Retranscription – « Le monde des affaires est fasciné par le darwinisme », le 31 août 2014

« Le monde des affaires est fasciné par le darwinisme », le 31 août 2014. Merci à Marianne Oppitz !

Mais dans un monde qui est de plus en plus marchandisé, tout a un prix et tout ce qui crée de la valeur et qui n’a pas encore véritablement un prix, heureusement, n’est pas apprécié à sa juste valeur et, par conséquent, est considéré comme étant inutile, qu’il faut s’en débarrasser, etc. Le tournant qui était le plus dangereux, c’est celui des années 70 quand on a essayé – et on y est arrivé d’ailleurs, malheureusement – à concevoir le fonctionnement des États dans une logique d’entreprise. On a commencé à calquer le fonctionnement de l’État sur celui d’une entreprise. En mettant entre parenthèses le fait qu’il y avait des tâches probablement qui étaient remplies par des États que les entreprises ne pouvaient pas remplir. Mais on s’est mis à faire des calculs et on a – dans une logique de ranking , de calcul de compétitivité comme on appelle ça, etc. – on a marchandisé le monde de la valeur et, le monde de la valeur, ce n’est pas simplement l’art, c’est, par exemple, la vie quotidienne à l’intérieur d’une famille, etc. On est en train de marchandiser cela aussi.

On a introduit, en fait, une logique qui est, à mon avis, une logique mortifère. C’est une logique de concurrence. Et c’est Saint-Just qui avait fait la remarque – il n’était pas dans notre contexte à nous mais il avait fait la remarque sur cette émergence qui allait devenir le libéralisme, c’est qu’on essaye de nous imposer des rapports entre êtres humains qui sont ceux qui apparaissent dans la nature uniquement comme les rapports de concurrence entre des espèces différentes. Il dit : « Voilà, on essaye de dresser les hommes les uns contre les autres en mettant entre parenthèse que leur réaction spontanée c’est la solidarité, c’est l’entraide. On essaye de les endoctriner dans une logique où ils se conduiront, entre eux, comme le rapport entre les buffles et les lions, c’est-à-dire un rapport naturel. »

Et, ce n’est pas par hasard, je crois, que le milieu des affaires est tellement fasciné par le darwinisme parce que c’est une tentative, je dirais presque délibérée, de réintroduire une logique de « l’homme loup pour l’homme », de guerre de chacun contre tous, délibérément comme étant une utopie d’extrême droite, pour remplacer ces solidarités naturelles qui existent dans les sociétés humaines. Il faut savoir que ces solidarités ne se font pas, je dirais, nécessairement dans un cadre entièrement pacifié. Les solidarités sont souvent imposées par les sociétés avec un système de répression derrière. Mais beaucoup de sociétés fonctionnent avec des principes de solidarité inscrits dans leurs règles mêmes de fonctionnement.

Mais on essaye de nous présenter comme étant simplement une « philosophie de l’entreprise », ce qui est en réalité un « programme politique ». Et un programme politique extrême. Bien entendu, les gens qui tiennent le discours ultralibéral, ont une tendance à présenter leurs conclusions et leurs prescriptions comme étant dans la nature de l’homme. Il y a tout ce discours qui consiste à dire : « c’est comme ça que nous sommes, avec l’homme rationnel, l’homo oeconomicus, etc, etc. » Mais en fait il faut bien voir – à l’échelle d’une analyse des représentations, des modèles idéologiques de nos sociétés – c’est une tentative bien particulière. C’est une tentative particulière dont on connaît les auteurs et, leur projet, c’est un projet relativement simple : c’est de remplacer le système féodal qui était de créer une aristocratie fondée sur la possession de la terre, sur la propriété terrienne, de reconstituer un système de type féodal fondé sur l’argent. Reconstituer un système purement et simplement hiérarchique à partir de la capacité à créer de l’argent qui est considéré comme une équivalence du talent. Quelle est la justification quand on demande à un dirigeant de banque pourquoi il reçoit 22 millions, il dit : « Mais, parce que ça reflète mon talent ! ». Voilà !

Ça, c’est la représentation… donc tout ça renvoie à une donnée de type naturel. De la même manière que, dans ce même cadre, quand vous dites : « lutte des classes » on vous dit : « mais non ! il n’y a pas de lutte de classes. Il y a simplement une division sociale du travail qui est un processus naturel et, ceux qui ne comprennent pas ce processus croient qu’il y a des classes et croient que ces classes sont en lutte ! » C’est-à-dire que c’est tout un discours de naturalisation, en disant : « Ce n’est pas une idéologie que nous défendons, c’est la manière dont l’homme est par nature. » Et la tradition, elle, remonte jusqu’au XVIIIe, même jusqu’au XVIIe siècle, dans cette voie là.

Ce qu’il faut faire, c’est dénoncer cela. Ça n’a rien à voir avec une représentation de type biologique ou de type sociologique de nos sociétés, c’est un projet de société, bien particulier. Et, c’est un projet de société – à l’intérieur des idées telles que nous avons développées – qui est un projet d’extrême-droite. C’est carrément ça. Quand on nous dit « Oui mais la Commission européenne à Bruxelles… », quand on nous dit : « la Banque Centrale Européenne… », quand on nous dit « Le Fonds monétaire international… », il faut bien dire que ce sont les représentants d’une idéologie bien particulière : une idéologie d’extrême-droite qui a un projet de société. Et c’est un projet de société qui est facile à définir : c’est la reconstitution d’un système féodal avec une aristocratie de l’argent.

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  1. Mes yeux étaient las, bien plus que là, juste après l’apostrophe : la catastrophe.

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