Billet invité.
Après de longues tergiversations, la Fed a finalement enclenché prudemment la marche arrière et va progressivement laisser décroître son énorme stock d’actifs en ne renouvelant pas les titres en sa possession, lorsqu’ils arrivent à maturité. Son bilan atteint il est vrai la taille de 4.500 milliards de dollars – il était de 700 milliards en 2008 – et la banque centrale détient environ 15% de la dette fédérale, prêtant le flanc au reproche d’avoir franchi la frontière entre la politique monétaire et la politique budgétaire, qui n’est pas de son ressort, brisant un tabou.
Elle a prévu de s’entourer d’un maximum de précautions, car l’exercice est inédit et ses conséquences imprévisibles : les acteurs du monde financier se sont habitués à disposer de liquidités en abondance et la Fed va progressivement les récupérer au cours de ce processus, après les avoir dispensées. Mais ce n’est pas la seule conséquence de sa décision. Il a été suffisamment fait état des distorsions induites par les opérations de quantitative easing de la Fed pour ne pas s’interroger sur les conséquences de leur ralentissement, même à petites doses et progressivement.
Pour reprendre l’expression consacrée, la Fed est entrée dans des territoires inconnus. Y pénétrant à tâtons, elle va mensuellement plafonner la quantité mensuelle de titres de la dette souveraine et d’obligations hypothécaires non remplacés pour ne pas prendre les investisseurs par surprise. À ce rythme, trois à cinq ans seront nécessaires pour réduire son bilan de moitié. Mais il n’empêche ! quel va être l’impact sur le marché hypothécaire de son délestage, pour prendre un exemple particulièrement sensible ? Sur un marché dominé par Fannie Mae et consorts, qui détient une grosse part des titres hypothécaires, la Fed en possède suffisamment pour déclencher en les vendant une hausse des taux aux fortes implications. Sur le marché de la dette souveraine, un aplatissement de la courbe des taux redouté par les banques commerciales pourrait de son côté en résulter.
Un autre phénomène plus lourd de conséquences va intervenir. La raréfaction du collatéral destiné au renforcement des fonds propres des banques, ou apporté en garantie des transactions, ne s’est pas fait encore sentir étant donné l’abondance des liquidités qui ont été largement utilisées pour garantir ces dernières. D’après l’International swaps and derivatives association (ISDA), 75% des transactions étaient en 2014 assurées par du cash, 15 % par des titres souverains et 10 % avec d’autres titres tels que des actions et des obligations d’entreprises. Mais la pénurie se confirme au fur et à mesure de la mise en vigueur des dispositions de la réglementation bancaire et de la progression de la compensation des dérivés, et le mouvement va s’approfondir au fur et à mesure que les liquidités seront moins disponibles.
L’encadrement désormais renforcé de la réhypothécation, grâce à laquelle deux transactions peuvent être garanties par un même collatéral, ne permettra pas de faire des miracles. Pas plus que le prêt rémunéré d’actifs de qualité le temps d’une transaction, ou leur échange contre des titres de moindre qualité, le nouveau business opaque de la « collateral transformation » à surveiller de près. Élargir l’éligibilité des actifs pour prétendre au rang de collatéral de qualité devient alors inévitable, la dette souveraine n’étant pas suffisante (d’autant qu’elle ne pourra plus être longtemps considérée comme à risque nul et que l’introduction d’une décote sera nécessaire). Cela ne pourra se faire qu’au détriment de la qualité du collatéral, une démarche qui a d’ailleurs été discrètement adoptée par la BCE vis à vis des banques. Le danger de sous-collatérisation pend au bout du nez des chambres de compensation des dérivés, confortant l’analyse qu’elles vont renforcer le risque qu’elles ont pour mission de réduire. Déjà que leurs appels de marge sont en soi problématiques, car ils impliquent de déterminer un risque souvent insaisissable. Un mot magique permet certes d’effacer tous les doutes, la confiance ! jusqu’au jour où elle disparait sans crier gare.
À l’heure où la dérégulation prend tournure aux États-Unis, et où les mégabanques européennes s’efforcent de préserver leurs méthodes complaisantes d’évaluation du risque de leurs actifs, avec un acharnement d’autant plus élevé qu’elles sont gavées de produits dérivés, les autorités européennes poursuivent dans le cadre du Brexit la bataille sur la surveillance des chambres de compensation de ces mêmes produits, qui sont actuellement localisées à la City. La formule qui tient aujourd’hui la route mais peut difficilement être considérée comme encourageante serait celle d’une surveillance partagée entre les autorités britanniques et européennes, si nécessaire à la source de discrets arrangements.
La chance de Janet Yellen, la présidente de la Fed, pourrait être que ni la Banque du Japon ni la BCE ne s’engagent simultanément sur son chemin, car cela amplifierait à coup sûr les effets indésirables de sa marche arrière. Quoi qu’il en soit, le retour à la normalité s’annonce long et plein d’embuches, le terme étant en lui-même trompeur, car le système financier ne redeviendra pas comme avant. Il poursuit vaille que vaille sa fuite en avant.
« Vladimir Poutine montre qu’il cherche à évoluer dans un cadre légaliste écrit normatif » Mais oui bien sûr ! Louis XIV…