Billet invité. Ouvert aux commentaires.
Un rapport récent de l’OCDE (Compendium des indicateurs de productivité ) constate que le ralentissement de la croissance de la productivité dans les pays industrialisés, amorcé avant la crise, et conjugué à la faiblesse des investissements – résultats financiers à court terme obligent – se poursuit ces dernières années et compromet de plus en plus l’augmentation de la production économique et l’amélioration des niveaux de vie. Il met aussi en évidence un découplage entre la croissance de la productivité et celle des salaires moyens réels dans de nombreux pays, d’où un déclin continu de la part du travail dans le revenu national.
L’évaluation de la productivité est un problème complexe, dont l’abord mérite la plus grande prudence, comme le montre très bien un texte de Thomas Piketty paru en janvier dernier (De la productivité en France et en Allemagne, qui montre chemin faisant que la différence entre les deux pays n’est pas celle que l’on croit). C’est fâcheux, parce que le coût du travail est au centre du débat public et sert à justifier des politiques d’austérité et de précarisation du travail dont le moins qu’on puisse dire est que leur effet principal est d’augmenter la pauvreté relative, particulièrement quand elles font baisser les statistiques officielles du chômage. Les salariés ne figurent certes plus dans les statistiques officielles, mais ils se transforment en auto-entrepreneurs de fortune, ou en travailleurs précaires, allant d’emploi instable en emploi instable, à temps partiel, et parfois rémunérés de façon dérisoire.
On peut débattre indéfiniment entre experts sur l’art et la manière d’évaluer la productivité globale d’une économie mais – au delà des équations insondables -on peut aussi essayer de donner une explication de bon sens, plus accessible à tous ceux pour qui – comme c’est mon cas – ces échanges savants sont incompréhensibles dans leur subtilité.
Chacun sait, malheureusement, que les délocalisations et l’automatisation suppriment des emplois dans les pays développés. La plupart des experts estiment entre 30 et 50% suivant les pays les emplois actuels qui sont directement menacés par l’automatisation des tâches dans l’industrie et dans les services. Dans le meilleur des cas (relocalisations, investissement en productivité…) les emplois perdus sont compensés pour une faible proportion par des emplois très qualifiés. Mais la plupart du temps, ils sont remplacés par des emplois beaucoup moins qualifiés dans le commerce et les services. Le crédit a permis pendant un certain temps de cacher la misère, particulièrement aux Etats-Unis où grâce à un système bien au point de refinancement des prêts hypothécaires, les particuliers propriétaires de leur domicile ont pu se procurer des revenus d’appoint tant que les prix augmentaient. L’affaire s’est plutôt mal terminée, l’effondrement des prix faisant que de nombreux Américains se sont retrouvés avec des emprunts dont le montant dépassait la valeur marchande de leur bien.
Cette migration d’une partie significative de la population active d’emplois stables et productifs vers des emplois instables et moins productifs n’est pas sans conséquences économiques. On peut faire l’hypothèse de bon sens que si la productivité progresse lentement alors que l’emploi augmente, sa stagnation est moins due au ralentissement du progrès technique et technologique – qui a au contraire plutôt tendance à accélérer – qu’au laminage des classes moyennes par déclassification due à l’attrition des emplois qualifiés pour cause de délocalisation et d’automatisation. Il n’est pas besoin d’être un économiste patenté pour comprendre que lorsqu’un cadre moyen ou un technicien devient serveur dans un restaurant fast food, ou caissier dans un supermarché sa productivité baisse.
Socialement, la disparition des classes moyennes est une calamité mais c’est aussi une calamité économique à plus ou moins long terme suivant les pays : moins de revenu disponible signifie arithmétiquement moins de consommation, et donc moins de croissance dans les économies développées dont la croissance est tirée par la consommation. C’est un problème d’autant plus sérieux, que moins de dépenses marchandes impliquent aussi moins de rentrées fiscales pour les états, et donc une réduction des programmes de protection sociale.
Il serait vain d’attendre des entreprises qu’elles comprennent ce dilemme et se transforment en assistantes sociales, ce n’est pas leur objectif, qui est et reste légalement de maximiser le profit pour leurs actionnaires en respectant les lois et règlements en vigueur. La seule solution consiste à trouver un nouvel équilibre entre consommation marchande, et consommation non marchande. On ne peut pas dire que la marchandisation croissante de l’économie aille dans ce sens, pas plus d’ailleurs que la généralisation des choix d’investissements publics en fonction de leur rentabilité financière, sans considération, autre que purement cosmétique, pour leur utilité environnementale et sociale. Le réveil risque d’être brutal dans ces deux domaines.
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