Ouvert aux commentaires.
Dans Vers un nouveau monde (mon manifeste à paraître le 23 août), je propose (voir billet suivant) que les normes comptables relèvent à nouveau du débat démocratique. Le témoignage de Jérôme Haas devant le Sénat français en septembre 2013 est tout particulièrement pertinent de ce point de vue.
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2013-2014,
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission d’enquête sur le rôle des banques et acteurs
financiers dans l’évasion des ressources financières en ses conséquences
fiscales et sur les équilibres économiques ainsi que sur l’efficacité du dispositif
législatif, juridique et administratif destiné à la combattre (1),
Président
M. François PILLET,
Rapporteur
M. Éric BOCQUET,
Sénateurs.
AUDITION DE M. JÉRÔME HAAS, PRÉSIDENT DE
L’AUTORITÉ DES NORMES COMPTABLES
(mardi 17 septembre 2013)
M. François Pillet, président. – Nous continuons nos travaux avec
l’audition de M. Jérôme Haas, président de l’Autorité des normes
comptables (ANC).
Monsieur le Président, je vais vous demander de prêter serment de
dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant :
« Je le jure ».
M. Jérôme Haas. – Je le jure.
M. François Pillet, président. -Vous avez la parole.
M. Jérôme Haas. – J’ai pensé, ayant à l’esprit les questions que vous
m’avez transmises, aborder trois sujets d’inégale importance.
Le premier porte sur des aspects systémiques du rapport entre la
comptabilité et les questions financières. C’est le plus lourd. Le second sujet
porte sur des aspects techniques du rapport entre la comptabilité et d’autres
angles de représentation de l’entreprise, notamment bancaires, fiscaux,
prudentiels et autres. Dans un troisième temps, vous m’avez posé des
questions sur les commissaires aux comptes, sujet sur lequel je ne suis pas
directement compétent, mais dont je puis vous dire cependant quelques
mots.
S’agissant des aspects systémiques de la crise financière et de
l’ensemble des dysfonctionnements auxquels nous avons assisté, qui ont
conduit à la crise, les règles elles-mêmes ont participé au
dysfonctionnement : elles ont dysfonctionné !
Cela ne va pas de soi : normalement, les règles permettent le bon
fonctionnement du système ; or, voilà qu’elles sont la cause du
dysfonctionnement ! Une part importante de notre travail a consisté à
comprendre pourquoi…
Il faut remonter à la décision prise par l’Union européenne, en 2002,
d’adopter pour les comptes consolidés des entreprises cotées des règles
internationales, produites par un organisme privé, basé à Londres,
l’International accounting standards board (IASB). Ces règles étaient différentes
des règles comptables dont nous avions l’habitude, et que nous utilisions
depuis des siècles.
Il y a beaucoup de causes à l’émergence de ces autres normes
comptables ; il serait trop long de s’y attarder, mais l’important est d’en
– 396 – COMPTES RENDUS DES AUDITIONS
caractériser la différence. Nous utilisions des normes qui consistaient à
mesurer la différence entre ce que l’on dépensait et ce que l’on gagnait
chaque année, le « résultat ». Nous le reportions de façon sincère, faisions
une photographie en fin d’année dans un bilan, ainsi qu’en fin de l’année
suivante et à celle d’après. On appelait généralement cela un patrimoine. De
fait, les entreprises étaient souvent transmises à la génération suivante dans
cet état, avec une perspective de long terme et le souci de la prudence.
L’approche alternative que nous avions adoptée sans le savoir tout à
fait consiste à voir l’entreprise comme une chose qui s’achète et se vend,
l’important étant de valoriser de façon instantanée l’ensemble des actifs et
des passifs. Pour ce faire, il faut prendre en compte le passé, qui est sûr, le
présent, mais surtout l’avenir. Le souci d’exhaustivité de ces normes, qui ne
viennent pas du continent européen, a ouvert la porte à quelque chose de
contraire à nos principes : la prise en compte du futur, l’inscription en
résultats de bénéfices non réalisés.
M. Éric Bocquet, rapporteur. – Vous évoquez nos principes :
parlez-vous là de la comptabilité française européenne traditionnelle ?
M. Jérôme Haas. – …Oui. Elle-même fille du code civil, comme dans
tous les pays d’Europe et du monde qui sont dans le même système ! C’est la
comptabilité telle qu’elle a été inventée à la Renaissance. A partir du code
civil, les choses ont divergé et, dans un autre pays européen s’est développé
une autre façon de faire des affaires, une autre manière de pratiquer
l’économie, avec une vision plus marchande que l’approche productrice qui
est la nôtre. La comptabilité, dans chacune des deux zones, a accompagné ces
mouvements.
Nous avons, en Europe continentale, une comptabilité de
producteurs. On est prudent, on est sur le long terme, on mesure les flux et
on accumule à la fin. Les autres ont plutôt une approche de marchands : ils
échangent, vendent, achètent. Ce qui est intéressant, c’est le prix. Demain est
un autre jour !
Mme Nathalie Goulet. – Il s’agit là des pays anglo-saxons !
M. Jérôme Haas. – Je n’en dirai pas plus…
Les règles qui nous régissent et qui nous différencient sont celles du
code civil. Ce sont les règles qui nous disent que n’est comptabilisable que ce
qui est sûr. Ce qui n’est pas sûr est très intéressant -et nous sommes
d’ailleurs favorables à ce qu’on en informe tout le monde, mais donner de
l’information, ce n’est pas la même chose que de produire un résultat ! Or,
aujourd’hui, tout le monde demande à la comptabilité un résultat. En bourse,
c’est le seul chiffre qui intéresse. Immédiatement. Après en avoir pris
connaissance, tous les partenaires de l’entreprise -spéculateurs, investisseurs
de tout genre- prennent leurs décisions, jusqu’à l’entreprise elle-même, en
fonction de ce chiffre sacré, clé, essentiel, fondamental, qu’est le résultat !
– 397 –
Pour nous, le résultat, c’est la différence entre deux flux, ce que l’on
dépense et ce que l’on gagne. C’est simple et sûr. Selon la comptabilité
internationale, le résultat réside dans la différence entre deux bilans, dans
lesquels peuvent se trouver des choses non réalisées. On n’est plus dans un
monde où les chiffres sont sûrs, mais dans un monde où ils doivent tout dire.
Or, en disant tout, ils disent également des choses fausses. Ce qui n’est pas
vrai, c’est ce qui porte sur l’avenir, la seule chose que l’on sache de l’avenir
étant qu’on n’en sait rien ! Si on comptabilise l’avenir, on comptabilise des
hypothèses. Plus il y a d’hypothèses, moins ce que l’on dit est crédible, et
tous ceux qui doivent prendre des décisions sur cette base risquent de se
tromper !
Cette différence entre le réalisé et le non réalisé est un sujet très
important. J’ai mis un certain temps avant de trouver que c’est ce qui nous
sépare vraiment. Nos amis affirment que ce qui n’est pas réalisé est très
important -engagements, créances, etc. Ils n’ont pas tout à fait tort de vouloir
tout dire, mais dire est une chose, le comptabiliser comme un résultat en est
une autre. Il faut, selon nous, comptabiliser que ce qui est effectivement
dénoué. C’est le code civil qui le dit. On fait bien la distinction entre ce qui
est sûr et ce qui est potentiel.
On en a vu les conséquences directes lors de la crise. Avant la crise,
la mesure dans les comptes des banques d’un certain nombre de produits qui
n’avaient pas de valeur de marché, en dehors d’hypothèses sur le futur, était
une valorisation théorique, elle-même liée à des mouvements de marché
obligatoirement changeants. Les comptes bougent donc comme les marchés
financiers, et vice-versa. Du fait de cet effet de miroir, plus personne ne voit
la différence entre la véritable performance d’une banque et la valeur exacte
de ses produits. Les valeurs de référence sont des valeurs de marché. Le
marché évolue d’une façon qui est répercutée dans les comptes. Ceux-ci
n’ont plus de spécificité, ne veulent plus rien dire.
Lorsqu’on arrive dans le mur, le choc est d’autant plus fort que
toutes les valeurs chutent d’un coup, l’ensemble de l’édifice reposant sur des
hypothèses qui se sont avérées fausses.
C’est ce que le G 20 a appelé la procyclicité, c’est-à-dire la tendance
des comptes à renforcer la cyclicité naturelle du marché, elle-même bien plus
élevée que les cycles économiques véritables, fondamentaux, de l’économie.
Où en sommes-nous ? S’agissant des grands principes fondamentaux
de définition et de mesure des instruments financiers, les propositions de
l’IASB, qui sont sur la table depuis 2009, n’ont toujours pas été adoptées par
l’Union européenne, n’étant pas totalement satisfaisantes. Elles n’apportent
en effet pas véritablement de réponses aux questions que je viens de
soulever, notamment en matière de procyclicité.
La recherche de solutions se complique d’un autre phénomène. Le G
20 a souhaité que nous cherchions à l’ensemble des problèmes et des
– 398 – COMPTES RENDUS DES AUDITIONS
sous-problèmes techniques des solutions qui conviennent à tous, et en
particulier à l’IASB. Il a également voulu que le Financial accounting
standards board (FASB) -mon homologue américain- adopte les mêmes
règles, ce qui est plein de bon sens, toutes les problématiques auxquelles
nous avons eu affaire ayant eu pour origine les règles appliquées en premier
lieu par les grandes banques d’investissement anglaises et américaines.
Les choses sont cependant complexes, et on est face à tout un
éventail de situations. Il existe des cas dans lesquels on n’arrive pas à se
mettre d’accord. Une des questions les plus connues réside dans le fait de
savoir si l’on inscrit au bilan en brut ou en net les positions en termes de
produits dérivés. Cela n’a pas le même effet. En brut, les montants sont
considérables des deux côtés du bilan ; en net, on affiche un chiffre bien plus
limité.
Je crois que Christian Noyer vous a parlé de la mesure de l’effet de
levier dans les banques, qui n’est pas la même suivant que l’on adopte l’un
ou l’autre des standards comptables. C’est de cela qu’il voulait parler…
Faut-il accepter de ne pas être d’accord avec ce type d’effet fâcheux,
qui fait que l’on ne sait plus très bien mesurer la situation respective des
banques de part et d’autre de l’océan, ou au contraire vouloir à tout prix se
mettre d’accord, quitte à ne pas y arriver ? C’est le cas à propos d’un autre
sujet fondamental, qui consiste à demander aux banques d’augmenter le
montant de leurs provisions en haut de cycle, lorsque tout va bien, afin de
pouvoir faire face, en bas de cycle, à des situations dans lesquelles elles ne
doivent pas pouvoir dire qu’elles n’ont pas suffisamment de capital pour
prêter à l’économie.
C’est ce que les banquiers et la plupart des acteurs français
réclament depuis très longtemps. C’est une disposition de bon sens. Reste à
savoir comment la calculer. L’IASB et le FASB n’y parviennent pas. Cela fait
des années que cela dure. On rencontre là des enjeux de compétitivité
considérables, analogues à ceux que j’ai cités à propos de la question du net
ou du brut des produits dérivés.
Il existe un autre cas de figure, dans lequel on se met d’accord sur
une solution médiocre. Nous avons vécu cela avec les seules normes
émanant de l’IASB adoptées depuis la crise par l’Union européenne ; ces
normes portent sur la façon de comptabiliser et de consolider les véhicules
spéciaux (SPV) utilisés par les banques, particulièrement aux Etats-Unis,
pour y loger un certain nombre d’opérations qui échappaient à la vigilance et
aux règles propres au secteur bancaire.
Les Américains ont beaucoup amélioré leurs règles, mais à un
niveau et suivant des modalités qui ne sont pas exactement celles de l’IASB.
Celui-ci pensons-nous, a quelque peu abaissé sa garde. Les règles
internationales, qui étaient relativement robustes et avaient permis que nous
ne nous trouvions pas dans la même situation de ce côté-ci de l’océan en
– 399 –
termes d’entités spécialisées déconsolidées, ont été légèrement relâchées
pour aller à la rencontre des Américains. La France s’est d’ailleurs abstenue,
à Bruxelles, lors du vote de cette norme.
Nous sommes donc face à la nécessité de gérer une problématique
mondiale. Nous essayons de le faire le mieux possible. Cela signifie que nous
devons livrer un débat conceptuel afin de déterminer les meilleures règles de
représentation de l’entreprise, face à un univers américain qui ne dispose pas
du code civil, mais d’un texte fondamental, pierre de touche de leur système
comptable, appelé cadre conceptuel. Selon moi, le code civil est bien plus
simple. Ce cadre conceptuel, qui n’est d’ailleurs voté par personne, permet
aux Américains de se fixer leurs propres métarègles, à partir desquelles ils
établissent leurs règles comptables.
Nous avons demandé ce débat dès 2008. Il vient de s’ouvrir. Nous
avons produit une première contribution et avons eu un véritable échange
pour tenter de revenir à des principes fondamentaux, dont le plus
emblématique, même s’il se traduit de façon complexe en termes de
technique comptable, demeure le principe de prudence. A Londres même, ce
souhait rencontre un très fort écho, car il y existe une prise de conscience de
l’ensemble des enjeux.
Il faut aussi négocier norme par norme. C’est ce que nous faisons.
Par ailleurs, dans la grande problématique de la convergence entre normes
internationales et américaines, il faut sélectionner ses priorités et choisir où
se placer. Enfin, il faut aussi faire en sorte -et nous nous y employons- que
les institutions internationales et européennes, qui décident de ces questions
comptables, soient renforcées. Le commissaire Barnier vient de confier une
mission à M. Maystadt, ancien ministre des finances belge, afin de renforcer
la gouvernance européenne en matière de prises de position à l’égard des
normes internationales. Il faut décider si on les incorpore dans le
droit européen, notamment à l’aune des principes fondamentaux, dont celui
de prudence.
M. François Pillet, président. – Votre propos nous intéresse
beaucoup. C’est la première fois que l’on aborde ce point très intéressant et
très technique. Le rapporteur doit mûrir un certain nombre de réflexions,
voire de propositions, et votre sujet est pour nous quelque peu novateur.
Poursuivez…
M. Jérôme Haas. – J’ai mis l’accent sur les questions strictement
comptables, mais je suis à votre disposition pour faire le lien avec toutes les
autres dimensions de la crise financière. Tout est lié. Le commissaire Barnier
a produit un Livre vert sur la question de l’investissement à long terme.
Nous y avons répondu, en essayant d’expliquer qu’un des effets de ces
normes comptables était de mesurer le monde à court terme. Il y a donc une
contradiction nécessaire entre une approche de ce genre et ce que nous
recherchons pour la croissance. Il ne faut pas le taire ; cela ira beaucoup
– 400 – COMPTES RENDUS DES AUDITIONS
mieux une fois qu’on l’aura dit, et l’on pourra en tirer un certain nombre de
conséquences, dans l’esprit même de tout ce qui a été fait pour trouver des
solutions à la crise financière…
Le second point que je voulais aborder est celui du rôle que joue la
comptabilité à l’égard des autres angles suivant lesquels on regarde
l’entreprise et les banques.
A l’origine était une harmonie très forte entre la comptabilité, socle
de toute mesure de l’activité des entreprises, et les autres branches du droit
qui, progressivement, s’y sont ajoutées. La fiscalité s’appuie sur la
comptabilité, et rien n’est plus satisfaisant pour la fiscalité que de pouvoir
être sûre des chiffres qu’on lui donne. Pouvoir s’affranchir du travail qui
consiste à compter les stocks, inventorier les dépenses et les recettes et
étudier les principales caractéristiques de l’entreprise représente un enjeu
considérable pour les fiscalistes.
Au fur et à mesure, d’autres branches sont venues se greffer à celles-ci ;
les plus parlantes, en matière bancaire, sont les règles prudentielles. Pouvoir
travailler sur les comptes constitue une sécurité fantastique, et un gain de
temps évident. Toutefois, cette connexion se détend, et je ne puis dire que ce
soit réversible, ni même injustifié.
Toutes choses égales par ailleurs, les objectifs propres à la fiscalité et
à la comptabilité prudentielle se sont développés avec leur autonomie. Ainsi,
ce qui intéresse le comptable, c’est de dire de manière sûre combien
l’entreprise a gagné cette année et quelle est sa situation nette. C’est déjà très
difficile… Ce n’est pas le problème de la fiscalité qui, sur la base des impôts
définis par le Parlement, saisit la matière fiscale, et utilise toutes les
informations qu’elle trouve dans les comptes, dans un but tout à fait
différent : générer des recettes fiscales.
Ce qui a précipité les choses, c’est le fait que nous ne travaillons plus
que dans un univers international. Or, nous sommes pratiquement les seuls à
avoir gardé cette connexion, à ce degré et aussi longtemps. Dans beaucoup
d’autres pays pourtant de même tradition juridique, les choses ne sont pas
allées aussi loin. Or, il y a dans cette connexion toute une organisation
administrative, un rapport entre administration fiscale et entreprises. Il ne
s’agit pas simplement de droit, mais de la réalité.
La plupart des pays n’ont donc plus grand-chose qui ressemble à
notre système. Par ailleurs, au fur et à mesure que l’on développe des
normes internationales, elles constituent des couches entières de textes qui
viennent s’insérer dans notre droit. Or, elles n’ont jamais été conçues pour
offrir une quelconque continuité avec les autres branches de notre droit,
suivant nos conceptions.
J’ai déjà expliqué que les normes comptables internationales étaient
différentes de celles qu’on avait auparavant ; elles ont en partie coloré la
– 401 –
langue comptable française. Du coup, on a commencé à assister à une
difficulté d’emboîtement avec les autres branches du droit.
Il en va de même des normes prudentielles ; au fur et à mesure que
les normes comptables internationales venaient ajouter de l’imprudence, les
normes prudentielles étaient obligées de rajouter leur propre prudence, mais
dans un langage qui est le leur. Vous voyez donc à quel point les systèmes
s’emboîtent mal.
S’ajoutent à cela d’autres étages, purement réglementaires. Par
exemple, les normes figurant dans la loi bancaire concernant les activités
localisées dans certains centres ne constituent pas un véritable sujet
comptable. Ce n’est pas non plus un sujet prudentiel, mais un sujet
réglementaire propre, très spécifique. Il vient s’ajouter aux autres couches…
Autre exemple : la publication d’informations utiles sur les bonus
constituent un élément très important, mais qui ne changent rien au résultat
de la banque ou à son patrimoine. Ce ne sont pas non plus des éléments
prudentiels. Ils sont donc traités à part. Ils ont par ailleurs une dimension
comptable, parce que les bonus versés sont généralement indexés sur des
résultats futurs, que ne reconnaissent que les normes comptables
internationales ou les normes américaines…
Demain, le domaine de la responsabilité sociale des entreprises
(RSE) aura été intégré à ces éléments. Aujourd’hui, beaucoup de gens
pensent que les entreprises doivent fournir tout un tas d’autres chiffres, qui
ne vont pas du tout s’emboîter avec les autres.
Il existe donc des dynamiques propres à chaque angle de
représentation de l’entreprise ou de la banque, qui ont de bonnes raisons de
se développer dans un univers international, parce qu’ils ont des logiques
propres, avec des instruments, des institutions, dans des branches du droit
différents. Tout se désarticule quelque peu, bien que nous essayions de faire
tout ce que l’on peut pour garder le plus de cohérence possible, sans
toutefois avoir l’ambition de revenir à une économie simple, où
n’existeraient que la comptabilité et la fiscalité, avec des entreprises ne
travaillant qu’à l’intérieur de l’hexagone. Il s’agit probablement là d’une
époque révolue. Comment vivre avec cette fragmentation que l’on observe
dans tous les domaines ? C’est véritablement un enjeu auquel nous faisons
face…
Pour conclure, il faut s’assurer que la comptabilité continue de
rendre compte de ce qui a eu lieu. Ce n’est pas une chose facile. Nous avons
aujourd’hui des débats interminables avec l’IASB sur la manière de
comptabiliser les impôts payés, une taxe construite en droit français n’étant
pas forcément comprise par les producteurs de normes internationales. La
conservation d’un minimum de cohérence est donc un exercice complexe.
C’est là le message que je voulais vous livrer.
M. François Pillet, président. – La parole est au rapporteur…
– 402 – COMPTES RENDUS DES AUDITIONS
M. Éric Bocquet, rapporteur. – Je m’associe pleinement à
l’appréciation formulée par le président au sujet de votre propos introductif,
qui apporte à notre réflexion. Cela permet d’envisager un certain nombre
d’aspects d’une autre manière.
Vous avez évoqué un cadre conceptuel pour la comptabilité
anglo-saxonne. Qui l’a conçu ? Qu’y a-t-il dedans ? A quoi correspond-il
historiquement ? Cela me semble un point essentiel, voire fondamental…
M. Jérôme Haas. – Le cadre conceptuel a émergé à la fin des années
1970, aux Etats-Unis. Il est intéressant de noter qu’après la crise de 1929 et les
lois de 1933, 1934 et 1935, qui ont créé la Securities and exchange commission
(SEC) -à laquelle ressemble beaucoup notre ancienne Commission des
opérations de bourses (COB) et notre actuelle Autorité des marchés
financiers (AMF)- s’est écoulée une période d’une soixantaine d’années de
stabilité financière.
Puis, à la fin du XXème siècle, un certain nombre de phénomènes se
sont produits, qui ont formé ce qu’il est convenu d’appeler la financiarisation.
Un certain nombre de critiques ont alors été adressées à toutes les normes
comptables et à toutes les réglementations nées de cette époque de stabilité,
durant laquelle il fallait en finir avec la spéculation qui avait débouché sur la
crise de 1929.
Ces normes très stables ne convenaient plus à ce que l’économie était
en train de devenir. Celle-ci se fluidifiait, se déterritorialisait, se
financiarisait. Les normes – à commencer par les normes comptables n’étaient
pas faites pour cela. Elles ont donc changé progressivement…
Pour ce faire, il a fallu tracer la voie. Cela a consisté, pour le
normalisateur comptable américain, à rédiger un cadre conceptuel. Il est
toujours en vigueur et sert de référence aux normes comptables américaines.
L’IASB, qui a travaillé dans les années 1980-1990, et dont les normes
ont été adoptées par l’Europe en 2002, a copié la démarche américaine, et a
décidé d’écrire son propos cadre conceptuel, qui ressemble beaucoup au
cadre américain.
Il a été adopté uniquement par l’IASB, et ne l’a pas été par
l’Union européenne, qui n’en a pas l’intention, ne serait-ce que parce qu’il
n’est pas écrit de manière juridique. Nous ne pourrions l’inscrire dans notre
droit européen : ce sont des considérations, des idées, des discussions…
Nous ne voulions pas lui accorder trop d’importance, du fait de son
contenu et de sa forme, mais il fallait bien chercher la cause des défauts de
ces normes. Nous avons obtenu d’ouvrir le débat à ce propos. Nous ne
comptons pas aboutir à une excessive rigidification du texte, compte tenu de
l’état du débat, dont je ne sais quelle sera l’issue, mais nous essayons de
mettre le doigt sur les problèmes clés, que le nouveau projet a pour effet
– 403 –
d’accentuer encore au lieu de les résoudre, et d’avoir un débat si possible
public sur les enjeux de ces concepts.
On n’arrivera probablement pas à changer la manière de penser de
personnes qui ne possèdent pas de code civil ; en revanche, nous voulons un
débat sur le fait de savoir si l’on met dans les comptes ce qui est réalisé ou
non. Si l’on met autre chose, on rend possible la procyclicité !
M. Éric Bocquet, rapporteur. – La crise engagée en 2008 -dont nous
ne sommes toujours pas sortis à ma connaissance- a-t-elle amené une remise
en question de la part de la finance anglo-saxonne ?
M. Jérôme Haas. – Beaucoup de mesures très fortes ont été
indubitablement prises. Bâle III représente tout de même quelque chose de
très conséquent et a été très rapidement mis en œuvre. L’European market
infrastructure regulation (EMIR) et tout ce qui consiste à rendre transparent
la compensation des dérivés à l’échelle mondiale est à mes yeux le résultat le
plus monumental qui ait été atteint à l’issue de la crise.
D’autres progrès ont été réalisés aux Etats-Unis, où existaient des
« trous à combler ». Toute une série de mesures très importantes sont
intervenues. Il subsiste aujourd’hui des zones de vulnérabilité dans le
contexte macroéconomique, dans le système de supervision. Il en existe
indubitablement toujours dans le domaine des normes comptables, les
modifications attendues n’ayant pas encore eu lieu. De ce point de vue, il
reste encore du travail à réaliser. Nous sommes maintenant, quoi que nous
fassions, dans un débat mondial.
M. Éric Bocquet, rapporteur. – N’y a-t-il pas un bras de fer entre
deux logiques ?
M. Jérôme Haas. – Je le crois. Manifestement, mes interlocuteurs les
plus fréquents ne sont pas disposés à dire explicitement qu’il faut changer
les choses. En revanche, il existe un mélange ou une coexistence de
mouvements dans les deux sens. La persistance des anciennes conceptions
accroît encore les risques mais, en même temps, on assiste à de timides
tentatives pour aller dans le bon sens.
Il existe ainsi une idée étrange en matière de normalisation
comptable, qui consiste à couper la poire en deux. Pour ce faire, on a inventé
une rubrique, à laquelle on a donné le nom un peu barbare d’ « autre revenu
global », qui ne veut rien dire -sans doute à dessein. Logée dans le bilan, elle
affecte néanmoins les capitaux propres. Pour un établissement financier, ce
n’est pas tout à fait anodin… C’est un compromis, pas très bon, mais
meilleur qu’une véritable mauvaise solution. J’y vois là la manifestation que
certains comprennent qu’il faut bouger.
Cet exemple va être au cœur de la nouvelle norme, débattue en ce
moment pour le secteur des assurances. Cela fait plus de dix ans que l’IASB
tourne autour de ces questions, sans parvenir à un résultat. Si vous êtes
– 404 – COMPTES RENDUS DES AUDITIONS
pessimiste, vous constatez la persistance de tendances anciennes ; si vous
êtes optimiste, vous observez la tentative de trouver un certain nombre de
compromis, qui débouchent parfois sur de bonnes solutions, comme en
matière de provisions bancaires. Notre engagement est de dire aussi
clairement que possible ce que nous croyons indispensable, notamment en
termes de principes, de concepts, mais également en négociant norme par
norme, et en essayant de faire bouger les choses.
M. Éric Bocquet, rapporteur. – Il existe un site facilement accessible
appelé « SFM offshore », qui propose une série de juridictions à travers le
monde. SFM offshore crée une société, et l’implante où vous le souhaitez
-îles vierges britanniques, par exemple. Capital à verser : 0. Comptabilité :
non. Impôts : 0. Délais de formation : 2 à 3 jours. Voilà une véritable zone de
totale opacité, où les normes ne s’appliquent même pas ! Comment
l’appréhendez-vous ?
M. Jérôme Haas. – Toute une série d’efforts ont été réalisés pour
essayer de faire en sorte que l’ensemble des territoires, quels qu’ils soient,
adhèrent à un minimum de standards internationaux, parmi lesquels les
normes comptables. C’est le travail du Conseil de stabilité financière, à
l’échelle internationale, sous l’égide du G 20, que d’étendre le champ couvert
par ces standards internationaux, et de dresser la liste des Etats qui ne les
appliquent pas ou qui ne les mettent pas en œuvre correctement.
La réponse pratique, depuis maintenant un assez grand nombre
d’années, est celle-ci. On peut estimer qu’elle est plus ou moins efficace, mais
elle est en tout cas en marche.
Je n’ai rien à en dire, du point de vue technique, si une entité est
localisée là-bas et n’a pas de lien particulier avec une entreprise située en
France ou en Europe. Si elle est détenue par une entité qui applique les
règles en vigueur, en France ou en Europe, elle doit être consolidée. Elle est
alors prise dans l’ensemble des comptes produits par la maison mère.
M. Éric Bocquet, rapporteur. – Les multinationales, et même les
banques, sont très souvent présentes dans ces juridictions. Vous
semblent-elles publier suffisamment d’informations sur la réalité et la
répartition géographique de leurs opérations économiques et financières ?
M. Jérôme Haas. – C’est ce que j’ai développé tout à l’heure : ce qui
compte pour les comptables, c’est de pouvoir dire aux actionnaires de la
maison mère ce qu’ils ont gagné. Le degré de détails ne constitue pas la
question fondamentale. L’important, c’est d’être sûr de n’avoir rien oublié, et
que l’ensemble des éléments qui font la richesse ou la pauvreté de la maison
mère sont effectivement comptabilisés.
Cela n’empêche pas de souhaiter par ailleurs que les maisons mères
en disent plus, mais cela ne résulte pas d’une motivation comptable. C’est
pourquoi le législateur a fait obligation aux sociétés de dire, de manière
détaillée, ce qu’elles font dans tel ou tel pays. Il peut exister d’autres points
– 405 –
de vue, comme celui qui a fait l’objet de discussions internationales, et qui se
traduit par une directive européenne. Ce dernier résulte essentiellement des
demandes d’organisations non gouvernementales, qui souhaitaient connaître
les versements effectués, pays par pays, à tous les Etats dans lesquels sont
implantées les grandes entreprises. Cette obligation s’est écrite d’une autre
façon, mais n’est pas fondamentalement de nature comptable. C’est là le
champ du législateur, ou du Gouvernement.
Mme Nathalie Goulet. – Cette audition, qui aurait pu débuter le
cycle de nos réunions, va finalement le conclure…
J’aimerais que vous nous parliez de l’Autorité des normes
comptables. Combien de personnes travaillent avec vous ? A qui
rapportez-vous et comment établissez-vous les comptes rendus de vos
travaux ?
M. Jérôme Haas. – L’ANC est le successeur du Conseil national de la
comptabilité, qui rassemblait tous les professionnels français et produisait
des avis, et du Comité de réglementation comptable, présidé par le ministre
qui, recevait l’avis de ce Conseil national, et le transformait ou non en texte
réglementaire. Les deux ont été fusionnés pour produire l’ANC, à une
époque où tous les grands organismes français de régulation se sont
transformés en autorités, ce que je trouve fort bienvenu !
Le mode de fonctionnement de l’ANC va vous en rappeler beaucoup
d’autres comparables. Celle-ci recourt à un collège composé de personnalités
du secteur privé, mais aussi de représentants de grands organismes, du
Conseil d’Etat à la Cour de cassation, ou issues de la régulation. L’Autorité
de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) et l’AMF siègent également
au collège, et je fais moi-même partie de leur collège. Nous avons donc, en
France, le système le plus intégré. Je le trouve efficace et raisonnable de ce
point de vue.
Ce collège travaille avec des commissions constituées par ses
membres, mais aussi par des experts qui le rejoignent. Des groupes de travail
permettent de « labourer le terrain » pour produire les règlements qu’il s’agit
d’établir en matière de normes françaises. C’est dans ce même schéma, et
suivant ces mêmes procédures, que l’on élabore nos positions écrites à
l’égard des autorités européennes ou du normalisateur international.
Mme Nathalie Goulet. – Qui est ce « on » ?
M. Jérôme Haas. – Il s’agit en l’occurrence de l’ANC, qui a le droit
de prendre des règlements, sous réserve d’homologation par le ministre des
finances et par celui de la justice. L’ANC est constituée d’un peu moins de
30 personnes. L’équipe professionnelle est encore plus réduite, puisqu’elle
compte une dizaine de membres. Il s’agit d’un petit organisme, qui n’a pas
de personnalité morale.
– 406 – COMPTES RENDUS DES AUDITIONS
Cet organisme est en fait à la taille de ses homologues européens.
Malgré ou à cause des désaccords, et afin d’essayer de les dépasser, je
travaille de plus en plus avec les Anglais, les Allemands, les Italiens. Nous
sommes à peu près tous comparables, aux détails de structure près.
Nous rendons compte dans des rapports annuels, mais aussi grâce à
beaucoup de documents qui figurent sur notre site internet. Nous avons
commencé par un plan stratégique, puis un autre a suivi. En plus de la
production de normes françaises pour les comptes individuels de toutes les
sociétés françaises et pour les comptes consolidés de celles qui ne sont pas
cotées, et en plus des débats sur des normes internationales, nous avons un
troisième axe de travail qui consiste à encourager la recherche, afin de tirer le
meilleur de ce que nous avons dans le monde universitaire français et le
projeter à l’extérieur. Nous organisons chaque année une grande
manifestation à Paris. Nous y faisons venir les étrangers et allons aussi
beaucoup chez eux, pour que la France soit un contributeur important,
écouté et entendu dans ce débat international sur les normes comptables,
d’où nous avons largement disparu après l’adoption des normes comptables
internationales.
L’élévation du niveau européen au niveau international, qui a
souvent eu lieu dans ces matières, nous a finalement plutôt servis. Nous
trouvons souvent un écho dans le débat international, car il existe, à travers
le monde, des Etats qui se situent dans les deux camps. Notre troisième bras
-la recherche- est donc tout aussi fondamental que les autres.
Mme Nathalie Goulet. – Quel est votre avis sur l’ACPR ? Lorsque
nous avons entendu son président, j’ai eu le sentiment que son rôle était très
limité. Nous avons, par ailleurs, eu une audition extrêmement médiatisée de
Dominique Strauss-Kahn, qui nous a expliqué, concernant le secteur
bancaire, que les normes étaient très loin de refléter la réalité, notamment en
matière de refinancement lors de la crise…
M. Jérôme Haas. – Je suis convaincu que le principal facteur qui
différencie la santé du secteur bancaire réside dans la qualité de la
supervision, quelles que soient les normes.
Il existe énormément de questions techniques et normatives, mais la
question fondamentale est celle de la qualité et de l’intensité de la
supervision. De ce point de vue, j’ai toujours été persuadé que le travail
réalisé en France en direction du secteur des banques et des assurances, s’il
est probablement perfectible, figure cependant, sur une échelle relative
mondiale, dans la catégorie des meilleurs. Il n’y a aucune espèce de doute
là-dessus. Ceci est dû à toute une série de facteurs qualitatifs, et au fait qu’on
y attache une grande importance. Cela ne va pas de soi : d’autres Etats, avant
la crise, affirmaient que la supervision n’était pas importante, celle-ci étant
décrite comme devant être « légère ».
– 407 –
Nous avons par ailleurs des hommes de qualité pour mener cette
supervision. Ce n’est pas une mince affaire : il s’agit d’un corps de
spécialistes, qui ont derrière eux une longue carrière dans ce domaine.
En troisième lieu, je pense que la régulation est placée au bon
endroit et qu’elle est bien intégrée dans les institutions. N’oublions pas que
d’autres Etats, qui ont opéré, avant la crise, des choix d’organisation
radicalement différents, reviennent aujourd’hui vers notre modèle. Il me
semble que les résultats que l’on peut constater dans le secteur financier
français témoignent globalement de la qualité de la supervision. Je le dis de
manière aussi humaine que possible, en m’écartant pour une fois de la
technique.
M. Éric Bocquet, rapporteur. – Quel est le statut juridique de
l’ANC ?
M. Jérôme Haas. – C’est un organisme qui n’a pas de personnalité
morale, qui constitue en fait une partie du ministère des finances. L’ANC a
été créée par une loi, qui a défini la composition du collège, son mode
d’organisation, son travail, sa mission. C’est une entité légère, ce que je
considère comme une vertu. C’est l’aboutissement d’une série de
modifications, qui ont eu lieu dans les années récentes. Je crois, après y avoir
beaucoup réfléchi, que c’est la solution la plus économe des deniers publics,
et que cela ne nous prive d’aucune efficacité pratique -au contraire !
M. Éric Bocquet, rapporteur. – Qui est derrière l’IASB, organisme
privé ?
M. Jérôme Haas. – Je crois que c’est à l’origine une fondation. Il
s’agit d’un système très anglo-américain. La fondation reçoit des fonds ; elle
est dirigée par des « trustees », je suppose constitués sous forme de trusts.
C’est un conseil qui gère cette fondation. Son comité de nomination est choisi
par cooptation ; il détermine les trustees, qui désignent les membres de
l’IASB. C’est le garant de leur indépendance, qui est définie de façon stricte
et jalouse. En réalité, celle-ci existe surtout dans les textes constitutifs de
l’IASB lui-même. On dit souvent que l’IASB est conçu d’une manière qui
pourrait rendre jaloux le président de la Banque centrale européenne (BCE),
qui n’a pas une telle indépendance, alors que c’est l’exemple qui avait été
choisi par l’IASB pour refuser toute interférence politique.
M. Éric Bocquet, rapporteur. – Où son siège se trouve-t-il ?
M. Jérôme Haas. – Il est à Londres. J’ai un doute sur le lieu où siège
la fondation. Je crois qu’il est également situé à Londres. Il faut que je
vérifie…
M. Éric Bocquet, rapporteur. – Quels moyens avez-vous de vérifier
que la consolidation des sociétés multinationales est exhaustive ?
– 408 – COMPTES RENDUS DES AUDITIONS
Par ailleurs, avez-vous connaissance des principaux arbitrages
comptables au cœur des contestations entre l’administration fiscale et les
contribuables, en particulier les banques ?
M. Jérôme Haas. – Nous avons pour seule responsabilité d’établir les
normes. Nous ne sommes pas directement parties prenantes à la mise en
œuvre de ces normes, ni à leur contrôle.
Nous avons besoin de nous assurer que nos définitions sont
suffisamment robustes. Tout ceci tourne autour de la question du contrôle.
Qu’est-ce que le contrôle ? L’histoire de cette notion est celle du passage
d’une définition juridique très stricte -la majorité des voix- à la recherche
d’un contrôle plus économique, jusqu’à des notions qui, dans les normes
internationales d’information financière (IFRS), vont extraordinairement loin,
et ont leur intérêt. Elles ont permis d’encadrer la constitution de véhicules
spéciaux, comme je le disais. Au-delà, la question du contrôle nous échappe.
Nous n’avons pas connaissance des discussions sur le terrain que
vous mentionnez. C’est également le cas dans le monde prudentiel. Les
logiques sont différentes, même si elles sont parfois nécessairement
parallèles.
M. Éric Bocquet, rapporteur. – Avez-vous connaissance des
principaux arbitrages fiscaux entre l’administration et les banques ?
M. Jérôme Haas. – Non. Il n’y a pas, à ma connaissance, de position
comptable de l’administration fiscale. Il peut y avoir une autre lecture de la
norme comptable. Les relations sont telles que, s’il existe une question de
principe, l’administration a l’habitude de revenir vers nous et de nous poser
des questions.
M. Michel Bécot. – Quelles sont les règles comptables de la Chine,
du Brésil, de l’Inde ? Si j’ai bien compris, ce sont les règles et l’ingénierie
financière anglo-saxonne qui nous gouvernent aujourd’hui…
M. Jérôme Haas. – Il y a indubitablement une cohérence dans
l’ensemble des règles utilisées par la finance, qui sont produites et mises en
œuvre au même endroit.
Pour autant, dès lors que l’on prend au sérieux la mondialisation des
règles comptables et que l’on enclenche le débat mondial, on s’aperçoit que
celui-ci existe.
L’IASB a tout fait pour que les Etats-Unis adoptent les normes qu’il
produit. Pour l’instant, les Américains ont fait savoir qu’ils s’en inspireraient
fortement, travailleraient de concert, mais ne les adopteraient pas, bien qu’il
existe aujourd’hui une certaine harmonie de vue, avec des différences, entre
la comptabilité des Etats-Unis et celle de l’IASB.
Au Japon, un mouvement s’est initié pour se diriger vers les normes
internationales. Il existe dans ce pays un foyer très important de résistance à
– 409 –
ce mouvement, notamment de la part de l’industrie, qui compte beaucoup
dans ce pays, et qui a construit le miracle japonais sur un système prudent,
consistant à cumuler lentement les bénéfices, à les réinvestir, à ne voir qu’à
long terme, sans distribuer trop vite les dividendes aux actionnaires qui
profitent des valorisations à court terme. C’est ce qui a fait le succès du
Japon. Les Japonais sont donc très inquiets à l’idée de s’en départir.
Le grand économiste Galbraith aurait été mandaté par le général
Mac Arthur, après la guerre, pour mettre en place la comptabilité au Japon ;
il se serait très largement inspiré du plan comptable général français. Si c’est
vrai, c’est intéressant et peut expliquer certaines choses…
L’ensemble des autres pays se positionnent de manière très
différente. Certains prétendent adopter les normes, mais il s’agit en réalité de
pays émergents qui, dans la pratique, ne les mettent pas tout à fait en œuvre
lorsqu’ils s’aperçoivent que telle partie ne leur convient pas, qu’ils ne savent
pas les mettre en place, ou qu’elles ne sont pas compatibles avec leurs règles
juridiques ou leurs pratiques économiques. C’est aussi le cas du Canada -qui
n’est pas un pays émergent- qui n’a pas adopté ces normes dans tous les
secteurs.
La Chine affirme qu’elle les emploie. Ce que nous comprenons de
cette position, c’est qu’elle pose des questions très fortes sur la valeur de
marché, c’est-à-dire la question de la valorisation des actifs financiers, afin
de savoir si on les met en valeur instantanée ou non. C’est dire que nous
avons de bons sujets de conversation…
L’Inde a adopté les normes avec des dizaines de réserves, montrant
qu’elle est en chemin.
Je pourrais continuer ainsi une longue litanie. Certains pays ont
adopté ces normes dès le début : France, Australie, Nouvelle-Zélande,
Afrique du Sud. Les autres ont adopté des stratégies différentes. C’est la
question qui a été posée par Michel Barnier à Philippe Maystadt : que faire ?
Faut-il continuer ainsi ? Faut-il prendre un peu de recul, se ménager la
possibilité de changer de norme ? Il est vrai qu’il n’existe pas de précédent,
dans l’Union européenne, d’externalisation de la production de normes aussi
centrales que des normes comptables.
Le débat est maintenant ouvert. Je pense que nous avons contribué à
le poser. Je ne sais le nombre d’années qu’il faudra pour arriver à trouver
une solution, mais nous en discutons…
M. Éric Bocquet, rapporteur. – Avez-vous connaissance des
principales observations du Haut-commissariat aux commissaires aux
comptes (HCCC) sur les sociétés financières ?
M. Jérôme Haas. – Je n’ai pas connaissance que le HCCC ait formulé
d’observations dont il faille que nous tirions des conséquences en termes de
normes comptables.
– 410 – COMPTES RENDUS DES AUDITIONS
Cependant, la plus importante des recommandations générales
formulées dans son dernier rapport annuel porte selon moi sur la formation
des hommes. Il est indispensable de pouvoir compter sur des hommes et des
femmes qui comprennent une matière aussi complexe que celle des banques.
Il faut qu’ils soient capables de questionner le système, de le mettre en cause
et de le pousser vers les bonnes solutions.
Je suis convaincu que la clé réside dans leur capacité à jouer
pleinement leur rôle de chiens de garde. Un des secrets d’un certain nombre
d’institutions financières, en France ou ailleurs, réside dans le fait de pouvoir
compter sur des personnes de très grande qualité dans les fonctions de
contrôle. C’est, de manière générale, une très grande source de sécurité pour
les systèmes.
M. François Pillet, président. – Vos propos font-ils l’objet de
publications qui pourraient nous être éventuellement utiles ?
M. Jérôme Haas. – En effet. Il faudra que j’identifie la plus
synthétique…
M. François Pillet, président. – Vous pouvez nous en faire parvenir
deux ou trois : nous les lirons !
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