La presse : « M. Trump a demandé à ses conseillers juridiques s’il pouvait s’accorder le pardon présidentiel à lui-même ». Cela m’a rappelé mon billet du 27 mars.
Les rapports entre le récent Président des États-Unis, Donald Trump, et la vérité et la réalité semblent à ce point problématiques que certains n’ont pas hésité à imaginer que pourrait exister entre les faits et les non-faits, une troisième catégorie : celle des “faits alternatifs“, voire même que nous serions entrés peut-être dans une nouvelle ère : celle de la “post-vérité”.
Une analyse de l’entretien “sur la vérité et les faussetés” que M. Trump a accordé le 23 mars au magazine Time révèle cependant que les notions existantes suffisent amplement à décrire la relation qui est la sienne avec la vérité et les faits.
“Je suis une personne très intuitive”, dit M. Trump. Cette intuition lui permet de connaître la nature des choses sur le mode de l’éternité. Quand le journaliste de Time magazine lui fait remarquer qu’il a faussement affirmé qu’un très grave incident avait eu lieu en Suède, il répond : qu’importe, un incident du genre de celui que j’avais évoqué s’est produit le lendemain. Le journaliste revient alors à la charge, rappelant que si le passé est connu, le futur ne l’est pas : “Vous dites maintenant que vous rapportiez quelque chose qui arriva le lendemain”. Et Trump de lui rétorquer : “Je parle du fait que ce que la Suède s’est infligée est très triste”. C’est donc de la Suède en tant que telle que parle le Président et ce qu’elle est aujourd’hui explique aussi bien ce qui s’y passera demain que ce qui s’y est passé hier. Parce que je suis un intuitif, affirme M. Trump, les faits s’avèreront être ce que je dis et, soit ils me donnent d’ores et déjà raison, soit ils me donneront raison a posteriori.
D’où lui vient ce talent particulier ? “J’ai cette tendance à avoir raison. Je suis une personne instinctive. Il se trouve que je suis une personne qui sait comment marche le monde.”
On aura bien entendu reconnu dans cette dernière affirmation, non pas un changement de paradigme épistémologique justifiant l’introduction d’un nouveau type de faits ou une nouvelle ère pour la vérité, mais un jugement classique des gens d’affaires à propos des intellectuels ou des moralistes : “Nous savons nous comment fonctionne véritablement le monde (sous-entendu : c’est l’argent qui mène la danse)”.
Un autre propos de M. Trump renforce ce trait quand, en fin d’entretien, il s’adresse de cette manière au journaliste : “Écoutez, en attendant, il me semble que je ne me débrouille pas si mal puisque je suis Président et que vous ne l’êtes pas”. On aura reconnu là aussi un grand classique de la manière dont les gens d’affaires s’adressent aux intellectuels et aux moralistes : si vous étiez aussi intelligent que vous l’imaginez, pourquoi ne gagnez-vous pas autant d’argent que moi ?
Et l’on voit apparaître ici une seconde raison pour laquelle M. Trump se trompe rarement, en plus de son tempérament intuitif : le fait que disposer d’argent permet de faire que le monde soit de la manière dont on a dit qu’il serait. Et le fait d’être Président des États-Unis démultiplie encore cette capacité “performative” à faire du monde ce que l’on veut qu’il soit : tout propos que l’on tient contribue à ce que le monde devienne ce que l’on a dit.
Et dans ce cas, si l’on est riche et Président des États-Unis, pourquoi se préoccuper encore des faits et de la vérité ? D’ailleurs, la vérité est banale alors que la fausseté constitue toujours en soi un scoop. C’est ce que le journaliste de Time magazine fait remarquer très justement à M. Trump : “Le fait que vos assertions soient mises en doute en rendent le message plus percutant, il se diffuse plus loin.”
En vérité, si l’on est riche et Président des États-Unis, et Président des États-Unis pour aucune autre raison que le fait que l’on soit riche, il est plus payant de prêcher le faux que de dire le vrai.
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