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Nous nous trouvons jetés à la naissance au sein du chaos de la comédie humaine, dont nous découvrons sans tarder qu’elle s’apparente plutôt à une très mauvaise farce. Nos efforts ensuite pour lui trouver du sens alors qu’elle se révèle, au fil des années, n’avoir en réalité ni queue ni tête, sont à proprement parler héroïques.
Lacan dit que « le Moi est paranoïaque », et c’est vrai : notre tendance naturelle est de découvrir dans le monde du sens bien au-delà de celui qui s’avère être effectivement là.
À l’aboutissement d’une quête qui ne peut être que personnelle, et sans garantie d’avoir découvert le Graal en cours de route, nous entrevoyons qu’il ne s’agissait pas tant de comprendre ou d’interpréter un sens qui aurait déjà été là inscrit comme un donné, et dont divers systèmes mythologiques se proposent de nous offrir la signification clé en main, que de faire advenir un sens absent jusque-là, autrement dit de « transformer le monde », comme le dit Marx, soit dans le réel lui-même, soit sur le plan conceptuel propre à l’homme (le logos), soit, et mieux encore, sur ces deux scènes à la fois.
Alors que nos espoirs de trouver du sens sont amèrement déçus, deux options culturelles nous sont offertes devant le désordre que nous observons à la place : soit attribuer systématiquement l’origine de celui-ci à autrui, comme le propose par exemple le vaudou dahoméen, soit voir la source de tout désordre en nous-même, en tant que conséquence à la fois d’un péché originel, commis par certains des nôtres avant notre venue sur terre, et des péchés que nous commettons à l’occasion d’actes que nous posons à titre individuel au cours de notre existence, comme le proposent les religions de la culpabilité personnelle, dont le christianisme.
Les religions nous offrent un cadre de signification, mais si leurs incohérences font éclore notre scepticisme, nous partons à la recherche du sens. Nous essayons d’introduire ce sens là où il fait le plus défaut : soit par esprit prométhéen, en révolte contre les dieux indifférents ou inefficaces, soit par esprit messianique à l’intérieur d’une religion gardant en réserve l’option de la venue d’un messie héraut d’une apocalypse (c’est-à-dire, d’une Révélation) annonçant la réalisation imminente du royaume de Dieu sur terre, ou des « lendemains qui chantent ». Mais c’est alors au risque pour celui qui se proclame le messie tant attendu que la prophétie tarde à se réaliser et qu’il se retrouve dans les poubelles de l’histoire où finit tout messie manqué, et condamné comme hérétique pour sa peine. Circonstances atténuantes, les messies auto-proclamés apparaissent nécessairement comme des adversaires de l’appareil de la religion en place, qui tend comme toute institution à se perpétuer avant tout, et s’accommode finalement fort bien du statu quo où elle a pris ses aises.
Seul élément de sens évident dans l’écoulement du temps au sein de l’espace que Hegel appelle simplement « le devenir », c’est que, du fait de notre génie technologique, la mécanisation suit inexorablement son cours, et que nos tentatives de conceptualisation du devenir de l’homme doivent l’être dans l’enceinte du théâtre que définit ce processus indubitablement cumulatif quant à lui.
Le contraste aveuglant entre l’homme restant désespérément tel qu’en lui-même tandis que sa créature mécanique prend son envol, génère chez nous des propos désabusés du genre « le progrès moral n’a pas lieu hélas au même rythme que le progrès technologique ».
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