Bruno Iksil : ce qui s’est vraiment passé (VIII) Le protocole du CIO différait sur deux règles de comptabilité fondamentales

Billet invité. Ouvert aux commentaires. P.J. : j’ouvrirai bien entendu volontiers les colonnes du blog à d’autres acteurs de cette affaire s’ils le souhaitent.

Le protocole du CIO différait clairement et à dessein sur deux règles de comptabilité fondamentales pour ce portefeuille de tranches synthétiques

Eh oui en bref l’ordre était de faire sciemment une valorisation qui de toute manière ne remplissait pas le cahier des charges des normes comptables. Ironiquement le but n’a rien de nébuleux : tout le monde peut le comprendre. JP Morgan pragmatiquement ne se contentait pas – pour son propre salut – de ne se fier qu’à des consensus aveugles ou à des traders atteints d’une myopie structurelle. La banque le savait puisqu’elle était le donneur d’ordre. Etonnant non ? Pas si étonnant ?… Mieux, la banque l’écrivit elle-même dans le NBIA de 2006 au sujet du protocole de valorisation de cette énorme protection en devenir. Il est dit que le CIO devrait utiliser en principe les prix de l’IB. Le rapport du Sénat américain conclura après examen en 2013 que le CIO [Chief Investment Office] ne le fit jamais en fait. Et il est écrit aussi que le département du contrôle des prix sera en charge de décider, en discussion avec le CIO, s’il y a lieu de modifier les prix pour les positions existantes au CIO sur le même instrument dans le CIO et l’IB…. La différence était attendue. Elle serait analysée mais les prix initiaux du CIO ne seraient pas forcément altérés. La réconciliation était bel et bien faite sur la base de différences de prix qui étaient souhaitées pour des raisons éminemment stratégiques pour la survie de la banque.

On peut utilement lire ici le document NBIA (année 2006) présent dans les annexes du rapport du Sénat, mais aussi l’appel entre Pinto, Macris et Artajo du 23 mars 2012, et l’appel d’Ina Drew vers Artajo du 17 Avril 2012 (annexes du rapport du Sénat aussi). Ces trois documents montrent que non seulement la différence était connue des chefs du CIO mais aussi du PDG de JP Morgan Londres. Les contrôleurs, les auditeurs internes, le groupe qui gérait les appels de marge du CIO tous les jours sans jamais savoir quand le CIO voudrait bien envoyer ses propres prix, étaient eux aussi parfaitement au courant….Comment diable faisaient-ils d’ailleurs à la banque d’investissement puisque le CIO n’avait pas d’heure fixe ? Les contreparties du CIO elles réclamaient leurs sous à heure fixe tous les jours. Car elles, tout comme l’IB de JP Morgan, se devaient de suivre les normes en vigueur.

D’autres documents montreraient encore que le CIO ne suivait pas deux règles comptables majeures : le moment de clôture de la valorisation et la manière d’ajuster le prix des tranches relativement aux indices crédit de référence. Les normes comptables et les standards adoptés par JP Morgan sont limpides pourtant. Elles imposaient un horaire rigoureux de saisie des prix (rien de cela pour le portefeuille du CIO qui envoyait sa valorisation entre 17h00 et 22h00 selon les jours même en fin de mois…) et un ajustement sur les tranches par rapport aux cotations envoyées par les dealers (le CIO ne faisait JAMAIS cet ajustement alors qu’il était indispensable pour les appels de marge chaque jour !). Bref le fameux « mark-to-market » pour lequel les prix « mid » (crude ou moins crude) importaient pour les chiffres inscrits dans les registres comptables n’était pas fait au CIO mais quelque part ailleurs dans la banque. Julien Grout le savait fort bien.

Cependant le CIO se devait quand même de respecter un certain cahier des charges, afin de ne pas faire n’importe quoi non plus. 40% des risques de la plus grosse banque du monde dans les marchés : l’enjeu est de taille ! Cela n’aurait pas empêché les ajustements ultérieurs de se faire de toute façon. En principe même si Julien Grout mettait un prix erroné, les registres de la banque seraient bons quand même quant au prix « mid ». Mais, avec le scandale et les enquêtes, il ressort que Julien Grout et Javier Martin-Artajo n’auraient pas agi comme ils auraient dû le faire selon le modus operandi propre au CIO. Iksil lui peut-il être blanc comme neige ? Après 5 ans d’enquêtes centrées en fait sur Iksil dès le départ et tout du long. Après 6 contre-interrogatoires, et 40 journées d’interrogatoire au total, c’est toujours la version d’Iksil qui prévaut. Le site web explore sur la base de ce témoignage une version qui n’est prise en défaut à aucun moment par les faits, après 5 années d’enquête approfondie. Les documents d’époque montrent au minimum que Julien Grout et Bruno Iksil participaient à une opération d’un genre unique pour JP Morgan.

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