Billet invité.
Bruno Iksil est l’auteur de « Bruno Iksil, surnommé « La baleine de Londres », nous dit ce qui s’est vraiment passé », déjà publié ici en feuilleton, et sur support papier dans le N° 15 de (P)ièces (J)ointes, le magazine du blog (toujours disponible – voir colonne de gauche).
Plan
- VaR, risques de marchés, coûts d’exécution – période 1993 à 2003
- Octobre 1987, Savings and Loans (1989), crash obligataire (1994)
- LTCM 1998 surveillance de la VaR : les coûts de débouclage au centre des débats, besoins de réserves, expansion des CDS, des CDO
- Dot.com (2000), Enron (2001) : « Trop grosse pour faire défaut »
- BankOne, Goodwill, CIO, protection, profits – période 2004 à 2008
- 40% de goodwill
- CIO et la protection en 2006-2007
- La recherche de rentabilité : 2007-2008
- Bénéfice de diversification, avertissements – période 2009 et 2010
- Octobre 2009 : les rapports de VaR changent
- 2010 : Il faut tuer cette protection, puis la laisser expirer car trop chère à déboucler
- Fin 2010 : les autorités s’inquiètent au sujet de cette protection « concentrée », fondée sur la « corrélation », les dérivés, donc il-liquide
- Rachat d’actions, collapse interne, et scandale – période 20011 à 2012
- 2011 : les grandes manœuvres démarrent
- Janvier 2012 : incident sur la VaR
- Mai 2012 : dissimulations sur la VaR
I – Les régulateurs sont confrontés à un dilemme spécifique avec les grandes banques
En 2017, la population mondiale est de 7,5 milliards d’individus et le
G7 (USA, Royaume-Uni, Japon, Allemagne, Canada, France, Italie) en représente 10% au plus.
Le régulateur historique de tutelle de JP Morgan était la Réserve Fédérale depuis 1913. Il avait autant à cœur de garantir la solidité de la banque que sa capacité à produire des bénéfices satisfaisants. L’un n’allait pas sans l’autre pour une banque cotée sur les marchés financiers. Le dilemme était évident dès 1907 : si le régulateur ne faisait rien, tôt ou tard les marchés prendraient peur et ce serait la panique. Mais voilà, si une critique formulée contre une banque entamait son image de marque, cela affecterait sa valorisation en bourse et ses profits futurs, ce qui appellerait donc des provisions plus importantes, ce qui fatalement enfoncerait un peu plus la profitabilité de la banque, etc. La mise sous tutelle ou la faillite expéditive devenaient trop vite la seule alternative ensuite. Le régulateur risquait de déclencher ce qu’il redoutait le plus… Le dilemme avait conduit à un scandale majeur entre 1929 et 1933 (cf. l’affaire George et Richard Withney, ainsi que la commission Pecora). Le problème se solda par la loi Glass-Steagall entre autres, la création des grandes agences de refinancement comme Fannie Mae ainsi que la création de la SEC (Securities and Exchange Commission) en 1934.
En 1992, la SEC prend en main le risque que les produits dérivés font courir aux banques (et aux marchés par voie de conséquence) dans la droite ligne des enseignements de la Grande Dépression. Elle fait la promotion du ‘mark to market’ [cote-au-marché]. C’est simplement un consensus sur les prix, point de départ indispensable avant de définir les provisions qu’il est prudent de maintenir en prévention des crises.
Comment déterminer ces calculs projectifs et donc assez spéculatifs en soi sur le plan intellectuel ? JP Morgan fait la promotion de la VaR [Value at Risk] qui rapidement devient la pierre de touche de ces calculs de réserves à prendre au détriment des profits et des actionnaires. La VaR, au-delà du chiffre brut qui la résume, sert en effet de révélateur du risque majeur de liquidité, que les mathématiciens appelleraient plutôt « risque de corrélation ». Ce risque là peut prendre d’autres noms : concentration, visibilité, peur panique, incertitude des prix, réaction en chaîne, dilemme du prisonnier…
Le problème alors pour la banque autant que pour le régulateur se manifeste dans ce que le jargon financier appelle « la consommation de la VaR ». C’est bien moins le chiffre de la VaR que ce qui le constitue qui compte. On regarde surtout comment cette VaR représente effectivement au jour le jour l’exposition de la banque sur les marchés. En effet, si la banque affiche une VaR très supérieure au risque de valorisation qu’elle constate a posteriori au jour le jour par son « mark-to-market », cela signifie que la firme s’expose indûment. Elle devra réduire la voilure ou bien améliorer son « mark-to-market » qui s’avère imprécis, voire faire les deux à la fois. Dans un cas comme dans l’autre, c’est un désaveu suprême pour une banque de renom : elle ne maîtrise pas ses risques et/ou ne maîtrise pas son processus de valorisation.
En outre, si la banque ne dégage pas assez de profitabilité sur la VaR qui est effectivement consommée, ce sont les actionnaires qui la lâcheront bien vite pour des firmes affichant de meilleurs ratios. Et les régulateurs ne veulent pas hériter d’une telle situation où une firme de grand renom se trouve en désamour structurel avec les investisseurs. Car alors ils doivent s’occuper activement de lui trouver un point de chute. C’est là la grande leçon de la Grande Dépression : le secteur bancaire n’est pas un secteur de l’économie comme les autres même s’il est côté en bourse comme les autres. Depuis ce temps, les marchés se sont modernisés et étendus… Mais le dilemme persiste.
II – Le mythe bien utile des marchés efficients…
Les descriptions qui suivent cherchent à montrer aussi simplement que possible, le lien stratégique entre les normes en vigueur sur les marchés aujourd’hui, dont le suivi de la VaR en particulier, et l’Histoire. Ces normes, telles que le ‘Mark to Market’ ou la VaR, sont liées en effet à plusieurs événements majeurs qui ont marqué nos vies à tous durant les 50 dernières années. Il faut bien comprendre la genèse même de la VaR avant de voir enfin les événements propres à la ‘Baleine de Londres’ tel qu’ils se sont développés.
Année 1900, la population mondiale compte environ 1.7 milliards d’individus. Le groupe du G7 (USA, Royaume-Uni, Japon, Allemagne, France, Italie, Canada) représente 22% de cette population. Quelque part à la fin des années 1960, après deux conflits mondiaux et la Guerre froide, la population mondiale a cru à près de 4 milliards de personnes et le G7 n’en représente que 14%. Les atrocités de la guerre du Vietnam annoncent la fin des conflits ouverts ou larvés de grande ampleur. Les “euro-dollars” se répandent à travers le monde entier dans le souci de promouvoir le commerce international. Les économistes voient bien l’origine de cette toute nouvelle monnaie d’échange mais pas toutes ses conséquences. Les dollars US servent de monnaie d’échange au quotidien sur la base de crédits que les USA accordent de façon routinière aux pays exportateurs de pétrole en échange de ce qu’on appelle « l’or noir ». Ces dollars là ne sont pas faits pour être dépensés sur le sol américain. Et pourtant ils servent à tous les autres pays du monde ou presque. Les marchés financiers sur l’euro-dollar montrent une efficience jusque là insoupçonnée. Est-ce l’avènement d’un nouvel empire ou la dilution de la notion même de souveraineté ? Henry Kissinger parmi d’autres ouvre la voie vers une paix raisonnée.
Des économistes de renom reprennent alors des calculs visionnaires de Louis Bachelier (1870-1946) et les mettent au goût du jour pour produire un modèle en 1973 de calcul des risques financiers qui reste de nos jours la pierre angulaire de tous les systèmes de suivi de risques de marché actuels. Ce modèle sert également de clef de voute à toutes les normes prudentielles destinées à la constitution des réserves bancaires en liquidité comme en capital. Ainsi Paul Samuelson, Robert Merton, Fischer Black et Myron Scholes contribuent à doter l’industrie financière d’une approche mathématisée des risques financiers qui deviendra proprement révolutionnaire.
Sur quoi cette approche repose-t-elle ? Une hypothèse et une seule la soutient avec une conséquence de poids en corollaire. L’hypothèse ? Un intervenant de marché suffisamment bien informé et rationnel peut couvrir son exposition à une crise jusqu’au tout dernier moment, en principe. Pourquoi cela ? Parce que toute déviation de prix, aussi massive soit-elle, se développera par petit sauts au cours desquels un acteur de marché trouvera le moyen de se protéger si besoin est. C’est un principe, pas une obligation dans le modèle. Bien sûr les esprits aventureux peuvent tout à fait parier et oublier le danger. Quant à ceux qui cherchent la sécurité avant tout, ils seront prêts à faire des sacrifices pour préserver leurs acquis. À tout moment donc, un choix leur est proposé par les marchés financiers dans leur ensemble. De là naîtrait un équilibre, entre peur et cupidité, par lequel se dessine un « taux sans risque » qui est obtenu in fine par celui qui ne cherche pas à s’exposer aux crises. La ‘main invisible’ suggérée par Adam Smith semble transfigurée en cette fin de 20ème siècle prenant la forme d’un rendement presque palpable, justifié par des calculs aux allures très scientifiques. Ce taux miraculeusement n’est pas nul ou négatif. Il semble très, très proche du rendement fourni par les titres du Trésor américain selon les données disponibles à l’époque.
On peut ainsi résumer l’hypothèse dite des « marchés efficients » : une crise est toujours gérable par avance ou, selon une version plus commercialisable : les marchés offrent un rendement sans risque aux investisseurs peu aventureux mais persévérants. Tel est le crédo qui s’instaure en 1973. Encore faut-il le mettre en pratique ce credo… Car, l’histoire amènera son cortège de désaveux. En mai 1971, le président Nixon déjà montrait que l’imprévu était de tout temps au rendez-vous. Le dollar désormais n’était plus convertible en or à coup sûr, mais il restait convertible en dollar bien sûr. Certains auraient pu deviner le changement car le sujet était déjà largement débattu avant mai 1971. Mais cela restait de la spéculation car personne d’autre que le président des USA Richard Nixon n’était en mesure de savoir QUAND ou COMMENT cela se produirait. D’ailleurs à quelle échéance était-il lui-même maître des événements de son temps ? Dans un cas comme dans l’autre, changement ou pas, la ‘protection’ ou l’exposition face à ce type d’événement n’était qu’une spéculation.
III – L’optimisme est de mise
L’optimisme est de mise… Se protéger de quoi d’ailleurs ? Qui aurait pu prédire les conséquences que nous connaissons aujourd’hui ? Les pays exportateurs de pétrole, coincés avec leurs « euro-dollars » attendent 2 ans en fait. Puis ils font bloc fin 1973, constatant avec retard la baisse régulière du dollar face à l’or. Il y aura un premier choc pétrolier. Puis il y aura un second choc pétrolier. Puis le terrorisme d’État fera ses premiers pas. Les Jeux Olympiques de Munich en 1972 sont endeuillés. La conférence de l’OPEP à Vienne tourne très mal en décembre 1975. L’opinion publique est saisie d’une nouvelle menace. La Chine accélère soudain son ouverture au monde. Bien vite la Russie baisse sa garde avant d’inaugurer la Glasnost avec Michael Gorbatchev quelques années plus tard.
Une spéculation aussi grossit à la fin des années 70, selon laquelle l’État américain pourrait faire faillite sur sa dette à cause de l’inflation endémique qui résulte des chocs pétroliers. Qui honorera les « euro-dollars » ? Paul Volcker alors président de la Réserve fédérale augmente violemment les taux dit « sans risque » à partir de 1979. En 5 années il ramène l’inflation de 10% à moins de 4%… Sans risque, les taux du Trésor américain… Oui mais les caisses d’épargne américaines sont maintenant engagées dans une décimation lente et certaine. Les taux ‘sans risque’ baissent à nouveau mais les petits épargnants américains n’en profitent pas vraiment, à commencer par les clients des caisses d’épargne américaines.
À quel saint se vouer au début des années 1980 alors qu’on parle de Guerre des étoiles et d’anéantissement par l’arme nucléaire pour le cas où les attentats terroristes se seraient arrêtés par miracle ? Les rayons ou les bombes… Paris, Bonn, Londres, Milan, Tokyo etc. Toutes les capitales des pays riches de la planète font leur « big bang » financier. Elles développent leurs activités de bourse, encouragent l’épargne, l’actionnariat populaire, privatisent les fleurons de l’économie. Et elles dotent leurs banques des moyens de traiter sur les produits dérivés. Tout le monde adopte le modèle dit de « Black & Scholes » car c’est ainsi que l’histoire retiendra désormais ce fameux modèle et son hypothèse. Ce qui était au départ un effort de mesurer au mieux un risque toujours incertain, un risque dit de ‘liquidité’ (c’est-à-dire un risque de crédit), devient au final une formule « fiable » pour évaluer l’incertitude sur les prix. Peut-on y croire ? On essaie en tout cas. Ce qui n’était au début qu’une tentative pour définir une plage d’incertitude devient une calculette bien pratique pour évaluer une option prise sur des risques au fond incontrôlables. Qui s’en soucie dans les années 1980 alors que le salut semble venir de la hausse des marchés boursiers ? On voit fleurir les récits de fortunes faites en un jour ou presque par ces « traders », ces « yuppies », ces « dealers », ces « brokers », ces banquiers en fait…
Puis vient l’incident d’octobre 1987. Une spéculation chasse l’autre…. Alan Greenspan vient de remplacer le désormais légendaire Paul Volcker sur décision de Ronald Reagan, croit-on savoir à l’époque. Les marchés comme s’il s’agissait d’un seul homme, sont « inquiets ». Ainsi court la rumeur. Volcker a sauvé les USA pense-t-on. Mais il était venu par le côté démocrate de la scène politique américaine. Reagan est républicain. Volcker partait donc pour être remplacé par un avocat des thèses les plus libérales qui soient mais qui n’avaient pour l’heure que peu de crédibilité. La politique vient perturber la mécanique économique craint-on….
Eh oui, en septembre 1987, Alan Greenspan suscite plus la défiance qu’autre chose. Résultat, la bourse de New York en une seule journée s’effondre de plus de 20% un jour d’octobre 1987. À quoi tient « l’efficience des marchés » avec le recul… Et là, en toute rationalité, le spectre de la crise de 1929 aidant, on se dit que la fin du monde peut-être approche… Mais pas pour longtemps… Le temps d’une journée seulement en fait… Qui aurait bien pu se protéger d’un tel phénomène dans un sens ou dans l’autre et selon quel critère rationnel ? Qui aurait seulement dû tenter de le faire ? Le modèle dit de « Black & Scholes » se fait littéralement tirer les oreilles : désormais la perception du risque dans le prix des options dépendra du chemin qu’auront suivi les marchés entre-temps, chemin qui évidemment reste inconnu jusqu’à la dernière minute. Le monde est perçu très différemment s’il est sous stress à partir de maintenant. Il est loin d’être déchiffrable dans ces cas-là. Voilà le début du bon sens, mais l’hypothèse des « marchés efficient » bat de l’aile. Ce changement implique pour le moins que les marchés ne sont pas efficients à appréhender les lames de fonds. À quoi bon se protéger alors si ce n’est que pour des vétilles? Car quelle contrepartie sera assez solide pour honorer tous ses contrats dans LA débâcle ? Cette perspective glace le sang. L’optimisme reste de mise néanmoins.
IV – Le « mark-to-market », rempart N° 1 contre le risque N° 1 : la chute des performances….
La tentation est trop grande. Quant à l’alternative, elle est absente. L’outil financier est disponible. Les produits dérivés sont là. Les commissions de trading sont généreuses et fournissent aux banques un large surplus de revenus. Les investisseurs constatent de leur côté la gigantesque déconfiture des caisses d’épargne aux USA. La mode est à l’investissement sur les marchés financiers pour tout le monde. Pourquoi la contrarier en s’avouant vaincu par avance ? Alors on s’organise. Du côté des banques, on monte des salles de marché toujours plus grandes, avec de plus en plus de traders qui font des prix du matin au soir. On monte aussi des opérations de titrisation. Qu’est ce que c’est que cela ? Au bilan la banque transforme des titres « bien concrets » en une option pure et simple bien virtuelle. Comment ? On prend des titres, on les vend à une entreprise qui n’a rien de tangible sinon une désignation juridique. On trouve le financement sur les marchés de capitaux dans le monde grâce aux autres marchés de dérivés. Et on garde ce qui peut rapporter le plus et coûter le moins cher en cas de crise. La titrisation démarre à la fin des années 80. C’est un processus qui élimine la distinction qu’on peut encore faire entre un actif financier dit « tangible » comme un prêt ou une obligation, et un actif financier « intangible » tel qu’un dérivé. Qui est le sponsor principal de la titrisation depuis le milieu des années 1970 ? C’est l’État américain par le truchement de ses grandes agences Fannie Mae et Freddie Mac principalement.
Du côté des investisseurs institutionnels dont le mandat est de placer l’épargne populaire sur les actifs financiers appropriés, on est très prudent avec les dérivés, mais pas forcément vis-à-vis des titrisations. Les banques encouragent de leur côté la naissance des « hedge funds » qui ont vocation à devenir des contreparties des banques lorsque ces dernières ont des positions complexes dont elles souhaitent se délester. Tout ne peut faire l’objet de titrisation, surtout au début des années 1990. Alors les banques déploient cette autre ‘solution’ au manque de liquidité structurel pour elles. Ces « hedge funds » peuvent à discrétion, en passant par les mêmes banques, adopter des stratégies de protection de leur choix afin de porter à leur terme ces risques là dont ils héritent des banques au départ. Les encours de trading explosent à la hausse.
L’outil financier se déploie mais il dévoile ses failles à intervalles réguliers. Pendant cette période, les incidents se multiplient sur les marchés. Ils rappellent aux autorités la crise de 1907, celle de 1929 et des années suivantes. Le PIBOR à Paris explose à 20% brièvement mais fait des ravages dans les salles de marché parisiennes en 1991. Les positions dites « asset-swap », dans lesquelles un dérivé imite presque parfaitement les risques d’un titre, ne sont pas sans danger loin de là. Le risque de base fait son entrée dans les marchés en 1991. Il aura toujours le même visage par la suite : en apparence il est presque invisible car il repose intégralement sur la liquidité des marchés et se résume à un risque juridique au final. Et cette liquidité des marchés est plutôt limitée en pratique. George Soros fait parler de lui et de son hedge fund en 1992. Il a fait sortir la livre Sterling de ses cours officiels ! Diable ou génie ? Ni l’un, ni l’autre. Un signe des temps à venir certainement… La force de loi tout comme le principe de souveraineté sont remis en question très officiellement. L’Europe décide d’accélérer son intégration en lançant le projet « euro ». Aux USA, le massacre en règle des caisses d’épargne s’achève. Le marché des obligations pourries, précurseur du futur marché high yield, prend naissance sur ce cimetière là.
Les autorités prennent conscience de la liquidité limitée des marchés dans les faits et du risque de rupture qui devient omniprésent. Qui peut se substituer à un juge ou un État en cas de litige de portée internationale désormais ? Quel litige n’a-t-il pas une portée internationale dès lors qu’il implique une grande banque du G7 ? Il faut un consensus, une zone de ‘neutralité’ dans le champ de bataille des marchés financiers. On commence par le commencement donc, de façon pragmatique : le risque de variation des prix doit être perçu de la même façon par tous les intervenants. Entre 1992 et 1993, la SEC, l’OCC [Office of the Comptroller of the Currency : le régulateur des banques américaines], le ‘groupe des 30’ emmené par Paul Volcker et JP Morgan ont instauré la règle du « mark-to-market ». L’accord de départ fondamental est là et doit se perpétuer quels que soient les chocs à venir. Comment y parvenir ? La population mondiale est passée à 5.9 milliards et le G7 ne pèse désormais que 11.2%…
V – La VaR est créée comme la pierre angulaire des réserves de sécurité qui s’imposent…
Les [produits financiers] dérivés doivent être placés en portefeuille de trading sauf exception dûment formulée. Et là encore, la SEC [Securities and Exchange Commission] fait appel à des consultants indépendants pour vérifier tous les portefeuilles de banques. Les variations de prix sur les marchés ne peuvent être ignorées. Le fait que les acteurs de marchés s’ajustent entre eux à des prix de consensus est un strict minimum. Car ensuite, il faut prévenir plutôt qu’attendre l’incident fatal qui survient tout de suite après la valorisation, risque « numéro 1 » entre tous. Il faut donc constituer des réserves d’autant plus qu’en vérité les marchés ne sont pas efficients surtout en phase de crise. Trois facteurs sont listés à l’époque. Tout d’abord les prix peuvent changer d’un jour à l’autre, et beaucoup parfois, ce qui requiert une première réserve. Là JP Morgan se distingue et propose le calcul de la VaR [Value at Risk], index qui sera adopté par toute l’industrie très vite. Deuxièmement, les autorités tout comme JP Morgan, préconisent de mesurer l’incertitude fondamentale qui existe derrière ces mêmes prix qui servent à la fois à valoriser les positions et à mesurer la VaR au fil des jours. Comment faire ? Estimer les risques de modélisation partout où des modèles mathématiques se superposent à des prix bruts de marchés, ET recourir à une entité INDÉPENDANTE de l’unité qui prend les risques sur les marchés pour faire une valorisation concurrente. Troisièmement, les autorités et JP Morgan toujours, préconisent d’y ajouter une provision pour le « risque de crédit » qui prend deux aspects : le risque de liquidité ou de concentration, et le risque de défaillance d’une contrepartie. On ne parle pas encore du quatrième volet : le risque de réaction en chaine, ou le risque dit ‘systémique’, ou encore le risque de contagion.
Durant ces années-là, la VaR devient simplement le premier élément de réserve, un montant « minimal », à prendre face au risque de marché primordial, à savoir la valorisation en ‘mark-to-market’ proprement dite, elle-même consensus indispensable. Alan Greenspan assoit sa crédibilité durablement en ne remontant pas les taux d’intérêt entre 1991 et 1993. Il ne s’agit pas seulement du bien-être des banquiers des grandes places financières, loin de là. Les marchés retrouvent une euphorie qu’on croyait perdue depuis 1987. Mais en novembre 1993, Greenspan prévient : une hausse des taux est proche. Les marchés ignorent l’avertissement et poursuivent leur envolée de plus belle. Les marchés de dérivés sont là, animés par des volumes énormes, soutenus ici tant par les banques que par les hedge funds. Mais en février 1994, Greenspan remonte les taux. Et il va continuer jusqu’à la fin 94. Le marché obligataire se krache lentement mais sûrement. Greenspan avait cru déceler à l’époque les signes d’une spéculation liée au fait que les taux étaient restés trop bas un peu trop longtemps. Spéculation ou pas, la correction sur les marchés obligataires cause des pertes dans les grandes banques, entraîne le report de fusions prometteuses, déclenche quelques changements à la tête des banques les plus prestigieuses. Mais le choc s’en tient là dans l’immédiat. Du côté des hedge funds, le coup reste confidentiel.
L’ampleur de la débâcle sur les marchés obligataires dans le monde entier prouvera par contre que l’interconnexion infinie entre les acteurs de marchés ne permet aucune spéculation. Le risque systémique fait sa grande entrée officielle. Certains appellent cela l’effet « papillon ». Cette remontée des taux de la Fed va déclencher une violente crise au Mexique en 1995 qui ira ensuite se déverser dans les pays d’Asie du Sud Est en 1997. Le choc sur les populations sera dévastateur, sordide, injuste. Cela conduit aussi à un choc déflationniste qui va atteindre l’Europe bien sûr mais surtout le Brésil et la Russie début 1998. Une chose déjà est sûre : la VaR ne reflète en effet qu’un risque « minimal » au jour le jour, presque myopique. Mais la VaR devient aussi la jauge du danger financier véhiculé à travers les créneaux horaires 24/24 7j/7j. Et lorsque la perte se réplique jour à près jour, elle finit par déclencher un tsunami financier dont le vecteur sans conteste est le marché des produits dérivés à travers toute la planète.
VI – Le risque de « corrélation » est la cible visée par tous les régulateurs depuis 1998
Les crises venant des GKO russes, de LTCM, des Dot.Com, du triptyque Worldcom-QWEST-ENRON ajoutent à la certitude que les dérivés de crédit, les CDS (« Credit Default Swaps »), ne permettent que de redistribuer le problème de liquidité si critique quand la crise survient. Le risque de base se répand. Il reflète simplement la faille structurelle : les CDS déportent le danger seulement vers un risque juridique exempté de loi souveraine. Une seule solution possible désormais pour les banques centrales lors du prochain choc : baisser les taux le temps qu’il faudra pour éviter aux banques de faire faillite en série. Peu importe l’inflation. Peu importe la croissance. Peu importe la hausse des marchés boursiers dans l’intervalle. On s’éloigne du concept du « taux sans risque », non ?
Les décisions des régulateurs resteront néanmoins fondées sur de simples projections basées au départ sur les données de corrélation montrées par la VaR. Ces projections, aussi spéculatives qu’elles soient, sont vitales. D’elles découlent mathématiquement, au gré des formules qui s’égrènent dans les normes de Bâle I à Bâle III, les réserves qui donnent droit aux banques de poursuivre leurs activités. Les résultats des calculs fournissent des provisions chiffrées à prendre en capital et en liquidités disponibles « immédiatement ». La règle sur le papier est limpide. Soit la banque les a, et on tolère son existence. Soit elle ne les a pas, ces réserves là, et les régulateurs sont mandatés pour agir préventivement mais de façon radicale désormais. Si les provisions sont insuffisantes et si la banque dans les 3 mois n’obtempère pas, c’est la mise sous tutelle. C’est le script de la crise financière de 2008 qui vient d’être énoncé là. C’est aussi la base du dilemme séculaire des régulateurs.
Car ce script était déjà en vigueur en 2004 lorsque BankOne et Jamie Dimon se marièrent à JpMorgan Chase. En Façade, c’était le deal du siècle. En coulisse, le capital du nouveau mammouth financier reposait surtout sur de l’intangible. En effet, $42 milliards, soit encore 40% du capital du tout nouveau groupe, furent créés ex nihilo lors de la fusion ($35 milliards de goodwill et $7 milliards d’autres ‘intangibles’). Ce genre de phénomène n’est pas courant ou usuel sur un mastodonte pesant au final $100 milliards environ. Le capital tout frais, $42 milliards créés avec un « stylo » dans les registres comptables, n’était là nulle part juste auparavant dans aucune des deux entités qui s’associaient. Et la liquidité était toujours insuffisante pour traverser une crise financière majeure. Le problème persistait depuis 1998 en fait. Alors le régulateur requit du nouveau conglomérat qu’il mette au moins en place un fusible de sécurité pour les besoins de liquidité. Comme par coïncidence ce fut le CIO [Chief Investment Office] si particulier chez JP Morgan qui émergea au même moment. Puis le régulateur voulut une protection tout à fait tangible contre le risque de corrélation si bien incarné par les girations des marchés de dérivés. Par une coïncidence de plus ce fut le portefeuille de « corrélation en crédit » -fondé sur des « synthétiques » bien sûr- qui vit le jour. Que pouvait-il bien employer d’autre que des CDS dédiés au risque de « corrélation en crédit » pour prévenir le danger précisément là on le voyait arriver ?
Le but au départ était vertueux en 2005-2006. La haute direction ciblait dans le secret des stratégies vitales pour la firme. Les régulateurs y veillaient eux aussi : pas question de protéger un risque voulu par la banque de façon routinière. Non. Si la banque prenait des risques ici ou là, c’est qu’elle le voulait bien. Soit elle aimait et gardait. Soit elle n’aimait plus ce risque et s’en défaisait au moins en partie. Pas question d’inventer une histoire farfelue de « protection » là où on aimait s’exposer délibérément. Non, il fallait ici prévenir le danger d’une « corrélation » dévoilée peu à peu par l’analyse quotidienne de la VaR. La direction hésitait entre, au hasard, les abus déjà manifestes du subprime US, et les failles trop flagrantes des modèles de notation des agences telles que Moody’s ou S&P au sujet des tranches de CDOs. La corrélation entre les 2 axes était flagrante …
VII – La paranoïa la plus extrême était de règle. Il fallait des hommes « écran »
En fait il n’y avait aucune place laissée au hasard dans le choix de se protéger contre cette « corrélation » là. La paranoïa était de règle pour les hauts dirigeants : ils agissaient sur des montants colossaux, tel un éléphant dans un magasin de porcelaines, sous le regard avide et scrutateur de tous les traders de la planète, y compris les leurs. Le tout se passait sur des marchés toujours friands de rumeurs et de spéculations à l’emporte-pièce où la banque elle-même était un acteur de premier plan. Les leurres seraient les bienvenus en fait. Les hommes « écran » aussi seraient les bienvenus à dire vrai. Oh, ils en savaient des choses ces « écrans de fumée ». Mais au fond ils étaient des pions. Cela aussi était connu de tous tant ce risque là de « corrélation » préoccupait JP Morgan, les régulateurs, mais aussi tous les autres acteurs du marché. Et les régulateurs de leur côté ne pouvaient qu’approuver n’est-ce pas, la démarche de JP Morgan ?… Même si la transparence n’est pas de règle…
Le portefeuille de protection synthétique sur la corrélation aurait un impact sur la VaR de la firme, c’est sûr. Et compte tenu du dilemme vital pour la banque mentionné précédemment, cet impact très prévisible fut analysé sous toutes les coutures avant même que les premières grandes stratégies fussent mises en place. Faut-il s’en étonner ? Le but était de montrer, au moins avant mise en œuvre, par des simulations spécifiques, un effet salvateur quantifié et visible. Et à qui d’autres le montrer sinon le directoire et les régulateurs inquiets comme la Réserve Fédérale ou l’OCC ou la FCA/FSA ou la CFTC de l’époque ? Pourquoi les hauts dirigeants de JP Morgan auraient-ils caché une approche si pertinente à l’époque ? Mais quid de la capacité des marchés à fournir la liquidité à JP Morgan dans ce projet ? Mystère encore en 2006. Peut-être bien que « oui », ils trouveraient la taille espérée… Peut-être bien que non… Une réponse cynique consiste à dire que si les régulateurs approuvèrent ce deal de façade en 2004 avec 40% d’intangible surgi de nulle part, c’est parce que la réponse était clairement : « Non, et loin s’en faut ! ». À la question : « est-ce qu’alors d’une banque déjà trop grande pour faire défaut on avait fabriqué une banque plus grande encore ? » La réponse serait « Oui ». Mais c’est cynique et prématuré.
Cynique ou non, quelle porte de sortie la banque et les régulateurs se laissaient-ils alors ? En 2006, les marchés de dérivés de crédit étaient euphoriques, offrant des volumes de transaction en croissance exponentielle. Il fallait surfer sur cette vague là avant de baisser les bras non ? Cette protection stratégique apporterait le soutien attendu pour une dimension que personne ne connaissait encore. Dans l’intervalle, quelques bonnes années de bénéfices pourraient venir salutairement alléger le problème de départ. C’est là, dès 2005, que la maximisation des profits de la firme autour de la VaR globale prit une importance tout aussi fondamentale que l’existence même de cette protection « synthétique » qui fit donc ses tous premiers pas en 2006 sans avoir de destin clairement tracé.
VIII – Début 2009, la crise incite les autorités à regarder de très près le bénéfice de diversification sur la VaR chez JP Morgan
En 2007, le bilan était mitigé. Le protocole de valorisation au CIO [Chief Investment Office] pour cette protection « synthétique » [paris sur un risque encouru par d’autres] avait été adapté afin de faire une mesure de la « consommation » de VaR Value at Risk] optimale pour la firme et de faire par la suite un suivi du risque global de « corrélation » aussi rigoureux que possible. D’un côté le portefeuille de tranche du CIO permettait de booster les gains de 25%. C’était bien ! Mais de l’autre, ce gigantesque portefeuille était un nain ridicule face au bilan géant de la banque. Les marchés de dérivés de crédit avaient stoppé net leur envolée. Et déjà il fallait sortir au CIO de ces positions « synthétiques de corrélation crédit » avant qu’il ne soit trop tard…
Il était déjà trop tard fin 2007… La plupart des stratégies n’étaient pas liquidables dans les marchés sans causer des pertes qui déjà coûteraient plusieurs centaines de $million au moins. C’était facile à voir en faisant simplement l’inventaire des frais de transaction déjà occasionnés dans la routine sur l’année passée.
On savait désormais, tant du côté des régulateurs que des hauts dirigeants, que ce portefeuille était au mieux très utile en théorie, très rentable, mais qu’il ne serait jamais la planche de salut recherchée. La crise de 2008 arrive et là, protection du CIO ou pas, JP Morgan tient toujours sur sa seule ligne de vie, c’est-à-dire 40% de capital intangible surgi en janvier 2004. Jamie Dimon est appelé par les régulateurs début 2008. On se demande qui d’autre que lui a pu incarner les quelques $42 milliards de capital intangible. Dimon, homme providentiel s’il en est, reprend à des prix défiant l’imagination des actifs qui finiront par payer les coupons et le principal. Au beau milieu d’une crise calamiteuse pour tout le monde, les aubaines déboulent dans l’escarcelle de JP Morgan comme par enchantement tout au long de 2008. Bear Stearns est soldée. Lehman Brothers est démantelée. AIG est mis en sushis. Washington Mutual est bradée. Et tout ça pour JP Morgan seulement, car les autres banques ne bénéficient pas des mêmes appuis. Mais fin 2008, la norme SAFS 107 dévoile une réalité sordide : cela ne suffit pas encore. JP Morgan doit faire plus de profits encore et ce de façon tangible. Mais comment ?
Arrive l’année 2009 avec en ouverture le plus grand scandale de Ponzi scheme connu : l’affaire Bernard Madoff, $50 milliards partis en fumée dans un claquement de doigts. Quelle institution financière a-t-elle bien pu laisser passer cela ?! Ce type de fraude est pourtant surveillé comme du lait sur le feu depuis 1934. Un des principaux dépositaires des fonds Bernard Madoff était JP Morgan. Comme la SEC [Securities and Exchange Commission] qui avait été avertie par un analyste plusieurs fois déjà, la banque suspectait quelque chose depuis des années. Mais apparemment ils avaient tous laissé faire. Fallait-il faire le ménage chez Madoff ou chez JP Morgan dans cette histoire où le scandale émergea d’une façon bien étrange fin 2008 seulement. L’histoire a retenu que c’est le propre frère de Bernard Madoff qui fut pris de remords soudain. Il alla se livrer aux autorités… au bout de 20 ans, en novembre 2008… Pourquoi pas après tout… Le fait est qu’après toutes ces acquisitions faites en catastrophe et ce scandale Madoff, les registres de la firme JP Morgan méritaient bien un examen très approfondi.
Au cours du premier trimestre 2009, par une nouvelle coïncidence, la VaR du portefeuille « synthétique » protégeant la firme du risque global de « corrélation » explose littéralement de $50 millions à $160 millions (son apogée fut à la fin mars 2009). Que fait la VaR (dite « 95% ») de la firme JP Morgan elle-même à ce moment là ? La banque décrit sa VaR entre les pages 71 et 76 de son rapport 10-Q du premier trimestre 2009. En bas de page 71, la firme précise : « certains facteurs de risques tel que le risque de corrélation entre les instruments de trading de l’IB, ne sont pas complètement capturés dans la VaR ». Certes… Puis en page 73, la banque fournit des chiffres : la VaR dite « 95% » totale est de $288 millions pour la firme. La VaR de l’IB seule (trading et portefeuille crédit de l’IB) est de $213 millions. La VaR du « Corporate Risk Management » (là où se situe le CIO) est de $120 millions. On peut noter ici que la VaR moyenne du portefeuille « synthétique » de protection contre la « corrélation », présent au CIO, valait à elle seule environ $105 millions (50+160 le tout divisé par 2) soit 85% du CIO, 30% de la firme en VaR. Inratable non ? Le tableau montre mais de façon compliquée qu’un « bénéfice de diversification » existe dans la firme, en dehors de l’IB, d’un total de $154 millions. Un alinéa écrit en italiques et petits caractères spécifie que cette diversification là provient de « risques qui se compensent » mais de façon équivoque. D’où peut bien provenir cette gigantesque compensation ?
IX – Fin 2009, JP Morgan modifie son rapport sur la VaR est montre le sigle ‘CIO’
En bas de page 74, la firme décrit le protocole d’analyse de mesure et de consommation de la VaR [Value at Risk] : « Afin d’évaluer la solidité de son modèle de VaR, la firme mène chaque jour des tests de vérification a posteriori de la VaR relativement aux revenus extraits de ces risques, qui sont conduits comme suit : changement en revenu de transaction principale (communément appelé mark-to-market) pour l’IB et le Corporate Risk Management (essentiellement le portefeuille « synthétique-corrélation » du CIO)…, et revenu issu des intérêts perçus pour IB-RFS- Corporate Risk Management… ». Un graphique montre comment la VaR fut utilisée en précisant les journées de pertes, les journées de profits et toutes sortes de statistiques associées. Le commentaire sur la VaR se poursuit. La conclusion de l’analyse de VaR pointe enfin ses objectifs clefs : le coût immédiat pour la banque si sa solvabilité était un tant soit peu remise en question, la procédure corollaire à celle de la VaR qui scrute les scénarios catastrophes et qui est pilotée en direct par la haute direction ; l’impact sur la profitabilité de la banque qui est lui sous le contrôle de la trésorerie de la banque au quotidien.
Les régulateurs veillent au grain : d’où vient cette diversification autour de « Corporate Risk Management » ? $154 millions de réduction de la VaR qui viennent d’un effet de « corrélation » pas très explicite et qui limitent la VaR totale de la firme à $288 millions… Cela fait un bon tiers de réduction tout de même. Au passage, les régulateurs ici doivent s’assurer de la « solidité » du suivi de la VaR au jour le jour qui ne peut se faire « solidement » que si très exactement les MÊMES prix de mark-to-market sont employés à l’IB et au CIO.
C’est le B.A.-BA. Sinon, cette analyse n’est qu’une perte de temps sans aucune fiabilité. Par conséquent, toute différence de prix ayant existé potentiellement la veille entre le CIO et l’IB est repérée et ajustée lors de cette vérification faite a posteriori là pour la VaR. Comme il fut décrit dans les épisodes précédents, ce fut le département du contrôle de la VaR fin 2006 qui demanda au CIO de prendre des prix distincts de ceux de l’IB. Il n’y eut donc jamais le moindre danger que ces différences fussent inconnues. Pourquoi d’ailleurs devait-il y avoir un danger au départ alors que la banque finalisait son mark-to-market chaque jour ? Dans le feu de l’affaire Madoff, ce danger là de différences de prix inconnues était plus exclu que jamais. Une chose est sûre : les autorités regardent la question de très près. La banque doit changer la manière dont elle décrit le rôle joué par « Corporate Risk Management » entre le 3ème et le quatrième trimestre 2009 : désormais la banque dira « Chief Investment Office (‘CIO’) » VaR. Le sigle ‘CIO’ apparait désormais souvent aux côté de l’IB pour les calculs, analyses et projections issues de la VaR. Mais le portefeuille « synthétique » de « corrélation » reste toujours dans l’ombre. Pourquoi les régulateurs n’ont-ils pas demandé la pleine clarté ici ? Comment diable seraient-ils passés à côté de l’éléphant, scrutant tout dans le magasin de porcelaine même, sans le voir ? C’est peut-être un secret qu’il faut bien garder, tout simplement…
X – JP Morgan début 2010 : il faut « tuer » ce portefeuille synthétique de corrélation. Objectif manqué… « Laissons l’avion atterrir alors »….
On en reste là pour l’information auprès des marchés et des investisseurs. Mais dans les coulisses, l’ordre au CIO [Chief Investment Office de la banque JP Morgan Chase] est clair : il faut « tuer » ce portefeuille dès janvier 2010. Il vient d’enregistrer un gain d’environ $100 millions. Tant mieux ! « Dépensons ce gain pour ôter ce portefeuille des écrans radar des régulateurs au plus vite »…. Tels sont les propos tenus par Achilles Macris à l’époque. Le portefeuille doit être réduit à peau de chagrin. Début juin 2010, les 100 millions ont été dépensés et même un peu plus. Au total ce sont $130 millions de coûts d’exécution qui furent alloués patiemment à une réduction qui au total ne représentait que 20% du portefeuille. Non, contrairement aux suggestions publiques mais non vérifiées de Thomas Curry et du sénateur Merkley en 2012, Iksil ne venait pas à la banque chaque matin pour faire de l’argent. Et Iksil prévint en juin 2010 déjà : désormais toute réduction supplémentaire coûtera au moins 3 fois plus cher, à condition qu’elle soit simplement faisable et mineure à chaque fois. Iksil le trader est-il viré à l’époque pour aveu d’incompétence ? Non. Une décision est prise rapidement en haut lieu dont Achilles Macris restitue l’essence : « faisons atterrir cet avion sans trop de casse ».
En pratique, cela consistait à laisser expirer les positions actuelles tout en saisissant toute opportunité d’en déboucler même une infime partie avant l’heure mais à zéro coût. On arrête là les frais de débouclage dans les marchés. Si la VaR [Value at Risk] du portefeuille peut diminuer, c’est un plus. Mais désormais c’est Evan Kalimtgis qui définit les trades cibles à exécuter. Il veut pouvoir donner son aval avant car il faut conserver les effets de diversification que ce portefeuille apporte au CIO et à la firme. Evan Kalimtgis étudie de près les scénarios de stress depuis décembre 2009. Il est l’homme de Macris au contrôle des risques du CIO. C’est Kalimtgis avec Macris et Stephan qui définissent mois après mois la forme voulue pour les stratégies encore présentes dans le portefeuille. L’extinction programmée est pilotée position par position, mois par mois, sans Iksil. Kalimtgis dans son analyse s’appuie principalement sur la diversification constatée sur la VaR de la firme ainsi que sur la protection offerte par le portefeuille au CIO dans les pires scénarios de stress. Kalimtgis est un expert des produits « synthétiques de corrélation en crédit » depuis de nombreuses années. Il maîtrise complètement le sujet déjà en juin 2010.
Comme par coïncidence, alors que le CIO renonce à déboucler le portefeuille dans les marchés faute de liquidité, les régulateurs de tutelle entendent augmenter la fréquence de leurs rencontres avec la direction du CIO et celle de la banque au sujet de ce portefeuille « synthétique de corrélation crédit ». Bien sûr, personne ne songera jamais à inviter Iksil pour l’occasion. En septembre 2010 pourtant, Jamie Dimon évoque devant les investisseurs, les actionnaires, la SEC, ses projets « mise en liquidation » des portefeuilles de « dérivés de crédit de corrélation » dont certains partagent à « 50-50 » un bénéfice de diversification entre l’IB et le CIO. Serait-il passé lui aussi à côté de l’éléphant sans le voir, ou bien pense-t-il très précisément au portefeuille « synthétique de corrélation » du CIO ? Les régulateurs de leur côté auront-ils une fois encore raté l’éléphant alors qu’eux-mêmes n’ont désormais qu’une mission : faire la chasse au risque de « corrélation de crédit» présent dans les portefeuilles « synthétiques » où qu’ils soient ? D’un projet d’investigation approfondi, la Réserve Fédérale aboutit à 2 projets pour 2011 d’investigation « approfondie » et « transversale » centrés sur le CIO. De son côté l’OCC [Office of the Comptroller of the Currency, le régulateur des banques US] prépare une missive pour décembre 2010 qui demande plus d’informations sur des sujets aussi élémentaires que le protocole de valorisation du CIO, entre autres. Enfin le régulateur britannique, par un effet du hasard remarquable, envoie lui aussi une missive en novembre 2010 dans laquelle il parle lui aussi de portefeuille de « corrélation » et de tout ce qui pourrait lui être relié. De façon incroyable, le « trader sur produits synthétique de corrélation crédit du CIO », nommément « Bruno Michel Iksil » dans leurs dossiers, ne compte pas parmi leurs sources d’information… Pas encore… Qui parmi eux souhaiterait vérifier si ces positions sont « encore liquides » ?
XI – Fin 2010, une solution simple se dessinait qui aurait permis d’éviter à coup sûr le futur scandale
Dans le même temps, fin 2010, le cours de l’action JP Morgan semble vouloir s’installer sous sa valeur de registre comptable, ce qui est souvent signe d’un modèle de business en déclin inexorable. Les profits ne sont pas « convaincants ». Dimon lance un énorme plan de rachat des actions de la banque par elle-même. Quel en est l’objectif ? Reconnaitre qu’en effet la banque est trop grosse ? Pire, admettre que la banque n’est pas viable sur le long-terme ? Ou bien simplement anticiper une amélioration quasi avérée de la ligne de base de la firme par élimination des positions « synthétiques de corrélation de crédit » qui empoisonnent tout le monde ? Pour ceux qui se poseraient la question : il ne s’agit pas d’affronter les marchés financiers comme un seul homme. Pourtant plutôt que de choisir la voie de communication la plus directe, qui se serait inscrite dans la logique de la présentation que Dimon exposa lui-même en septembre 2010, la banque prend les chemins de traverse. Au lieu de confirmer la mise en liquidation en annonçant un plan sur deux ans d’échéance (menant à fin 2012) par lequel la banque transférerait ses positions « synthétiques de corrélation crédit » tant du côté de l’IB que du CIO vers un hedge fund comme Blue Mountain, la banque fait des communications étranges et lance des ordres plus étranges encore.
Avant de voir la genèse du scandale, voyons le chemin très sensé mais pourtant ignoré par la banque fin 2010 qu’elle aurait dû suivre en tout logique. Si Dimon avait tout simplement mis en route officiellement la mort annoncée de cette protection « synthétique sur la corrélation », des réserves immenses en auraient découlé pour commencer. La moindre des choses était ici de constituer des provisions pour ce portefeuille lui-même. La politique de valorisation de JP Morgan en vigueur et datant de 2007 qu’on peut trouver dans les annexes du rapport du Sénat permet d’arriver à un montant minimum allant de 1 à 2 milliards de $, notamment en appliquant le règle « off the run » que Mike Cavanagh décréta pour toute la firme en mars 2010. Il faut aussi se procurer la procédure de VCG [VCG pour « Valuation Control Group » cad le groupe qui à travers la banque contrôle et rapproche les divers prix venant des personnes faisant des trades] (disponible aussi dans les annexes du rapport du Sénat) où les formules de calcul sont là, toutes déterminées en fait par l’IB [IB pour Investment Bank, cad l’unité principale chez Jp Morgan dédiée au trading]. Le contrôleur de VCG pour le CIO fit remarquer dans un email d’ailleurs que ses formules sous-estimaient vraisemblablement les montants pour le cas du CIO. Mais c’est un détail en fait car dès lors que cette protection est morte, on ne peut plus compter dessus.
Les conséquences sont énormes. La diversification sur la VaR peut rester, mais la banque ne peut plus revendiquer la protection en cas de stress. Or les quelques $360 milliards d’investissements du CIO reposent sur cette protection. Là il est franchement difficile de soutenir l’idée que cette protection il-liquide au point d’être mise en liquidation officielle pourrait être d’une utilité quelconque en situation de crise. Si tel était le cas, ce serait le fait du hasard, vraiment. Là, on parle de $20-30 milliards de réserves pour le CIO. En soi c’est déjà très gênant. Et ce n’est pas tout car il y a encore toutes les positions de « base » sur les marchés de crédit, pour un encours potentiel de $3 000 milliards chez JP Morgan si on en croit les rapports 10-Q. Si la banque ne peut se protéger efficacement sur ce risque de « corrélation synthétique » alors les réserves sur le risque de base aussi doivent être revues. Le point de base (0.01%) coûterait environ $1.5 milliards. En 2008-2009 cette base explosa à 80 points de base ou plus, ce qui donne un potentiel de perte de l’ordre de $120 milliards ou plus selon les cas… La valeur boursière de la banque tournait autour de $200 milliards… Ces réserves là réveillaient le vieux dilemme des régulateurs. Non il ne manque pas $120 milliards de réserves ici. Mais l’ordre de grandeur fait suffisamment frémir pour que les autorités se préoccupent de cela, si elles ont effectivement à le faire… Un calcul raisonnable conduit quand même à $25-35 milliards. Bref au total, les réserves à constituer pour ce portefeuille de protection « synthétique en corrélation » importaient peu en soi mais elles conduiraient à d’autres réserves d’un montant d’environ $50 milliards pour la firme. Des réserves d’un tel montant manquant à l’appel en 2011, appelleraient une réduction de la VaR et tout un cortège d’autres mesures de précaution. De plus, une telle annonce reporterait à plus tard le rachat des actions voulu et déjà annoncé par Dimon. La banque n’a pas choisi la voie de la transparence comme on le sait aujourd’hui à coup sûr. Et les régulateurs alors ?
XII – Début 2011, la banque choisit les chemins de traverse… Elle ne les quittera plus
La banque choisit donc les chemins de traverse, ce qui conduisit au scandale puis aux « aveux » avec un fil conducteur : maximiser les profits dans l’intervalle sans constituer de réserves avant l’heure H. Ainsi en Janvier 2011, Iksil vient d’être « promu ». Il accède au grade de cadre dirigeant de base mais il n’est dans aucune décision, dans aucune rencontre avec aucun des régulateurs déjà très impliqués. Il ne le sera pas plus par la suite… Le rôle d’Iksil ne change pas du tout en réalité. Pas avant l’heure H en tout cas qui se situe en juillet 2012 et n’a lieu que sur le papier seulement ‘avec le recul’… Dans les faits, Iksil se voit donner l’ordre début 2011 de faire atterrir l’avion à moindre frais mais sans chercher à réduire la VaR du portefeuille. Iksil a bien travaillé en 2010 et il est généreusement récompensé le 21 janvier 2011 officiellement !
Le rapport du Sénat américain (mars 2013) évoque alors un incident remarquable. Le 27 janvier 2011, à l’insu d’Iksil, qui ne le découvrira qu’en 2013 en lisant le rapport du Sénat, la banque adresse un rapport (classé confidentiel) de routine indiquant que le CIO a violé sa limite de pertes sur les cas de stress à cause de changements très récents survenus dans le portefeuille « synthétique de corrélation » du CIO sur lequel Iksil œuvre. Le « hic » c’est qu’Iksil ne fait plus rien ou presque depuis juillet 2010… Ordre de la direction… Le fait est corroboré très timidement par le rapport Task Force de la banque elle-même de janvier 2013 où il est dit que cette violation n’était PAS liée à ce portefeuille « synthétique de corrélation » du CIO. Le fait plus étrange encore ici, c’est que le rapport du Sénat fut rendu public en mars 2013, deux mois après le rapport Task Force de JP Morgan. Pourquoi le rapport du Sénat véhiculait-il donc comme véridique une explication qui était incontestablement trompeuse et qui était déjà désavouée comme telle par la banque elle-même ? Un élément de réponse au mystère peut-être : la violation en question était bien réelle. Elle dura sept semaines et s’acheva par miracle juste avant que la Réserve Fédérale ne rende publics ses propres tests de stress et ne congratule dans la foulée JP Morgan en particulier. Tout était rentré dans l’ordre à temps. Inutile donc à cette époque de revoir la VaR et les risques de « corrélation » qu’elle dévoilait. Le rachat des actions voulu par Dimon pouvait se poursuivre. D’ailleurs il se poursuivit dans la pratique tout au long de 2011.
D’autres ordres arriveront sur le RWA [Risk-Weighted-Assets : actifs pondérés en fonction du risque]. Une réunion clef fin mars 2011 avec Ina Drew débouchera sur une mise en liquidation finalisée dont la « Strategy 27 » est le signe manifeste dans les rapports internes du CIO. Le but est clair. Les instructions deviennent conflictuelles cependant. Iksil multiplie les alertes. Elles sont entendues et comprises. Mais la feuille de route reste toujours aussi nébuleuse et pleine de contradictions internes. La fin de l’année 2011 se termine dans un climat très tendu. Iksil reçoit tout à la fois l’ordre de collapser les positions avec l’IB et « credit Hybrids » en particulier qui vient de fermer son trading sur produits « synthétiques de corrélation de crédit », de renouveler les protections qui expirent, et de positionner le portefeuille en anticipation d’une hausse brutale des marchés. C’est incohérent mais très temporaire sans aucun doute. Le CIO clôture l’année 2011 le 15 décembre pour ce portefeuille là de « corrélation de crédit », fait unique dans les annales. Chose plus unique encore, le CIO relance sa valorisation de fin d’année le 31 décembre 2011. UN problème sur la valorisation de décembre 2011 ? Mais non voyons ! La Réserve Fédérale surveille de très près tout cela depuis le 22 décembre 2012. Il reste que le CIO et l’IB différaient dans leurs prix début décembre 2011 et que cela conduisait déjà à un écart de valorisation de quelques $300 million pour le portefeuille en question. Depuis quand au juste un tel écart de valorisation existait-il ?
XIII – John Hogan à Jamie Dimon : désormais le CIO a la même méthodologie que l’IB
C’est en janvier 2012 qu’à nouveau des événements étranges survinrent. Le CIO [Chief Investment Office] avait reçu l’ordre en juin 2011 de mesurer en interne sa VaR en adoptant la méthodologie de l’IB [Investment Bank, cad l’unité principale chez Jp Morgan dédiée au trading].
Pour ceux qui auraient un doute sur le sujet, une note de bas de la page 1630 du rapport du Sénat ne laisse pas d’équivoque : “28 janvier 2012, email de John Hogan, JPMorgan Chase, à Jamie Dimon, JPMorgan Chase, “JPMC VaR firme en entier – mise à jour quotidienne – Valorisation 26 janvier 2012,” JPM-CIOPSI- H 0001675 (“Cela devrait être le dernier jour de violation de la VaR pour la firme toute entière. Le changement de modèle du CIO doit passer ce week-end. La nouvelle méthodologie approuvée (et désormais la même méthodologie que l’IB) réduit la VaR crédit seul de $30 Millions) ».
Ce changement de modèle pour le CIO consistait principalement à intégrer les risques de base. Mais voilà, cela n’avait aucun sens pour le CIO lui-même puisque le CIO évitait comme la peste d’être exposé à ce risque-là. Mais cela avait une grande importance pour JP Morgan ($3 000 milliards d’encours ?) car le portefeuille « synthétique de corrélation » apportait une protection cruciale (en situation de stress seulement) contre ce risque de base notamment au bénéfice de l’IB. Le fait était notoire depuis juin 2007, où l’effet protecteur s’était manifesté sur la base liée au marché subprime US. La firme n’avait nullement besoin des calculs du CIO pour son calcul de VaR comme les extraits venant de 2009 l’ont montré. Tout était centralisé, réconcilié, scruté, analysé, vérifié depuis le début à partir du sommet. Mais les libertés que le CIO avaient prises depuis 2006 étaient devenues embarrassantes : elles montraient trimestre après trimestre que les risques de base n’étaient pas correctement intégrés dans la VaR même. Les régulateurs ne voulaient pas entendre parler de risque de modèle au sein de JP Morgan au sujet de la VaR. On peut le comprendre puisque cette VaR est la clef de voûte des calculs de provisions. Au passage, le problème portait sur l’éléphant dans le magasin de porcelaine et bien évidemment la divergence de modèle reflétait très bien des divergences de prix très visibles et très recherchées justement afin d’affiner le risque de corrélation global. Il fallait mettre de l’ordre dans tout cela car les conséquences sur les réserves à constituer étaient de l’ordre que quelques dizaines de $milliards. Un nouveau modèle dit « du CIO » était donc en cours de validation depuis octobre 2011. Son impact était connu pour le CIO lui-même : la VaR du portefeuille « synthétique de corrélation crédit » du CIO devrait baisser de 20%-25% environ que cela vienne des prix de l’IB ou de ceux du CIO.
Entre le 31 décembre 2011 et le 13 janvier 2012, coup de théâtre ! Le portefeuille « synthétique de corrélation » du CIO est pratiquement inchangé mais sa VaR – attribuée depuis New York – explose de 40%. En guise de réduction attendue, voilà une véritable explosion ! Les encours ont à peine changé, 1-2% tout au plus. La position directionnelle est ‘neutralisée’ au mieux et inchangée en fait. Ce chiffre là vient de la firme à New York, pas Londres, comme le montre cet extrait du rapport du Sénat : ”Le 20 janvier 2012, le chef du contrôle des risques du CIO, Irvin Goldman, envoya un email à deux de ses subordonnés avec cette instruction : “Ceci est la 3e notification consécutive de violation… qui est arrivée sur le bureau de Jamie Dimon et des membres du Comité Opérationnel. Nous devons fournir à Ina [Drew] des réponses précises quant à la cause de cette violation et quant à la manière dont elle sera résolue et à quel horizon. ”983 Un des subordonnés de Mr Goldman, Mr Stephan – le contrôleur des risques responsable à Londres et concepteur du modèle initial de VaR du CIO – répondit : “L’augmentation de la VaR est pilotée par Core Credit (tranche) [le portefeuille « synthétique de corrélation » du CIO] ….Nous en sommes au stade final de validation … ce qui aura pour effet de réduire la VaR de Core Credit d’environ $96 millions à approximativement $70 millions…” Keith Stephan indique ici une réduction de 27% « environ » et qu’il mesure « approximativement pour le seul portefeuille « synthétique de corrélation » du CIO. Toutefois il ne manifeste aucun étonnement devant cette augmentation massive que New York attribue au même portefeuille…..
XIV – C’est bien sûr New York qui met en application le nouveau modèle appliqué au CIO de Londres
Stephan n’est pas bien sûr mais il est confiant sur sa prédiction : la réduction donnera $26 millions de moins pour le seul « Core Credit (tranche) ». Il ne peut absolument pas deviner les chiffres finaux de New York qui ne seront connus qu’une fois que la VaR de toute la firme aura été calculée et que la firme, via Hogan, aura attribué une part du bénéfice de diversification à « Core Credit (tranche) », chose qui est totalement en dehors du périmètre de Stephan, ou même de Goldman au CIO. Le modèle dit « du CIO » n’a pas encore été mis en production mais on sait déjà au CIO avec la calculette locale ce à quoi on devrait s’attendre, ‘toutes choses étant égales par ailleurs’ pour la firme…. Cela se passait le 20 janvier 2012 au matin de New York en fait car le rapport New Yorkais en date du 20 janvier indiquera que cela était le quatrième jour consécutif de dépassement en fait, pas le troisième. Goldman basait sa requête par email sur la base du rapport officiel daté du 19 janvier 2012. Goldman va faire son rapport à Hogan après avoir entendu les réponses de Stephan en détail. Puis le rapport du Sénat raconte la suite des événements : « Mr. Goldman achemina les mêmes réponses à son chef, le chef du contrôle des risques de la firme, John Hogan : “deux remèdes importants sont prévus pour réduire la VaR …
- Des positions compensatrices sont réalisées pour réduire la VaR.
- Plus important, un nouveau modèle de VaR amélioré que le CIO développé est sur le point d’être validé par MRG et devrait être mis en application d’ici la fin de janvier. L’impact estimé du nouveau modèle de VaR pour le CIO, basé sur les prix du 18 janvier indique une réduction de la VaR du “portefeuille de tranches” sera de 44% à $57 millions, avec le CIO restant du coup bien en deçà de sa propre limite.” 985 »
On va de surprise en surprise ici. Goldman demandait-il vraiment une explication pour l’augmentation récente ? On peut en douter car Stephan ne répond pas vraiment dans ce sens. Et maintenant Irv Goldman sait mieux que Stephan comment les choses à Londres vont se passer de son siège de New York pour le modèle… Ce n’est pas 27% de réduction ‘environ’ mais soudain 44% ‘point barre’. En fait c’est normal. Stephan ne pouvait pas savoir au juste. Goldman lui l’a appris à New York de là où les calculs de la firme se faisaient. Et la firme accordait un bénéfice de diversification proprement énorme au portefeuille « synthétique de corrélation » du CIO tout à coup. Le rapport du Sénat américain « nota » le « petit changement » mais en note de bas de page 985 seulement avec un choix des termes plutôt original en soi : “20 janvier 2012 email from Irvin Goldman, CIO, to John Hogan, JPMorgan Chase, “CIO VaR,” JPM-CIO-PSI 0000151. [Emphasis in original.] La prédiction de Mr. Goldman de $57 millions de VaR pour le SCP était plus basse encore que le $70 millions de VaR qui avait été prédit par Mr. Martin-Artajo et Mr. Stephan. See 1/12/2012 email from Peter Weiland, CIO, to Javier Martin-Artajo, CIO, “JPMC Firmwide VaR – Daily Updated – COB 1/09/2012,”
Il faut être précis parfois car certes, l’expert Stephan use des mots comme ‘environ’ et ‘approximativement’. Mais Goldman, l’homme qui n’est pas expert et ne vérifie aucun calcul dit en anglais « will be ». Non ce n’est pas « would be » et de plus il précise la base des données, celle du 18 janvier 2012. Goldman ne fait PAS une prédiction. Il fait une affirmation sur la VaR de la veille en relation avec le ‘mark-to-market’ de la veille. Il dit tout simplement au CIO ce que sera la VaR du portefeuille « synthétique de corrélation » tel que calculée in extenso par les équipes de John Hogan à New York en date de valorisation passée du 18 avril 2012.
XV – La motivation des hauts dirigeants du CIO à pousser Iksil à faire des trades était multiple
Puisque tout était fait de New York, certains doivent se demander pourquoi le CIO avait à intervenir et développer son propre modèle dans ce cas. La réponse est simple : « parce que le CIO et la firme étaient en désaccord sur le traitement du risque de skew dans la VaR, et tout particulièrement le risque du skew sur l’indice IG9 10 ans ». Les régulateurs étaient au courant et voulaient faire le ménage. Le CIO avait refusé en Juillet 2011 d’adopter un modèle conçu par l’IB qui minimisait les dangers du skew. Les régulateurs surveillaient cela de très près. Il fallait donc laisser le CIO proposer son modèle de risque mais en suivant la méthodologie de l’IB reposant sur le skew. Le CIO avait fourni un modèle en septembre 2011 que le groupe de contrôle nommé MRG vérifiait – depuis New York – surtout dans le but de l‘appliquer à toute la firme… Il ne pouvait y avoir qu’un seul modèle de VaR pour le CIO et l’IB sur ce risque de « corrélation de crédit ». MRG était impliqué pour voir si cela ne faisait pas exploser la VaR de la firme en priorité.
Mais là, début janvier 2012, la firme se prend les pieds dans sa toile car elle a déjà exporté les risques de skew de « Credit Hybrids- IB » en-dehors de son périmètre de VaR vers un hedge fund. Du coup, le portefeuille « synthétique de corrélation » du CIO devient un éléphant bien solitaire dans le magasin de porcelaine. La VaR de la firme explose probablement parce que « credit hybrids » et le CIO ne se compensent plus comme par le passé. Les ordres donnés à Iksil sont explicites même si ce dernier n’en saisit pas bien les finalités. Ces ordres consistent en fait à créer de nouvelles positions qui compensent celles de l’IB encore présentes. Iksil ne le comprendra que bien plus tard en 2016, car ce n’est pas du tout la justification que la direction lui donna à l’époque. Il exécute tout en prévenant des dangers. Mais cela ne va pas assez vite pour la direction comme on va le voir… L’enjeu est d’importance car une violation de la limite de VaR aurait un effet sans appel que rapporte le Sénat américain : « L’OCC [le régulateur des banques] déclara à la sous-commission que si le nouveau modèle de VaR n’avait pas été adopté ainsi dans la précipitation, les traders du CIO auraient été forcés de ‘dérisquer’ plutôt que d’augmenter les encours avec de nouveaux risques » 1044. Le mécanisme était simple : sans cette adoption précipitée d’un nouveau modèle « du CIO » destiné en fait à la firme toute entière, la limite mensuelle de la VaR de JP Morgan aurait été dépassée. Cela aurait obligé les régulateurs à ausculter dans tous les recoins de ce dépassement, ce qui les aurait amenés à ordonner un débouclage immédiat au CIO. Si tel avait été le cas le mythe de la ‘Baleine de Londres’ était mort-né. Mais les quelques $50 milliards de réserves déboulaient tout aussi sûrement.
Finalement, comme on l’a vu avant, la VaR du portefeuille « synthétique de corrélation » du CIO ne sera pas de $57 millions mais de $53 millions alors que les encours croissaient dans l’intervalle… Ce changement de modèle si spécifiquement appliqué, de New York, conduira à une réduction globale de la Var « crédit » de toute la firme de $30 million. Il faut le croire car là, c’est John Hogan NY qui le dit à Jamie Dimon NY. Impossible que le CIO de Londres ait fait quoi que ce soit sinon deviner les ‘environs approximatifs’ du chiffre pour le seul portefeuille « synthétique ». Mais voilà ce n’est pas tout. Car les « choses ne sont pas restées égales par ailleurs » dans la firme, hors CIO.
XVI – La firme opéra une réduction cruciale de sa 10-Q VaR en dehors du CIO, en dehors du « crédit », en dehors du tout nouveau « modèle du CIO »….
La note de bas de page numéro 1630 du rapport du Sénat américain apporte un autre détail trop ignoré à ce jour : « 30 janvier 2012 email du contrôle des risques de la firme – Reporting, JPMorgan Chase, to Jamie Dimon, JPMorgan Chase, Douglas Braunstein, JPMorgan Chase, and others, “JPMC Firmwide VaR – mise à jour quotidienne – valorisation du 27 Janvier 2012,” JPM-CIO-PSI 0001339 (“La VaR 95% de la firme dans le 10-Q est au jour du 27 janvier 2012 de $108 millions par rapport à la limite qui est de $125 millions, soit une chute de $53 millions par rapport à la VaR du jour précédent (implémentation du nouveau modèle de VaR pour synthetic credit).”), Février 2012 “CIO February 2012 Business Review,” JPM-CIO-PSI 0000289, at 290 (“Today’s Attendees, Operating Committee, Jamie Dimon, Doug Braunstein,” and others.).” Cette note de bas de page ici parle de $53 millions de réduction pour la VaR de la firme, déclenché par ce changement de modèle de « Crédit » où la VaR « Crédit » elle-même n’a baissé que de $30 millions. Cela n’est possible qu’en modifiant des corrélations apparaissant entre le secteur « crédit » et les autres secteurs de marché tels que « taux », « actions », « devises », « matières premières », « métaux précieux ». Bref le passage de $30 millions à $53 millions ne concerne que la firme et on se demande bien comment ce « portefeuille synthétique de corrélation » concentré sur le « crédit » pouvait bien diversifier plus les autres secteurs, comme cela tout d’un coup entre le 26 janvier 2012 et le 27 janvier 2012 dans les modèles de JP Morgan… Aucune défaillance des formules employées à Londres au CIO seul dans sa calculette locale sur des produits dérivés de « crédit », quelle qu’elle fût, ne pouvait affecter les formules exactes de New York sur les secteurs qui précisément n’intègrent PAS de produits dérivés de crédit. On ne trouvera aucune explication à ce mystère même lointaine dans la très longue annexe que Mike Cavanagh consacra (20 pages sur 131 pages au total) à la VaR en janvier 2013 au nom de Dimon, du Directoire et de JP Morgan.
Pour finir, sans cette réduction de dernière minute sur la VaR fin Janvier 2012 sur des corrélations n’ayant aucun lien avec le portefeuille « synthétique » du CIO, la VaR 10-Q rapportée mensuellement n’aurait pas été de $126,4 millions. Comment peut-on arriver à ce chiffre tout d’abord ? En reprenant le calendrier des états donnés en annexe du rapport du Sénat et en supposant que la VaR croissait régulièrement d’un jour sur l’autre pour les journées manquantes. La Ligne de base de la VaR de JP Morgan se situe entre $105 et $110 millions hors incident. En procédant ainsi on peut arriver à ce chiffre de $126,4 millions. Ensuite, on va estimer simplement que la VaR totale de la firme ne pouvait en fait baisser plus au final que la VaR crédit de la firme elle-même, justement du fait que les corrélations entre secteur sont faibles et stables. (Je passe sur les détails du calcul matriciel. Mais les experts de la variance comprendront). Si donc, dans le meilleur des cas la réduction ne pouvait dépasser $30 millions, alors la firme aurait sorti une VaR de plus de $130 millions soit un dépassement de $5 millions au-dessus de la limite de $125 millions. Là les régulateurs n’auraient pu ignorer l’incident dès le 1er février 2012. Là aussi le mythe de la ‘Baleine de Londres’ était mort-né à coup sûr car tous les trades récents auraient dû être débouclés.
Si maintenant Stephan et Artajo avaient été suivis dans leurs estimations expertes, quoiqu’approximatives c’est sûr, il est vraisemblable que la firme aurait fait état d’une VaR plus élevée encore. Mais la firme n’avait aucunement besoin du CIO et ce depuis la création même du CIO au sujet de la VaR. Sans cette baisse vraiment déroutante de la VaR, les trades n’auraient donc jamais eu lieu. La ‘Baleine de Londres’ n’aurait pas vu le jour, en tout cas pas sous la forme que nous connaissons en 2017. Quoi qu’il en soit, ces épisodes ne décrivent que des actions du contrôle des risques où les traders du CIO sont mis à part. On ne peut pas leur reprocher grand-chose ici.
Il faut se rappeler que lors de son ‘moment d’aveu’ le 10 mai 2012, Jamie Dimon ne fit pas la lumière sur cet incident de la VaR. La Banque ne dit toujours pas la vérité en juillet 2012 lors du mea culpa sur la valorisation et les contrôles de risque. Fin 2012, face aux questions du Sénat américain, Dimon et Braunstein disaient ne pas se souvenir de ce changement de modèle de VaR. Cela déclencha l’incrédulité d’Ina Drew et d’Irv Goldman apparemment. Pour autant, Mike Cavanagh au nom du directoire en janvier 2013 évita pendant 20 pages d’annexe consacrées à la VaR de montrer ces chiffres-là, 27% contre 44%, $53 millions contre $30 millions, $126,4 million contre $130 millions ou plus. En mars 2013, le rapport du Sénat fut très critique mais laissa ces mêmes chiffres discrètement dans des notes de bas de page.
Mon opinion sur le développement de l’AGI, est que plusieurs consortiums internationaux répartis et reliés avec des moyens publics/privés doivent…