Billet invité.
Les Trente Glorieuses chinoises ont épaté les amateurs de chiffres et d’indices. La croissance du taux de croissance a porté la R.P.C. au sommet des hits parades : 1er producteur mondial de chaussettes, de trains à grande vitesse, de ceci, de cela … Il y a là de quoi rendre légitimement fier de sa réussite le plus obtus des dirigeants politiques. Intégrez aux classements quelques améliorations réelles de la vie des gens : fin des rationnements, marchés et magasins bien achalandés, construction de routes et ponts pour permettre désenclavements et échanges, transition en cours d’une société rurale vers une société urbaine, logements plus confortables (7 m2 /hab. en 1980, 35 en 2015), émergence d’une classe moyenne de 300/350 millions de gens, amélioration globale du niveau de vie, éradication de la pauvreté d’ici trois ans (fin 2016, la Chine comptait toujours 43,35 millions de personnes vivant au-dessous du seuil de pauvreté du pays)…
Noir ou gris, le chat de Deng a rempli sa mission : sortir le pays de la pauvreté absolue, répondre un peu aux aspirations de la population. Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes, le gouvernement peut fixer désormais un objectif mobilisateur : la petite harmonie pour tous ! Pour tous, une vie meilleure !
Fidèles lecteurs des notes du blog, vous le savez, rien n’est jamais figé ni vraiment linéaire dans la pensée chinoise, le sinueux souvent l’emporte sur le rectiligne et l’assomption n’est qu’un moment où les germes du renversement sont déjà à l’œuvre. La promesse de vie meilleure pour tous peut séduire et enthousiasmer, encore faut-il assurer la possibilité même de cette vie : l’État chinois est désormais confronté à une crise environnementale qui risque bien d’ébranler tout l’édifice et d’avoir la peau du chat de Deng.
Inspirer/expirer, un coup Yin/un coup Yang, bien respirer c’est nourrir sa vie : entre 2008 et 2015, soit 2920 jours, les Pékinois n’ont respiré que 55 jours un air conforme aux normes de pollution de l’OMS ! Toutes les villes du Nord Est semblent concernées. Il est question de 4400 décès prématurés par an à cause de la pollution de l’air. Sur tous les fronts les signaux sont au rouge : pollution des eaux (353 millions de Chinois connaissent, dans le nord et le long du Fleuve Jaune, une pénurie permanente), assèchement des lacs et des fleuves (en 1997 le Fleuve Jaune, pendant 330 jours, a cessé de se jeter dans la Mer de Chine), dégradation des sols, érosion, désertification, pluies acides sur 40 % du territoire, gestion des déchets, émission de gaz à effet de serre… La crise est là : le documentaire Under the Dome mis en ligne ici l’illustre abondamment. Le mode de développement est en cause : le poids de la démographie, l’utilisation massive du charbon (1400 centrales thermiques), la politique d’autosuffisance de chaque province initiée par Mao lorsqu’il délocalisa la production vers l’intérieur, la place du ciment et des cimenteries (entre 2011 et 2013, la Chine a utilisé plus de ciment que les USA pendant tout le XXème siècle), les surproductions diverses, tout concourt à pourrir la vie courante des gens.
Depuis 2008, date de la création du Ministère de la Protection de l’Environnement, les mesures gouvernementales se succèdent, mais les autres ministères, les commissions d’État, les échelons provinciaux et locaux, contrarient souvent les pouvoirs du MPE. Depuis 2012, réitérée en 2014 et, plus récemment, à l’occasion de la COP21, la politique de protection de l’environnement constitue désormais une priorité. Des améliorations sont en cours, par exemple avec les centrales à charbon « super critiques » et « ultra super critiques ». On peut noter aussi qu’en 2015, pour produire de l’électricité, l’utilisation des énergies non fossiles a dépassé celle des énergies fossiles. Depuis plus d’une décennie, la Chine a financé plus que tout autre pays les énergies renouvelables, c’est de très loin le pays qui investit le plus dans les énergies propres…
Les dirigeants chinois semblent avoir mesuré l’ampleur du défi, d’autant que les « incidents de masse » pour dénoncer la pollution et la dégradation de l’environnement se multiplient. L’Empereur doit se retrousser les manches, son mandat céleste, son trône et sa légitimité sont en cause !
Bibliographie :
La crise environnementale en Chine, de J.F. Huchet .- Presses de Sciences Po, oct. 2016
ISBN : 978-2–7246-1950-8
@Pascal (suite) Mon intérêt pour la renormalisation est venu de la lecture d’un début d’article d’Alain Connes*, où le « moi »…