En sus de toutes les autres, une hypothèse est susceptible de rendre compte du pseudo-paradoxe de Fermi : si nous sommes seuls dans l’univers, c’est parce que son concepteur l’a voulu ainsi, qu’il s’agisse d’un Dieu de facture classique ou d’un programmeur extrêmement doué.
Dans cette perspective, le fait que nous soyons apparemment seuls constituerait un élément en faveur de l’hypothèse que nous ne sommes pas les acteurs d’un « monde réel » mais au cœur d’une simulation numérique. Le fait que nous soyons seuls serait une façon pour le concepteur de la simulation de simplifier la donne, de permettre aux observateurs de concentrer l’attention sur nous, et d’éviter toutes autres sources de distraction.
Si l’on m’a suivi jusqu’ici, rien n’empêche d’imaginer alors un univers télescopique aux simulations emboîtées l’une dans l’autre, où le programmeur de la simulation dont nous sommes vous et moi l’une des créatures, est lui-même un « agent » au sein d’une « simulation multi-agents » comme nous les réalisons de nos jours pour essayer de comprendre les sociétés humaines en observant les conséquences des interactions d’êtres humains stylisés. La possibilité existant d’une régression à l’infini, « en abîme ».
Des personnalités en vue telles que Ray Kurzweil, Director of Engineering à la compagnie Google (devenue Alphabet), ou Elon Musk, patron de plusieurs firmes, dont le fabricant automobile Tesla et la firme d’exploration spatiale SpaceX, se déclarent convaincues que nous sommes les personnages d’une simulation. Musk a ainsi déclaré :
L’absence de toute vie [ailleurs] peut constituer un argument en faveur du fait que nous soyons dans une simulation […] Comme lorsqu’on joue un jeu de rôles et que l’on peut apercevoir les étoiles en arrière-plan mais sans qu’on puisse jamais les atteindre. Et si ce n’est pas une simulation, alors nous sommes peut-être dans un laboratoire où une civilisation extra-terrestre est en train d’examiner comment nous nous développons, par curiosité, comme des moisissures dans une boîte de Petri […] Si on pense au niveau technologique qui est le nôtre aujourd’hui, quelque chose d’étrange doit arriver aux civilisations, et je veux dire étrange dans le mauvais sens du terme […] Et il n’est pas impossible qu’il y ait un tas de civilisations mono-planète mortes. (Anderson 2014).
Le fait que Kurzweil et Musk souscrivent à cette hypothèse semble résulter de leur lecture quelque peu expéditive d’un article fameux publié par Nick Bostrom en 2003 intitulé : « Vivez-vous dans une simulation informatique ? ».
Dans cet article, à la formulation inutilement absconse comme manifestation sans doute de l’« esprit de sérieux » dont se moquait déjà Nietzsche, le visionnaire Bostrom nous dit en substance ceci : une humanité très évoluée (appelée par lui « post-humaine ») ne manquera pas de produire des simulations ultra-sophistiquées d’autres humanités. (La proposition a une certaine plausibilité, nos simulations actuelles étant bientôt d’un degré de réalisme équivalent à la granularité que nous percevons dans le monde. Si vous en doutez, adonnez-vous à Pokemon Go !)
Il en résulte pour nous que, soit ces humanités très avancées ne sont pas advenues, et dans ce cas notre sentiment intuitif de vivre dans un monde parfaitement réel est entièrement justifié, soit elles sont advenues et dans ce cas la probabilité est très élevée que nous vivions dans l’une de leurs simulations plutôt que dans un monde réel. Bostrom ajoutait que dans l’état de notre information présente, rien ne nous pousse à nous prononcer en faveur de l’une des branches de l’alternative plutôt que l’autre. Il parlait sans nul doute du plan purement logique, une rage de dents, par exemple, convainquant sans difficulté le commun des mortels qu’il vit dans un monde tristement réel plutôt qu’au cœur d’une simulation numérique.
Des penseurs pressés de l’espèce des hommes d’affaire Kurzweil et Musk, et pénétrés d’une confiance plus inébranlable que la mienne dans le genre humain, se sont néanmoins convaincus du coup que nous vivons bien au cœur d’une simulation, au lieu d’en tirer la conclusion que nous ne serons jamais post-humains et que nous aurons toujours devant nous, avant extinction définitive, des tâches plus urgentes à entreprendre que des simulations numériques hyperréalistes d’univers humains possibles.
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Ross Anderson, « The Elon Musk Interview on Mars Colonization », Aeon, 30 septembre 2014
Nick Bostrom, « Are You Living in a Computer Simulation ? » Philosophical Quarterly, Vol. 53, No. 211, 2003, pp. 243â€255
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