Billet invité. Ouvert aux commentaires. Bruno Iksil est l’auteur ici de « Bruno Iksil, surnommé « La baleine de Londres », nous dit ce qui s’est vraiment passé ». Il nous offre ici un nouveau feuilleton sur le contexte de ces événements.
La motivation des hauts dirigeants du CIO à pousser Iksil à faire des trades était multiple
Puisque tout était fait de New York, certains doivent se demander pourquoi le CIO avait à intervenir et développer son propre modèle dans ce cas. La réponse est simple : « parce que le CIO et la firme étaient en désaccord sur le traitement du risque de skew dans la VaR, et tout particulièrement le risque du skew sur l’indice IG9 10 ans ». Les régulateurs étaient au courant et voulaient faire le ménage. Le CIO avait refusé en Juillet 2011 d’adopter un modèle conçu par l’IB qui minimisait les dangers du skew. Les régulateurs surveillaient cela de très près. Il fallait donc laisser le CIO proposer son modèle de risque mais en suivant la méthodologie de l’IB reposant sur le skew. Le CIO avait fourni un modèle en septembre 2011 que le groupe de contrôle nommé MRG vérifiait – depuis New York – surtout dans le but de l‘appliquer à toute la firme… Il ne pouvait y avoir qu’un seul modèle de VaR pour le CIO et l’IB sur ce risque de « corrélation de crédit ». MRG était impliqué pour voir si cela ne faisait pas exploser la VaR de la firme en priorité.
Mais là, début janvier 2012, la firme se prend les pieds dans sa toile car elle a déjà exporté les risques de skew de « Credit Hybrids- IB » en-dehors de son périmètre de VaR vers un hedge fund. Du coup, le portefeuille « synthétique de corrélation » du CIO devient un éléphant bien solitaire dans le magasin de porcelaine. La VaR de la firme explose probablement parce que « credit hybrids » et le CIO ne se compensent plus comme par le passé. Les ordres donnés à Iksil sont explicites même si ce dernier n’en saisit pas bien les finalités. Ces ordres consistent en fait à créer de nouvelles positions qui compensent celles de l’IB encore présentes. Iksil ne le comprendra que bien plus tard en 2016, car ce n’est pas du tout la justification que la direction lui donna à l’époque. Il exécute tout en prévenant des dangers. Mais cela ne va pas assez vite pour la direction comme on va le voir… L’enjeu est d’importance car une violation de la limite de VaR aurait un effet sans appel que rapporte le Sénat américain : « L’OCC [le régulateur des banques] déclara à la sous-commission que si le nouveau modèle de VaR n’avait pas été adopté ainsi dans la précipitation, les traders du CIO auraient été forcés de ‘dérisquer’ plutôt que d’augmenter les encours avec de nouveaux risques » 1044. Le mécanisme était simple : sans cette adoption précipitée d’un nouveau modèle « du CIO » destiné en fait à la firme toute entière, la limite mensuelle de la VaR de JP Morgan aurait été dépassée. Cela aurait obligé les régulateurs à ausculter dans tous les recoins de ce dépassement, ce qui les aurait amenés à ordonner un débouclage immédiat au CIO. Si tel avait été le cas le mythe de la ‘Baleine de Londres’ était mort-né. Mais les quelques $50 milliards de réserves déboulaient tout aussi sûrement.
Finalement, comme on l’a vu avant, la VaR du portefeuille « synthétique de corrélation » du CIO ne sera pas de $57 millions mais de $53 millions alors que les encours croissaient dans l’intervalle… Ce changement de modèle si spécifiquement appliqué, de New York, conduira à une réduction globale de la Var « crédit » de toute la firme de $30 million. Il faut le croire car là, c’est John Hogan NY qui le dit à Jamie Dimon NY. Impossible que le CIO de Londres ait fait quoi que ce soit sinon deviner les ‘environs approximatifs’ du chiffre pour le seul portefeuille « synthétique ». Mais voilà ce n’est pas tout. Car les « choses ne sont pas restées égales par ailleurs » dans la firme, hors CIO.
Demain : suite et fin.
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