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On peut s’en tenir pour une définition du transhumanisme, à l’une de celles offertes par un porte-parole du mouvement. Pourrait ainsi faire l’affaire, celle de Max More dont l’Extropianisme est considéré par beaucoup comme le précurseur historique immédiat du transhumanisme, le terme « extropianisme » étant dérivé du néologisme « extropie », laquelle est « l’inverse de l’entropie et se fonde sur la foi en un progrès illimité de la science et des techniques ».
La définition du transhumanisme par Max More est celle-ci : « Un ensemble de philosophies de la vie (telles que les perspectives extropiennes) qui visent la continuation et l’accélération de l’évolution de la vie intelligente au-delà de sa forme humaine et de ses limitations humaines présentes par les moyens qu’offrent la science et la technologie guidées par des principes et des valeurs promouvant la vie ».
Il est également possible d’envisager que le transhumanisme ne soit pas exactement ce qu’imaginent ses adeptes, comme lorsqu’on affirme qu’il est plutôt « la philosophie spontanée de la Silicon Valley », c’est-à-dire celle des transnationales massivement numériques auquel renvoie l’acronyme GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon), ou lorsqu’on considère que plutôt qu’un mouvement mettant en œuvre un programme, il s’agit avec le transhumanisme, d’un discours qui s’apparente à la simple constatation de l’évolution que suivent nos cultures en raison de l’emballement présent du développement technologique, et tout particulièrement numérique. Dans son remarquable To Be a Machine (2017), Mark O’Connell adopte d’ailleurs ce point de vue quand il affirme des transhumanistes que « si la mémoire de ce qu’ils furent devait se conserver, l’on pensera à eux comme à une curiosité historique, comme à un groupe de personnes qui parlèrent, hors de leur temps, et dans leur style fiévreux, de ce qui était en fait en train de s’accomplir ».
Dans la même veine, j’ai moi-même défendu ici le point de vue selon lequel le transhumanisme n’est rien d’autre qu’une ruse de la raison : un discours technophile masquant la fuite en avant volontariste de notre espèce ayant fait son deuil de sa planète natale qu’elle mène à la ruine, pour mettre au point les moyens qui lui permettront de se lancer dans la colonisation d’autres planètes lointaines.
Mais si l’on lit attentivement O’Connell, on s’aperçoit que son ouvrage découvre au transhumanisme une tâche bien plus funeste : celle d’ouvrir au genre humain un nouvel espace où déployer sa propension à inventer dans le but de détruire. Il écrit ainsi : « C’est ce que nous avons toujours fait après tout comme espèce : nous construisons des appareils ingénieux, et nous détruisons ».
Et si l’on imagine, comme je viens de le suggérer, que le transhumanisme pourrait n’être rien de plus que la philosophie spontanée de Silicon Valley, il faudrait encore s’interroger sur qui sont les commanditaires de celle-ci.
Edward Snowden nous a révélé en 2013 que la NSA (National Security Agency américaine) et son panoptique, sa dystopie d’hyper-surveillance généralisée sur le modèle 1984, était sans aucun doute l’un de ces commanditaires, mais elle n’est pas seule : il n’y a pas que les services de renseignement à régenter notre vie, il y a aussi les ministères de la Défense. O’Connell écrit : « La rhétorique des pontes geek de la Silicon Valley est imbibée d’une solution diluée de l’idéalisme de la contre-culture : changer le monde, améliorer notre sort, faire exploser les ordres anciens, et ainsi de suite, mais ses racines plongent profondément dans le sol imprégné du sang versé par la guerre ». Ce qu’O’Connell entreprend alors d’illustrer :
« Plus je fus fasciné par le mouvement transhumaniste, et plus j’appris sur les différentes innovations auxquelles ses représentants ancraient leurs espoirs d’un avenir post-humain, plus je tombais sur des références à la DARPA (Defense Advanced Research Projects Agency : le département recherche de l’armée américaine), et son financement de ces technologies dont le potentiel de transformation est considérable : interfaces entre le cerveau et l’ordinateur, prothèses cognitives, cognition augmentée, modems corticaux, bactéries de bioingénierie, et ainsi de suite. L’objectif global de la DARPA est apparemment de nos jours de transcender les limites du corps humain – et plus spécifiquement, le corps humain des soldats américains ».
Et O’Connell d’accumuler les exemples allant dans ce sens.
Chacun a ainsi dû voir Big-Dog, le chien robot, plus vrai que l’original, suivant son maître de la même manière, dérapant sur la glace et retrouvant son équilibre comme son véritable modèle canin, eh bien, nous explique-t-il, il n’y a jamais eu qu’un sponsor pour le projet et un seul client pour le produit fini (sponsor qui fut déçu par le bruit fait par la machine) : la DARPA, fondée en 1958 par le Président Eisenhower et dont le but affirmé alors était de « prévenir toute surprise technologique pour les États-Unis, mais aussi de créer la surprise sur le plan technologique pour nos ennemis ». Ce que O’Connell résume de la formule lapidaire : « l’intérêt de la DARPA pour la technologie a toujours été clair semble-t-il : un intérêt constant pour la méthodologie de la violence efficace ».
La conclusion, plus explicite encore, de ce qu’O’Connell découvre, masqué par le vernis du discours lénifiant du transhumanisme se faisant passer pour une instance du projet des Lumières de l’homme mettant sa raison au service du progrès et de la perfectibilité humaine : « Je fus soudain subjugué par ma prise de conscience de la technologie en tant qu’instrument maléfique de la perversité humaine, au service du pouvoir et de l’argent et de la guerre ».
(à suivre …)
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More, Max (1990) « Transhumanism: Toward a Futurist Philosophy », Extropy 6 (Summer), pp. 6–12. Revised June 1994 and 1996.
More, Max, « The Philosophy of Transhumanism », in The Transhumanist Reader: Classical and Contemporary Essays on the Science, Technology, and Philosophy of the Human Future, 2013
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