Billet invité.
On aurait beau jeu d’ironiser sur le paradoxe issu du premier tour des législatives de 2017 : le renouveau tant prôné, marque de fabrique, élément central du marketing politique de La République En Marche et d’Emmanuel Macron, a fini par faire accoucher du pire score de participation à une élection législatives depuis la création de la Vème République, depuis l’instauration du suffrage universel en France en 1848, en fait.
Il y a là une pluralité de causalités, intrinsèques et extrinsèques, à l’émergence de cette ‘nouvelle ère’ que l’élection présidentielle d’Emmanuel Macron promouvait, promettait.
Il y a d’abord une longue évolution historique de cette participation : depuis 1978, soit presque 30 ans, cette participation diminue quasiment régulièrement pour les législatives. On voit dès lors mal comment pouvoir imputer ce mouvement long à celui d’En Marche !, celui d’une désaffection croissante envers la pertinence et l’utilité de voter à une élection législative, et plus largement à une élection, l’élection présidentielle étant quasiment la seule à être relativement épargnée, selon les années. Même l’élection municipale, qui fut longtemps l’élection de proximité à être épargnée est maintenant gagnée par une abstention frôlant les 40%, quand toutes les autres ont déjà atteint le seuil des 50%, voir des 60% (pour les européennes).
La France rejoint ainsi de grands pays démocratiques comme le Royaume-Uni ou les Etats-Unis, où traditionnellement le taux d’abstention est élevé (supérieur à 40%) pour des élections générales, pays aussi de tradition de bipartisme politique, à la différence près que cette fois-ci, le taux de participation aux législatives en France a été inférieur à un électeur sur deux, chose assez rare voire inexistante dans ces deux pays. A ce niveau là d’abstention pour des élections générales, il ne reste plus guère comme comparaison possible que les niveaux d’abstention élevés des pays d’Europe de l’Est, comme la Bulgarie ou la Roumanie, minés par la corruption et l’affairisme …
C’est dire si, nolens volens, le ‘renouveau’ s’inscrit bien à la fois dans cette ‘continuité politique’, structurelle, à la fois générique aux démocraties représentatives, et à la fois spécifique au contexte français par sa dégradation permanente et son ampleur : il y a bien, aussi, un ‘mal français’.
On pourrait évidemment pour définir ce ‘mal’ décrire le contexte spécifique de la France, où l’attrait pour le politique a longtemps été une marque de fabrique et où les clivages politiques sont parfois des plus marqués.
On pourrait ainsi décrire la succession des ‘crises de régime’ vécues sous une Vème République dont le pouvoir exécutif a sans cesse été renforcé (inversion des calendriers notamment entre les élections législatives et l’élection présidentielle), depuis la fin du ‘règne’ mitterrandien à celui de l’absence même de ‘règne’ hollandien, en passant par l’activisme débordant sarkozyen ou l’immobilisme chiraquien.
On pourrait aussi égrener la litanie des affaires, notamment celles qui ont eu lieu ces dernières années et jusque pendant l’élection présidentielle, y compris d’ailleurs au sein du Front National, celui-là même qui se repaissait du ‘Tous pourris’, comme divers éléments de désaffection des citoyens envers leurs institutions politiques, envers le processus démocratique de vote.
On pourrait parler de ce ‘dégagisme’, repris d’ailleurs sous des formes différentes par différents candidats et partis politiques, comme seule base commune à la fois aux partis politiques et à la fois à une partie de l’électorat : un ‘programme commun’ comme seul viatique démocratique, dont la conséquence, logique, est qu’in fine le citoyen se ‘dégage’ lui-même du processus de vote, comme meilleur moyen de tout ‘dégager’.
On peut aussi citer une part de causalité dans la nature même du mouvement ‘En Marche !’, qui fit du marketing politique (être en capacité de capter et de répondre à une pluralité de ‘désirs’ en lieu et place de produire une idéologie structurée) son identité et son fonctionnement, son mantra du ‘rassemblement national’, ‘ni de gauche et ni de droite’, comme de vecteurs de désaffiliation à un champ politique conçu comme un champ justement de résolution des conflits, comme d’un rejet même des conflits.
Plus largement, le rejet de partis politiques perçus comme étant seulement des outils d’accès au pouvoir et non plus aussi des outils d’élaboration de propositions politiques, à fortiori avec des fonctionnements assez peu sinon uniquement formellement démocratiques, a permis à ‘En marche !’ de se présenter comme incarnant le renouveau du fonctionnement démocratique, en intégrant une démarche participative (idées, candidatures) mais surtout par sa création ‘ex nihilo’ (hors du champ politique habituel), quand dans les faits ce mouvement utilise les mêmes modes de fonctionnement centralisé et éminemment personnifié (Emmanuel Macron), jusqu’à l’outrance. Là encore, une fois parvenu au pouvoir, ce paradoxe devra lui aussi être résolu par La République En Marche, sous peine de devoir renforcer l’abstention de ceux-là même qui se sont reconnus dans ce mouvement et qui ne tarderont pas, si ce n’est déjà fait, à reconnaître les mêmes pratiques politiques que celles décriées.
On pourrait enfin parler de la désaffection des citoyens envers des institutions dont ils perçoivent globalement qu’elles ne sont plus le théâtre de pouvoir que l’on prétend être toujours, comme n’ayant plus la capacité à agir pour transformer leur réalité, institutions nationales dans un univers mondial et dont on ne cesse de leur rabâcher combien ce monde est mondialisé.
Cela ne signifie pourtant pas une désaffection des citoyens envers le politique, sans doute même l’inverse, autre paradoxe, en apparence. La seule participation à un processus démocratique parmi d’autres qu’est le vote, représenté peut-être comme dépassé par sa forme et sur le fond aujourd’hui, n’est plus pour une part désormais majeure des citoyens définie comme l’alpha et l’oméga du politique.
Penser en termes de participation seulement, que ce soit pour des élections générales, locales ou même pour un Conseil de quartier n’est tout simplement plus possible.
Penser répondre à cette crise de représentativité et les biais induits classiquement (sur-représentativité de certaines classes sociales) ou spécifiquement (l’abstention massive renforce ces biais), voire même une crise de légitimité (un tiers des électeurs représentant 16% du corps électoral obtenant 80% des sièges à l’Assemblée Nationale) par l’ajout d’une dose de proportionnelle aux prochaines élections est juste dérisoire.
C’est un des paradoxes majeurs auquel Emmanuel Macron et sa (future) nouvelle majorité (écrasante) devront répondre : comment incarner un renouveau politique autrement que par la forme quand la désaffiliation massive des citoyens constitue le fond du politique, tel qu’il est constitué aujourd’hui ?
Peut-on considérer que la France et ses citoyens se sont ‘normalisés’ comme d’autres grands pays démocratiques et qu’au fond, nous avons ainsi atteint une ‘maturité’ démocratique qui manquait à ce pays, qu’il conviendrait juste de bien ‘gérer’ étant donné sa spécificité politique et historique ?
Ou alors peut-on, doit-on considérer qu’il est grand temps de transformer ce champ politique autrement que par les vieilles recettes déjà appliquées (‘une dose de proportionnelle’) ou qui le seront ensuite (cumul des mandats, conflits d’intérêts des élus, …) et qui finiront par fournir les mêmes effets pour n’avoir pas traité le fond du problème (pouvoirs vs participations), au risque que le champ politique soit frappé d’illégitimité indépassable, parce que récurrente ?
Si Emmanuel Macron n’a que peu de responsabilité quant à ce fait politique majeur, mais bien plutôt que comme résultante de ce phénomène, il reste néanmoins qu’il a une responsabilité particulière par-delà la responsabilité de tous pour y faire face, étant donné ses prétentions affichées et l’importance des pouvoirs qu’il a su capter, exécutifs et législatifs.
C’est à cette aune là qu’il sera jugé sur les élections suivantes, et plus largement, sur la vie démocratique dans ce pays.
@François M En 1939 ce sont la Grande Bretagne et la France qui ont déclaré la Guerre à l’Allemagne, (pas…