Billet invité. Ouvert aux commentaires. P.J. : j’ouvrirai bien entendu volontiers les colonnes du blog à d’autres acteurs de cette affaire s’ils le souhaitent.
JP Morgan ne fit aucun effort pour rassurer les marchés. Pourtant c’était facile
La personnalisation extrême fut un leurre bien renouvelé durant les mois d’avril à juillet 2012. L’employeur JP Morgan ne fit jamais l’effort élémentaire de faire la transparence pour décrire une structure qui pourtant était parfaitement logique dès qu’on sait que ce gigantesque portefeuille n’avait aucune limite propre et véhiculait un risque sur les marchés équivalent à 40% bon an mal an de toute l’exposition de toute la banque JP Morgan depuis 2007.
Il faut se rappeler le krach du marché obligataire de 1994, la crise de LTCM [P. J. : Long Term Capital Management] en 1998, la crise des « dot.com » de 2000 [P. J. crise des start-ups en français], la crise de Enron en 2001, la crise de crédit de 2002 et la condamnation de JP Morgan dans l’affaire Enron en 2003.
Chaque fois la très grande et prestigieuse banque américaine, sponsor principal de la VAR dans le monde depuis 1993, se trouvait fortement exposée et atteinte dans sa réputation à cause d’un risque de trading notoirement toxique mais mal maîtrisé a posteriori.
Dimon en 2006 créa cette immense protection stratégique pour précisément prévenir la prochaine crise de trading pour le groupe. Ce n’est pas du tout une coïncidence si dès 2006, en pleine euphorie sur les dérivés de crédit, Dimon choisit en personne de se focaliser sur les tranches synthétiques, sur le subprime, sur les notations AAA et sur les risques dits de « base » ou risques de « skew » [P.J. : liée à une erreur dans le modèle de Black & Scholes de pricing des options dont nous savons aujourd’hui qu’elle était délibérée de la part de ses auteurs pour éviter de remettre en question l’hypothèse des marchés efficients *].
Tels étaient les centres de concentration de risque dans le portefeuille de protection géré au CIO et dont le trader avéré était Javier Martin-Artajo pour la haute direction de JP Morgan.
Oui, ce portefeuille de dérivés de crédit toxiques avant l’heure protégeait la banque à coup sûr mais pesait à lui seul 40% de toute l’exposition de la banque sur les marchés financiers. Ce portefeuille là n’avait aucune limite qui lui était affectée. Les limites du CIO seraient ajustées à la volée au besoin entre 2006 et 2012 pour ne pas freiner le déploiement et l’ajustement de l’énorme portefeuille de tranches.
L’image colportée en interne était celle d’un éléphant dans une bijouterie. Le phénomène laissa d’ailleurs les membres de la sous-commission d’enquête du Sénat américain plus que perplexes en mars 2013. Ils dénombrèrent pas moins de 330 dépassements de limites massifs au CIO directement associés à l’évolution de l’énorme portefeuille de tranches. Non seulement ces dépassements ne furent pas corrigés, mais pire, ce furent les limites du CIO qui furent ajustées pour que l’énorme portefeuille devienne plus gros encore ! Mais ce qui sans doute les stupéfia le plus c’est que les quelques 100 régulateurs, assis dans les propres locaux du siège de JP Morgan, qui reçurent en temps et heures les rapports de dépassement ainsi que leur cause, et qui ne firent strictement rien pour arrêter cela. Ils avaient une raison rationnelle bien sûr dont ils parlèrent avec la haute direction de JP Morgan en décembre 2011, puis en janvier 2012, puis en février 2012 avec une attention toute spécifique sur la règle Volcker.
Ils en parlèrent encore au début mars 2012, au sujet des réserves de liquidité, à la mi-mars encore au sujet du plan de rachat d’actions de Dimon, et à la fin mars 2012 encore au sujet des pertes du portefeuille de tranche du CIO et de son annihilation planifiée. Bref, il n’y avait pas d’autre « trader » sur cet énorme portefeuille stratégique sans limite que la haute direction de JP Morgan elle-même.
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* L’Écho, Paul Jorion : « La science économique fournit le discours ad hoc aux financiers », le 29 avril 2017 : « Scholes crée le hedge fund LTCM, qui créera un risque systémique menaçant le système mondial d’effondrement. Pire, il affirme à l’historien des sciences Donald MacKenzie savoir que son modèle est faux et, sachant que les autres y croient, générer ainsi du profit ! Et d’ajouter : « produire un modèle correct aurait forcé à remettre en cause la théorie de l’efficience des marchés », laquelle n’est en réalité qu’un dogme. »
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