Billet invité.
En condamnant en première instance Lula à 9 ans et 6 mois de prison pour corruption et blanchiment d’argent, les juges ont franchi un nouveau pas au Brésil. Un autre avait déjà été franchi en début de semaine par le rapporteur de la commission parlementaire chargée d’analyser la mise en accusation du président Michel Temer pour corruption passive. Celui-ci a émis un avis favorable à l’ouverture d’un procès, qui doit encore être confirmé par la commission puis par les deux tiers des députés.
Le président en exercice est menacé de perdre son mandat, et celui qui pourrait lui succéder d’être empêché de se présenter, si sa peine est confirmée en appel. La culpabilité ou non de Lula pèse peu en regard de l’enjeu, car il est donné grand favori de la prochaine élection présidentielle de 2018 d’après les sondages. Malgré les scandales qui n’ont pas cessé de toucher le parti des travailleurs, l’ancien président continue de représenter un espoir pour la masse des déshérités qui n’a pas oublié l’aide qu’il leur a apportée, même si elle ne les a pas sortis de leur condition très précaire. Mais également pour les classes moyennes du bas de l’échelle qui ont vu leur sort s’améliorer.
L’heure de la revanche ayant sonné avec la destitution de Dilma Rousseff, qui lui a succédé, il n’est pas question pour ceux qui en ont été les artisans de voir Lula revenir au pouvoir. Leurs plans sont tous tracés et il y ferait opposition, car ils prévoient de nombreuses mesures d’austérité, au prétexte de sortir le Brésil de la récession dans laquelle il est plongé, qui a pour cause la fin de la période de mondialisation ayant fait la fortune des exportateurs. Lula, d’ailleurs, serait en mal d’une politique s’il revenait au pouvoir, pour avoir ignoré lorsqu’il y était les conseils de ceux qui préconisaient une politique de développement de l’ensemble du pays et non pas d’assistance aux plus démunis.
La déferlante des enquêtes et des condamnations pour corruption qui se poursuit est à double détente. En premier lieu, elle répond à l’attente d’assainissement d’une vie politique totalement gangrénée, dont la droite s’est servie contre la gauche avant d’être elle-même victime de l’action de juges décidés à aller jusqu’au bout. Mais, en même temps, la liste des têtes tombées étant impressionnante et le système durement atteint, un vide a été créé et il va falloir le combler, mais par qui ?
Il faudra bien qu’il le soit, et c’est là que réside tout le danger de la situation. Le retour d’une dictature militaire ancienne norme n’étant plus de saison dans le contexte latino-américain actuel, que peut-il se passer ? Si les politiciens corrompus sont en train de tomber les uns après les autres, ceux qui sont derrière eux ne sont pas touchés. Les lobbies parlementaires tout puissants sont toujours là. Celui de la répression qui s’appuie principalement sur les forces de police qui tuent sans discernement et emprisonnent en masse, celui des bien-pensants évangélistes qui mènent une bataille sans merci contre le féminisme, les homosexuels, Darwin, etc. et celui de l’agro-business qui est responsable de l’orientation de l’économie à l’export.
Quel candidat vont-ils désormais trouver pour faire leur politique ? Deux candidats sont déjà sur les rangs, le maire de São Paulo João Doria, un businessman richissime et ultra libéral, et Jair Bolsonaro, un parlementaire d’extrême droite proche des évangélistes et nostalgique de la dictature. Avec eux, le Brésil n’est pas prêt de connaître la profonde mutation qui pourrait sortir de la misère des dizaines et des dizaines de millions de Brésiliens. Stefan Zweig, qui a vécu au Brésil (et s’y est suicidé) avait titré son célèbre ouvrage « Le Brésil, terre d’avenir », et l’expression a ensuite fait florès pour devenir un cliché. Dans l’immédiat, son avenir semble derrière lui.
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