Billet invité. Bruno Iksil est l’auteur ici de « Bruno Iksil, surnommé « La baleine de Londres », nous dit ce qui s’est vraiment passé ». Il nous offre ici un nouveau feuilleton sur le contexte de ces événements.
Le « mark-to-market », rempart N° 1 contre le risque N° 1 : la chute des performances….
La tentation est trop grande. Quant à l’alternative, elle est absente. L’outil financier est disponible. Les produits dérivés sont là. Les commissions de trading sont généreuses et fournissent aux banques un large surplus de revenus. Les investisseurs constatent de leur côté la gigantesque déconfiture des caisses d’épargne aux USA. La mode est à l’investissement sur les marchés financiers pour tout le monde. Pourquoi la contrarier en s’avouant vaincu par avance ? Alors on s’organise. Du côté des banques, on monte des salles de marché toujours plus grandes, avec de plus en plus de traders qui font des prix du matin au soir. On monte aussi des opérations de titrisation. Qu’est ce que c’est que cela ? Au bilan la banque transforme des titres « bien concrets » en une option pure et simple bien virtuelle. Comment ? On prend des titres, on les vend à une entreprise qui n’a rien de tangible sinon une désignation juridique. On trouve le financement sur les marchés de capitaux dans le monde grâce aux autres marchés de dérivés. Et on garde ce qui peut rapporter le plus et coûter le moins cher en cas de crise. La titrisation démarre à la fin des années 80. C’est un processus qui élimine la distinction qu’on peut encore faire entre un actif financier dit « tangible » comme un prêt ou une obligation, et un actif financier « intangible » tel qu’un dérivé. Qui est le sponsor principal de la titrisation depuis le milieu des années 1970 ? C’est l’État américain par le truchement de ses grandes agences Fannie Mae et Freddie Mac principalement.
Du côté des investisseurs institutionnels dont le mandat est de placer l’épargne populaire sur les actifs financiers appropriés, on est très prudent avec les dérivés, mais pas forcément vis-à-vis des titrisations. Les banques encouragent de leur côté la naissance des « hedge funds » qui ont vocation à devenir des contreparties des banques lorsque ces dernières ont des positions complexes dont elles souhaitent se délester. Tout ne peut faire l’objet de titrisation, surtout au début des années 1990. Alors les banques déploient cette autre ‘solution’ au manque de liquidité structurel pour elles. Ces « hedge funds » peuvent à discrétion, en passant par les mêmes banques, adopter des stratégies de protection de leur choix afin de porter à leur terme ces risques là dont ils héritent des banques au départ. Les encours de trading explosent à la hausse.
L’outil financier se déploie mais il dévoile ses failles à intervalles réguliers. Pendant cette période, les incidents se multiplient sur les marchés. Ils rappellent aux autorités la crise de 1907, celle de 1929 et des années suivantes. Le PIBOR à Paris explose à 20% brièvement mais fait des ravages dans les salles de marché parisiennes en 1991. Les positions dites « asset-swap », dans lesquelles un dérivé imite presque parfaitement les risques d’un titre, ne sont pas sans danger loin de là. Le risque de base fait son entrée dans les marchés en 1991. Il aura toujours le même visage par la suite : en apparence il est presque invisible car il repose intégralement sur la liquidité des marchés et se résume à un risque juridique au final. Et cette liquidité des marchés est plutôt limitée en pratique. George Soros fait parler de lui et de son hedge fund en 1992. Il a fait sortir la livre Sterling de ses cours officiels ! Diable ou génie ? Ni l’un, ni l’autre. Un signe des temps à venir certainement… La force de loi tout comme le principe de souveraineté sont remis en question très officiellement. L’Europe décide d’accélérer son intégration en lançant le projet « euro ». Aux USA, le massacre en règle des caisses d’épargne s’achève. Le marché des obligations pourries, précurseur du futur marché high yield, prend naissance sur ce cimetière là.
Les autorités prennent conscience de la liquidité limitée des marchés dans les faits et du risque de rupture qui devient omniprésent. Qui peut se substituer à un juge ou un État en cas de litige de portée internationale désormais ? Quel litige n’a-t-il pas une portée internationale dès lors qu’il implique une grande banque du G7 ? Il faut un consensus, une zone de ‘neutralité’ dans le champ de bataille des marchés financiers. On commence par le commencement donc, de façon pragmatique : le risque de variation des prix doit être perçu de la même façon par tous les intervenants. Entre 1992 et 1993, la SEC, l’OCC [Office of the Comptroller of the Currency : le régulateur des banques américaines], le ‘groupe des 30’ emmené par Paul Volcker et JP Morgan ont instauré la règle du « mark-to-market ». L’accord de départ fondamental est là et doit se perpétuer quels que soient les chocs à venir. Comment y parvenir ? La population mondiale est passée à 5.9 milliards et le G7 ne pèse désormais que 11.2%…
(à suivre…)
Nous n’aurons pas trop à attendre pour mesurer l’ampleur du tsunami fascisant. Les premiers mois de 2025 devraient clairement donner…