LE RETOUR À LA NORMALE, VOUS AVEZ DIT ? par François Leclerc

Billet invité.

Mario Draghi était attendu ce jeudi, il a parlé mais a créé la déception en appelant avec insistance à patienter, prenant à contre-pied les commentateurs financiers qui croient dur comme fer à l’imminence d’un changement de la politique monétaire de la BCE au nom d’un retour à la normale dont ils enregistrent les premiers signaux. Et rien ne semble pouvoir les en dissuader.

À les en croire, une dynamique serait engagée par la Fed, et la BCE s’apprêterait à la suivre. Tant pis si, contrariant cet élan planétaire qu’ils croient irrésistible, la banque centrale japonaise réaffirme sa politique ultra-accommodante en avouant son impuissance à réveiller l’inflation. Et si, aux États-Unis et en Europe, le faible niveau persistant de l’inflation – dont les banques centrales sont comptables – suscite de fortes interrogations. La BCE va suivre l’exemple de la Fed, cela ne fait pas un pli !

Le profond conformisme du monde économique n’est pas étranger à ce désir de retour à la normale que rien ne semble pouvoir contrarier, car il éviterait de se poser des questions dérangeantes en survenant. Certains pourtant n’y manquent pas, ce qui mérite d’être signalé. Nicolas Moreau, le nouveau dirigeant de Deutsche Asset Management, la filiale de gestion d’actifs de la Deutsche Bank, est l’auteur d’une tribune dans l’hebdomadaire financier l’Agefi qui a de quoi surprendre vu son auteur.

Dans la nouvelle ère dans laquelle il nous voit entrer, « nous devons affronter de nouveaux défis structurels, parmi lesquels la baisse de la productivité, des conditions démographiques défavorables et des pertes d’emplois induites par l’irruption des nouvelles technologies », pour en conclure que « un retour au cadre théorique de l’avant-crise serait tout simplement inapproprié. »

Nicolas Moreau, qui a été longtemps directeur général de l’assureur Axa, considère que nous sommes entrés dans « une nouvelle période d’interventionnisme » et que des décennies de croyances orthodoxes doivent être abandonnées. Un nouveau cadre existe désormais, dans lequel il faut s’insérer au lieu de prétendre à sa disparition.

En premier lieu, il envisage l’annulation par les banques centrales de la dette souveraine qu’elles ont acquise au cours de leurs programmes d’assouplissement quantitatif. En second, il leur assigne la poursuite pendant une longue durée de leurs interventions sur les marchés afin de maintenir bas les taux obligataires. Enfin, il préconise de « sérieusement » étudier une politique de garantie de l’emploi ainsi que l’instauration du revenu universel de base.

Il n’est pas si fréquent qu’un financier sorte du cadre et recherche des solutions innovantes à des problèmes qui ne peuvent plus être masqués, mais il y a des précédents ! Cela l’est encore moins lorsque l’on se tourne vers les responsables politiques qui, en règle générale, ne conçoivent même pas que cela soit possible. La raison est sans doute que les financiers sont mieux en mesure de comprendre que le système est détraqué et qu’il faudra, au nom de l’empirisme qui est le leur, en venir à ce qui était hier inconcevable. Leur capacité à réformer le système restera toutefois une grande inconnue, surtout lorsque l’on entend comment les partisans du retour à la normale donnent de la voix.

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