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Dans son remarquable To Be a Machine, Mark O’Connell se montre-t-il favorable ou hostile au transhumanisme dont il rend compte à partir du contenu de nombreux entretiens et d’expériences partagées avec des militants du mouvement ?
De manière générale, il s’y montre hostile, comme quand il nous fait part de son irritation envers l’un ou l’autre militant qu’il interroge, le taxant de stupidité, ou incriminant un groupe entier, comme quand il évoque « un mirage mégalomane partagé par des programmeurs informatiques et des patrons d’entreprises technos et des geeks égocentriques et misanthropes, pour qui le destin de l’espèce est entre leurs mains : une grotesque eschatologie noire ou blanche où le monde sera damné si le code est maléfique ou connaîtra le salut s’il est au contraire bénéfique… ».
O’Connell manifeste cependant parfois son hostilité à une thèse – ou à un militant en particulier – de manière plus subtile. Comme quand il souligne par petites touches que durant son entretien avec Aubrey de Grey (l’homme qui lança le fameux « L’un d’entre vous vivra certainement mille ans ! »), son interlocuteur se lève à plusieurs reprises en proie à l’anxiété pour aller commander une bière de plus au comptoir : « le petit déjeuner venait tout juste de s’achever et Aubrey chassait par son souffle la mousse à la surface de ce qui n’était peut-être pas sa première pinte de la journée » ou bien : « plissant les yeux par-dessus le rebord de sa pinte ».
Ceci dit, O’Connell s’astreint à l’objectivité en présentant le pour et le contre sur chaque thèse en particulier. Mieux encore, il n’hésite pas à relever les moments où il se sent troublé ou pris à contre-pied par la validité de l’argumentation d’un interviewé dont il désapprouve pourtant la position globale. Il écrit dans ce sens : « Leur rhétorique est à ce point convaincante qu’elle vous force à défendre une position dont vous n’êtes cependant pas sûr que ce soit bien la vôtre ».
Ainsi il s’avoue désarçonné quand de Grey lui rétorque que « la mort nous retient captifs, elle nous tourmente, et la manière dont nous nous en accommodons s’apparente au syndrome de Stockholm ».
Nous en serions venus à aimer ceux qui nous avaient pris en otages, comme une stratégie de survie et non parce qu’ils étaient aimables d’une quelconque manière. Et, autrement dit, il en serait aussi ainsi de la mort : si nous lui découvrons de bons côtés, comme « donner un sens à la vie », etc. c’est parce que dans le cas contraire, nous désespérerions. Mais nous trahissons ainsi que nous sommes la proie du syndrome de Stockholm : nous avons succombé à « une idéologie ‘mortaliste’ – la nécessité de nous protéger contre la terreur de la mort en tentant de nous convaincre que notre mort à venir n’est pas l’horreur qu’elle est en réalité ».
Et, alors qu’est sur le point de s’achever son périple à bord de l’Immortality Bus, O’Connell est forcé d’admettre la profondeur de son ambivalence personnelle envers le projet transhumaniste : « Il m’apparaissait sans plausibilité aucune que tout ceci cesse un jour de m’être accessible, que je mourrais un jour et ne respirerais plus jamais l’air autour de moi – que je n’entendrais plus ces sonorités : les grillons, le bruit du trafic, ces mots prononcés […] Il me semblait ridicule d’imaginer qu’il n’y avait que ceci et qu’il n’y aurait rien d’autre : une seule fois seulement, et ensuite, plus jamais ».
Et au cas où l’on douterait encore de l’ambivalence de O’Connell vis-à-vis du projet transhumaniste : une anecdote qu’il rapporte en laissant entendre que tous les parents d’enfants en bas âge agiraient de même – ce dont, par expérience, je suis très loin d’être personnellement convaincu.
Un jour où le petit garçon de l’auteur, âgé de trois ans, quitta le trottoir sans crier gare, ses parents le réprimandèrent : les voitures, c’est très dangereux ! S’il se faisait renverser, ce serait terminé : kaput ! finito ! C’est ainsi que O’Connell Jr. découvrit le concept de la mort.
Lorsque le chien des cousins mourut de vieillesse, les O’Connell sautèrent sur l’occasion pour enfoncer le clou des bagnoles tueuses : « Tu vois ! Wouffy s’est précipité sur la rue sans faire attention et boum ! Wouffy kaput ! ».
Pour l’arrière-grand-mère, il fallut quand même invoquer un autre scénario possible, à savoir la triste vérité : que l’on peut devenir vieux et finir par mourir de vieillesse.
Le petit, fine mouche, n’eut aucune peine à généraliser aux cas de Maman et Papa. Et là, la splendide explication de la mort par simple écoulement du temps tomba sur un os : « Il ne voulait pas que nous devenions vieux, vraiment très vieux et mourions. Même pas en toute fin de compte. Même pas dans très très longtemps ».
Alors la Maman O’Connell, « ayant le sentiment qu’il fallait le protéger de cette prise de conscience terrible de la manière dont sont véritablement les choses, lui dit qu’au moment où il aurait l’âge qu’ont Maman et Papa maintenant, il est bien possible que la mort n’existe plus, et qu’alors il n’aurait plus du tout à se faire du souci. Il était question après tout d’un avenir très lointain, et qui peut savoir ce qui se passerait d’ici-là ? Parce qu’il y a des tas de Monsieurs et de Madames très malins qui travaillent très dur là-dessus, sur ce problème de la mort, et qui parviendront peut-être à en trouver la solution ».
Et O’Connell, un opposant pourtant résolu selon lui du projet transhumaniste de l’immortalité pour tous, de se pardonner à sa femme et à lui leur couardise vis-à-vis du petit : « L’option du Ciel nous faisait défaut, mais ceci nous apparut comme le substitut ad hoc. Pas aussi solide que le Ciel bien sûr, pas aussi évocateur, mais une soupape néanmoins aux intimidations psychiques de la mortalité. Et selon les apparences, cela marchait. Le problème de la mort avait été résolu, tout au moins dans notre maison, tout au moins dans l’immédiat ».
(à suivre …)
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