Billet invité. Ouvert aux commentaires. Bruno Iksil est l’auteur ici de « Bruno Iksil, surnommé « La baleine de Londres », nous dit ce qui s’est vraiment passé ». Il nous offre ici un nouveau feuilleton sur le contexte de ces événements.
Fin 2010, une solution simple se dessinait qui aurait permis d’éviter à coup sûr le futur scandale
Dans le même temps, fin 2010, le cours de l’action JP Morgan semble vouloir s’installer sous sa valeur de registre comptable, ce qui est souvent signe d’un modèle de business en déclin inexorable. Les profits ne sont pas « convaincants ». Dimon lance un énorme plan de rachat des actions de la banque par elle-même. Quel en est l’objectif ? Reconnaitre qu’en effet la banque est trop grosse ? Pire, admettre que la banque n’est pas viable sur le long-terme ? Ou bien simplement anticiper une amélioration quasi avérée de la ligne de base de la firme par élimination des positions « synthétiques de corrélation de crédit » qui empoisonnent tout le monde ? Pour ceux qui se poseraient la question : il ne s’agit pas d’affronter les marchés financiers comme un seul homme. Pourtant plutôt que de choisir la voie de communication la plus directe, qui se serait inscrite dans la logique de la présentation que Dimon exposa lui-même en septembre 2010, la banque prend les chemins de traverse. Au lieu de confirmer la mise en liquidation en annonçant un plan sur deux ans d’échéance (menant à fin 2012) par lequel la banque transférerait ses positions « synthétiques de corrélation crédit » tant du côte de l’IB que du CIO vers un hedge fund comme Blue Mountain, la banque fait des communications étranges et lance des ordres plus étranges encore.
Avant de voir la genèse du scandale, voyons le chemin très sensé mais pourtant ignoré par la banque fin 2010 qu’elle aurait du suivre en tout logique. Si Dimon avait tout simplement mis en route officiellement la mort annoncée de cette protection « synthétique sur la corrélation », des réserves immenses en auraient découlé pour commencer. La moindre des choses était ici de constituer des provisions pour ce portefeuille lui-même. La politique de valorisation de JP Morgan en vigueur et datant de 2007 qu’on peut trouver dans les annexes du rapport du Sénat permet d’arriver à un montant minimum allant de 1 à 2 milliards de $, notamment en appliquant le règle « off the run » que Mike Cavanagh décréta pour toute la firme en mars 2010. Il faut aussi se procurer la procédure de VCG [VCG pour « Valuation Control Group » cad le groupe qui à travers la banque contrôle et rapproche les divers prix venant des personnes faisant des trades] (disponible aussi dans les annexes du rapport du Sénat) où les formules de calcul sont là, toutes déterminées en fait par l’IB [IB pour Investment Bank, cad l’unité principale chez Jp Morgan dédiée au trading]. Le contrôleur de VCG pour le CIO fit remarquer dans un email d’ailleurs que ses formules sous-estimaient vraisemblablement les montants pour le cas du CIO. Mais c’est un détail en fait car dès lors que cette protection est morte, on ne peut plus compter dessus.
Les conséquences sont énormes. La diversification sur la VaR peut rester, mais la banque ne peut plus revendiquer la protection en cas de stress. Or les quelques $360 milliards d’investissements du CIO reposent sur cette protection. Là il est franchement difficile de soutenir l’idée que cette protection il-liquide au point d’être mise en liquidation officielle pourrait être d’une utilité quelconque en situation de crise. Si tel était le cas, ce serait le fait du hasard, vraiment. Là, on parle de $20-30 milliards de réserves pour le CIO. En soi c’est déjà très gênant. Et ce n’est pas tout car il y a encore toutes les positions de « base » sur les marchés de crédit, pour un encours potentiel de $3 000 milliards chez JP Morgan si on en croit les rapports 10-Q. Si la banque ne peut se protéger efficacement sur ce risque de « corrélation synthétique » alors les réserves sur le risque de base aussi doivent être revues. Le point de base (0.01%) coûterait environ $1.5 milliards. En 2008-2009 cette base explosa à 80 points de base ou plus, ce qui donne un potentiel de perte de l’ordre de $120 milliards ou plus selon les cas… La valeur boursière de la banque tournait autour de $200 milliards… Ces réserves là réveillaient le vieux dilemme des régulateurs. Non il ne manque pas $120 milliards de réserves ici. Mais l’ordre de grandeur fait suffisamment frémir pour que les autorités se préoccupent de cela, si elles ont effectivement à le faire… Un calcul raisonnable conduit quand même à $25-35 milliards. Bref au total, les réserves à constituer pour ce portefeuille de protection « synthétique en corrélation » importaient peu en soi mais elles conduiraient à d’autres réserves d’un montant d’environ $50 milliards pour la firme. Des réserves d’un tel montant manquant à l’appel en 2011, appelleraient une réduction de la VaR et tout un cortège d’autres mesures de précaution. De plus, une telle annonce reporterait à plus tard le rachat des actions voulu et déjà annoncé par Dimon. La banque n’a pas choisi la voie de la transparence comme on le sait aujourd’hui à coup sûr. Et les régulateurs alors ?
(à suivre …)
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