombreux et fréquents.
Il n’épargne aucun domaine, manuel ou intellectuel, dans les entreprises publiques aussi bien que privées, et il serait bien naïf de croire que notre modèle social basé sur l’omniprésence du travail pourrait ressusciter. Le monde politique cependant persiste à traiter cet état de choses inéluctable comme s’il était passager, alors que c’est à un vrai bouleversement de civilisation que nous assistons.
Autant le dire clairement : les robots et les logiciels nous remplaceront à brève échéance. Au lieu de pratiquer la politique de l’autruche ou de nous lamenter à ce sujet, nous devrions tenter d’en prévenir les conséquences néfastes ainsi qu’en partager les aspects positifs au niveau de la communauté tout entière.
Qui niera en effet que voir les travailleurs à la chaîne dans les usines de montage remplacés par des automates est un bienfait en soi ? Qui ne se réjouira de constater une augmentation du taux de réussite des opérations médicales effectuées avec l’assistance de robots ou de la baisse dramatique des erreurs de diagnostic (source de souffrance humaine considérable et de coût économique) que permet le recours à des bases de données intelligentes, capables d’apprentissage ? Qui ne pressent qu’il est temps pour chacun de bénéficier d’une plus grande liberté de son temps afin d’améliorer la qualité de sa vie ?
Actuellement cependant, par manque de vision à long terme mais surtout en raison de l’injustice démesurée qu’engendre le tournant ultralibéral de nos systèmes économique et financier, nous ne faisons que subir les aspects négatifs de ces progrès de notre civilisation. Il est temps de faire en sorte que ceux-ci ne profitent pas uniquement à une élite, comme c’est le cas aujourd’hui, bénéficiaire par destination des améliorations de la technologie grâce aux moyens dont elle dispose, lesquelles sont volées du coup à la collectivité. C’est ainsi que les progrès de la médecine, de l’éducation doivent améliorer la vie de tous et c’est à ceux qui, dans la classe politique, restent inspirés par les missions de l’État de veiller à ce qu’il en soit ainsi.
Surtout, puisque les robots nous remplacent et permettent aux investisseurs dans les entreprises et à leurs dirigeants de gagner des sommes considérables, il serait normal, comme le préconisait déjà le philosophe suisse Jean Charles de Sismondi au début du XIXe siècle, que leur travail soit taxé de la même manière que le nôtre, afin que les sommes perçues permettent d’assurer à tous une vie digne et une juste rétribution des progrès de notre société, progrès auxquels nous avons tous participé et participons encore chacun à sa façon.
Une « taxe Sismondi », qui serait prélevée sur la valeur ajoutée due au travail de la machine, pourrait l’être selon deux modalités envisageables : ou bien de manière individualisée, c’est-à-dire de machine remplaçante à travailleur remplacé, ou bien sous une forme mutualisée, à savoir par la constitution d’une caisse de solidarité à laquelle auraient accès tous les travailleurs victimes du projet technologique.
Plutôt que de culpabiliser les chômeurs, la plupart du temps impuissants face à un retournement dont l’évolution a été millénaire, nous pourrions répartir le temps de travail restant entre les différentes générations qui se côtoient sur le marché du travail, afin de faire reculer le désespoir des plus jeunes et la désespérance des plus âgés.
Il n’est pas à exclure que désespérés sinon par la perspective de l’avenir incertain qui se profile, nous en arrivions un jour à nous révolter en masse pour nous réapproprier ce qui nous revient légitimement : le droit à une vie décente à l’abri du besoin. Notre révolte serait alors telle qu’elle risque de mettre à mal le peu de bien commun qu’il nous reste : même si des historiens de l’avenir y verraient sans doute un juste mouvement de revendication, c’est nous-mêmes que nous risquerions d’agresser indirectement.
Pour éviter d’en arriver à ce point de non-retour, la taxation des robots s’avère être une solution nécessaire reflétant l’évolution de notre espèce. Cette solution a le mérite de faire bénéficier chacun d’entre nous des fruits globaux de notre civilisation. Elle ne peut également que s’accompagner d’une concertation européenne afin qu’une perspective commune se dégage avant que des initiatives éventuellement contradictoires ne soient prises dans le désordre au niveau national.
Nous pourrions ainsi éviter aussi bien la barbarie que repartir sur de nouvelles bases afin de développer pleinement notre potentiel de connaissances. Nous ne voyons guère d’autre alternative, les moyens anciens de notre survie ayant disparu, remplacés par des projets qui devraient nous enthousiasmer puisqu’ils nous donnent accès aux fruits des percées considérables ayant lieu aujourd’hui dans des domaines cruciaux. Notre espèce trouverait le moyen de redorer son blason si les retombées bénéfiques de l’automation et de l’informatisation étaient enfin mobilisées pour la cause commune.
Proposition : Imposons le travail des machines, robots et logiciels en lui appliquant le même barème que celui qui vaut pour les êtres humains qu’ils remplacent. Le gain de productivité apporté par la machine est visible aussi longtemps qu’elle travaille au côté d’un être humain, mais aussitôt qu’elle le remplace purement et simplement, il devient invisible : l’être humain que la machine complétait autrefois a disparu, tandis qu’elle travaille désormais dans l’ombre, sa valeur ajoutée étant absorbée dans des chiffres statistiques globaux, sans être comptabilisée en tant que gain de productivité. Les sommes récoltées par l’imposition de la machine refléteront les gains pour l’humanité dans son ensemble dus à la mécanisation ; ils pourront être mis au service du financement pour tous de la gratuité sur l’indispensable. Il s’agira là pour ces sommes d’un bien meilleur usage que le financement d’une allocation universelle, dont le montant quel qu’il soit serait aisément capturé par le système financier ambiant (j’y reviendrai dans le chapitre consacré à ma proposition de gratuité pour l’indispensable).
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