La machine-arrière du Brexit, par George Soros

Brexit in Reverse, Project Syndicate, June 19, 2017, par George Soros. Merci à Marianne Oppitz ! P.J. : je n’ignore pas que Soros, en tant que représentant authentique de la pensée socialiste – en dépit de son passé – est très logiquement la bête noire N°1 du proto-fascisme régnant en maître aujourd’hui à Moscou comme à Washington.

La réalité économique est sur le point de rattraper les faux espoirs du public. Lequel a cru aux promesses de la presse populaire qui affirmait que le Brexit ne ferait pas baisser son niveau de vie. Il n’est en fait parvenu à maintenir celui-ci qu’en augmentant son endettement.

Si tout cela a pu marcher pendant un certain temps, c’est parce que la consommation des ménages a stimulé l’économie. Le moment de vérité ne se rapproche pas moins. Comme mis en évidence par les chiffres les plus récents publiés par la Banque d’Angleterre, la hausse des salaires n’arrive pas à suivre le rythme de l’inflation, si bien que les revenus réels se sont mis à baisser.

Lorsque l’expérience du mois de juin se sera répétée au fil des mois, les ménages finiront par se rendre compte que leur niveau de vie baisse et qu’ils seront obligés de revoir le niveau de leurs dépenses. Plus sérieusement encore, ils se rendront compte également qu’ils se sont surendettés et que le jour approche où ils seront forcés de rembourser leurs dettes. Ce qui réduira la consommation des ménages, laquelle a soutenu l’économie jusqu’ici. En outre, la Banque d’Angleterre a commis la même erreur que le ménage moyen : elle a sous-estimé l’impact de l’inflation et tente maintenant de sauver la mise en haussant les taux d’intérêt dans une logique pro-cyclique [P.J. : reflétant la santé de l’économie].

Nous nous rapprochons rapidement du point de basculement qui caractérise toutes les évolutions économiques non durables. Dans mes écrits théoriques, j’appelle ce point de basculement la « réflexivité ».

La réalité économique est renforcée par la réalité politique. Le fait est que le Brexit est une opération perdant-perdant, toxique à la fois pour la Grande-Bretagne et pour l’Union européenne. Il est impossible de le défaire, mais rien n’interdit de changer d’avis. C’est apparemment ce qui est en train de se produire.

La tentative par Theresa May de renforcer sa position de négociatrice, en appelant à des élections anticipées, a fait long feu : elle a perdu sa majorité parlementaire. La cause première de sa défaite a été son erreur fatale de proposition d’une taxe sur la démence sénile qui a révulsé ses électeurs de choix : les personnes âgées. Mais la montée en puissance des jeunes électeurs a également été un facteur déterminant. Ils ont voté pour le Parti travailliste en signe de protestation, non pas parce qu’ils voulaient s’affilier à un syndicat ou apporter leur soutien à Jeremy Corbyn (bien que celui-ci ait réalisé un tour de force impressionnant). Leur attitude à l’égard du marché unique est diamétralement opposée à celle de Theresa May. Les jeunes sont déterminés à obtenir des emplois bien rémunérés, que ce soit en Grande-Bretagne ou ailleurs. À cet égard, leurs intérêts coïncident avec ceux de la « City » à Londres [P.J. : le centre financier britannique], où l’on trouve certains de ces emplois.

Si Theresa May entend rester au pouvoir, il lui faut changer de cap. Plusieurs signes suggèrent qu’elle s’y résout. En abordant dans un esprit de conciliation les négociations qui démarrent lundi, il est possible qu’elle parvienne à un accord avec l’Union européenne en conformité avec l’ordre du jour de celle-ci et accepte de demeurer membre du marché unique pour une période suffisamment longue pour que les révisions d’ordre juridique soient menées à terme. Ce qui constituerait en soi un énorme soulagement pour l’Union européenne parce que cela retarderait la date fatidique à laquelle la défection de la Grande-Bretagne serait susceptible de creuser un trou énorme dans le budget de l’UE. Il y aurait alors un accord gagnant-gagnant.

Ce n’est qu’en s’engageant dans cette voie qu’elle pourrait espérer convaincre le Parlement [britannique] d’adopter l’ensemble de lois qui devraient être appliquées. Il se pourrait qu’elle doive renoncer à sa malencontreuse alliance avec les Unionistes d’Ulster [Irlande du Nord] et se ranger aux côtés du Parti conservateur écossais. Il lui faudrait aussi racheter les péchés des conservateurs de Kensington pour ce qui touche aux Grenfell Towers. Elle pourrait alors continuer de diriger un gouvernement minoritaire, aucun autre candidat ne souhaitant lui contester sa place. Certains signes suggèrent qu’elle s’y prépare.

La procédure de divorce prendra au moins cinq ans et, durant cette période, de nouvelles élections auront lieu. Si tout se passe bien, les deux parties aimeront peut-être se remarier avant même d’avoir divorcé.

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