Billet invité.
Mesurer la probabilité de défaut des actifs financiers est-il encore possible ? Devenue de plus en plus nébuleuse au fur et à mesure que le monde financier se complexifie, la mesure du risque est un véritable serpent de mer, rejaillissant sur celle des banques.
Aux États-Unis, un modèle robuste mais sommaire fait loi, qualifié de standard et valable pour toutes, et a le mérite de permettre les comparaisons entre elles. En Europe, les banques utilisent d’innombrables modèles maison au prétexte qu’elles sont les mieux placées pour connaître le risque dont leurs clients sont porteurs. Mais derrière cet argument de bon sens se cache l’intention moins avouable de minorer leur risque pour réduire l’immobilsation de coûteux fonds propres et attirer les investisseurs à moindre frais.
Cette situation n’a tout de même pas échappé aux feutrées instances régulatrices européennes, à la faveur des stress tests des banques et de l’analyse de leurs bilans bancaires. Comme signifié par la BCE en 2015, « plusieurs études comparatives ont relevé des incohérences et une forte variabilité dans les exigences de fonds propres telles que calculées à travers les modèles internes de différentes banques. » Ce constat de « trop grande variabilité » a également été établi par le Comité de Bâle et l’Autorité bancaire européenne (EBA) qui l’ont largement documenté – sans le publier – et ont déclaré leur intention de le réduire.
La controverse avec les banques portant sur le recours aux modèles internes pour déterminer les exigences de fonds propres réglementaires – le fameux « pilier 1 » – n’a cessé de se développer. Car celles-ci sont fortement suspectées de biaiser et de faire ainsi obstacle à la comparaison de ratios financiers reposant sur l’évaluation du montant des actifs pondérés par le risque. Avec pour conséquence que les écarts observés entre deux banques données traduisent l’utilisation de méthodes de modélisation du risque différentes et non pas ce risque même. Plus grave encore, que valent en définitive ces ratios, nec plus ultra de la régulation dont le respect est censé absorber les chocs, et de quoi prémunissent-ils au bout du compte ?
Un vaste chantier a été décidé en 2015 afin d’effectuer une revue des modèles maison – dits internes – dont plus de 7.000 ont été dénombrés auprès des 123 banques européennes suivies par la BCE. Intitulé Targeted Review of Internal Models (TRIM), ce programme dont la méthodologie n’a pas été dévoilée – ce qui est fort regrettable – vise à évaluer la fiabilité des modèles internes mis en œuvre par les banques. Mais les conclusions n’en sont attendues qu’en 2019.
Le Comité de Bâle a en quelque sorte mis la charrue avant les bœufs en prétendant réglementer sans attendre le calcul des actifs bancaires pour l’unifier internationalement. Il n’y est toujours pas parvenu, faisant face à une résistance opiniâtre des banques françaises, accompagnées par les allemandes et hollandaises, qui préfèrent une absence d’accord à un mauvais accord et font obstruction. La dernière réunion de la semaine dernière du Comité s’est soldée par un échec, et rendez-vous a été pris à la mi- septembre. Le désaccord enregistré porte sur le niveau d’un seuil plancher calculé selon la méthode standard et devant être respecté par les banques utilisant un modèle maison. Les banques européennes le veulent le plus bas possible pour se garantir de larges marges de manœuvre.
Mais les banques françaises pourraient se retrouver isolées, s’il se confirme que la Bundesbank et le Bafin – le régulateur allemand – sont prêtes à accepter un niveau relativement élevé de plancher, ce que le gouverneur de la Banque de France François Villeroy de Galhau, qui s’est beaucoup avancé dans le soutien inconditionnel des banques françaises, semble devancer en appelant à un compromis : « un peu de mesure ne ferait pas de mal et notre sujet n’est pas de défendre des intérêts corporatistes ».
Les analystes présentent ces tractations comme éminemment « techniques » – sur lesquelles il n’est donc pas nécessaire de s’appesantir – ou quand ils sont inspirés comme le noble affrontement entre deux « philosophies ». Les lobbies bancaires préfèrent quant à eux évoquer la guerre économique menée par les banques américaines pour mettre l’opinion publique de leur côté, utilisant le sempiternel argument du désavantage compétitif.
Qui ose dire que l’opacité du monde financier est volontaire ?
Le danger ne vient pas seulement de D.Trump, mais plus particulièrement de son ‘oligarque’ E.Musk, et l’on comprend mieux maintenant…