Billet invité. Ouvert aux commentaires.
Préambule : je fais partie de la France insoumise et je ne m’en cache pas, mais je tiendrai pour nul et non avenu le fait qu’on me dise que je défends ici un point de vue idolâtre et sectaire, vu que je me pense encore capable d’esprit critique, que ce soit à l’égard de Jean-Luc Mélenchon ou de quelque autre homme politique.
Je veux essayer ici de comprendre pourquoi ça cloche aux législatives à gauche, et pour quelle raison la France insoumise a été incapable de rassembler sous son aile l’ensemble de la gauche non socio-démocrate. En dehors, cela va de soi de mon point de vue, des accusations psychologisantes de « bataille des égos » ou de « volonté de revanche contre le PS », qui faussent le débat par leur caractère simpliste. Il y a d’autres enjeux bien plus complexes que tout ça derrière la bataille.
Quelle unité pour la gauche aux législatives ?
Il me semble qu’il n’y a que trois possibilités pour arriver à faire l’unité entre FI, Parti communiste français (PCF), Ensemble, Europe-Écologie Les Verts (EELV) et gauche du Parti socialiste (PS).
1/ Le cartel de partis,
2/ Le rassemblement sous une même bannière,
3/ Les accords électoraux entre partis, soit au niveau national soit au niveau local.
La solution 1/ est celle du Front de gauche, qui n’a pas fonctionné par le passé ni aux présidentielles ni aux législatives, et dont visiblement seul le PCF tient à conserver la possibilité en en maintenant l’étiquette sur ses affiches. La solution 2/ est celle prônée par la FI, la solution 3/ est celle voulue par les autres acteurs de la gauche dispersée actuellement aux législatives. Passons la 1/, définitivement enterrée je pense (dans la mesure où elle n’est plus désirée que par le PCF, et n’est prônée par aucun des autres acteurs de la gauche, pas seulement la FI mais aussi EELV, etc.), regardons la 2/ : que veut exactement la FI ?
La gauche humaniste et écologiste sous une même bannière ?
On accuse systématiquement actuellement la FI de volonté d’hégémonie. Regardons ce qu’il en est : il est vrai que certaines déclarations de Jean-Luc Mélenchon, quand il dit qu’il veut remplacer le PS (et non s’allier à lui), ou quand il dit qu’il se veut à la tête de « la famille humaniste et écologiste » de la gauche française, laissent inévitablement penser qu’il a des vues impérialistes sur le reste de la gauche. Or, le fait est, si on fait bien attention à ce qui est dit : 1/ que JLM, s’il veut remplacer le PS, ne parle jamais de vouloir remplacer les autres partis (EELV, PCF, etc.), et donc aurait essentiellement en vue le PS quand il semble vouloir dire « avec ou contre moi ». Ainsi quand il a donné au cours de la présidentielle comme préalable à un éventuel accord avec Benoit Hamon que celui-ci quitte le PS. Ceci pourrait être considéré comme contradictoire avec Charlotte Girard qui dit au micro de Mediapart que la FI accepte tout le monde, quelle que soit son origine politique, et ne demande à personne de jeter sa carte… et pourtant, il semble qu’un traitement spécifique soit fait au sein de la FI au PS : ce que Charlotte Girard dit être valable pour EELV, le PCF ou Ensemble ne semble pas être vrai pour le PS. Pourquoi doit-on quitter le PS pour rejoindre la FI, mais ne doit-on pas quitter son parti pour rejoindre la FI quand on est PFC, EELV, etc. ? Tout simplement, semble-t-il, parce que le PS est un parti qui selon la FI (et la majorité de la gauche contestataire) a failli dans sa tâche, et surtout que la position actuelle du PS, via son premier secrétaire Cambadélis, semble plus proche de celle de Macron que de la FI. Quand Benoit Hamon reproche à JLM d’avoir une volonté hégémonique lorsque ce dernier lui demande de quitter le PS, c’est donc selon moi lui faire un mauvais procès : cette exigence de clarté est nécessaire quand on vient du PS du point de vue électoral comme du point de vue politique, c’est bien dommage mais c’est le caractère écartelé du PS actuel qui veut ça. Le résultat des courses est que n’importe qui peut garder sa carte de parti en rentrant dans la FI… sauf le PS, visiblement, à tort ou à raison.
2/ Quand JLM se veut « à la tête de la gauche humaniste et écologiste », il prend acte de son résultat à la présidentielle, et à la manière d’Émile Coué – très habituelle en politique au demeurant – tente d’emporter la conviction par son enthousiasme… mais également, il est vrai, par son aplomb parfois un peu trop imposant. Quoi qu’on pense de la « méthode JLM », on pourra au moins supporter d’entendre deux choses : d’abord qu’elle a relativement bien fonctionné, et que l’espoir d’un monde meilleur a particulièrement bien fonctionné dans l’électorat de la présidentielle au bénéfice de la FI, et ensuite que le fait d’être en tête de cette famille politique à la présidentielle donne d’une certaine manière à la FI la légitimité de vouloir en mener la bataille. Que cette bataille ne se fasse pas sous une seule bannière mais sous plusieurs est une autre histoire, mais au moins peut-on entendre que, surtout avec des programmes aussi proches, ceux qui ont obtenu 20% des suffrages ont un peu plus de légitimité à parler au nom de « la gauche » que d’autres qui ont obtenu 6%. Ce qui ne veut pas non plus dire que la parole des derniers ne soit pas à prendre en compte.
C’est ensuite que se pose le problème de l’hégémonie et de l’unité : on accuse la FI de vouloir « soumettre » toutes les autres instances politiques de gauche à ses ordres. On comprendra bien que l’unité sous une telle forme autoritaire n’est pas envisageable. Mais est-ce vraiment le cas ? La FI ne souhaite pas la disparition du PCF, ni d’EELV, ni d’Ensemble, ni même à vrai dire du PS ou du PG. Simplement, elle dit que si l’on veut avoir l’étiquette « France insoumise » il faut signer une charte programmatique, et qu’elle privilégiera toujours cette solution plutôt que celle d’un accord électoral entre partis, pour des raisons électorales assez claires : mieux vaut capitaliser sur les 20% de suffrages de la présidentielle que se disperser pour les législatives avec des accords entre partis illisibles pour l’électorat. On y reviendra.
Ce qui bloque du côté PCF est justement cette charte, jugée trop contraigante pour les futures députés. Du côté EELV on ne veut même pas y songer, alors que pourtant le programme de la FI est extrêmement proche, sauf au niveau européen, des idées avancées par les écologistes historiques. Personnellement je ne vois pas de problème avec une charte qui demande un engagement pour un député à agir en fonction du programme pour lequel il a été élu (L’Avenir en commun), et qui demande la signature de la charte Anticor. Que les candidats PCF, PS ou EELV jugent les dissemblances entre leurs idées et L’Avenir en commun trop importantes, la FI ne les qualifiera pas de sectaires ou de « diviseurs de la gauche », et acceptera tout à fait que des candidats pronucléaires ou ne voulant pas remettre en cause le cadre de la Ve République se situent en face de la FI aux législatives. Mais d’où qualifiera-t-on, en revanche, la FI de sectaire quand elle dit ne pas vouloir accepter d’autres candidatures que celles qui signeraient la charte (et encore fait-elle même des exceptions à cette règle…) ? Doit-on reprocher à un mouvement politique de tenir à ses idées, et de ne pas vouloir investir des candidats qui une fois élus feraient l’inverse de ce pour quoi ils ont été investis ? Oublierait-on que les députés ne devraient être que les porte-parole d’un mouvement politique qui les dépasse, et pas des individus qui jugent en leur âme et conscience individuelle ? Si on peut ne pas être d’accord avec cette dernière exigence, du moins peut-on ne pas avoir l’indécence de qualifier la FI de « sectaire » quand elle l’émet.
Accords électoraux et fragmentation de la gauche
Si on peut donc admettre que la FI fasse ce qu’elle veut dans ses rangs, on admet en revanche plus difficilement qu’elle refuse « tout accord électoral » avec le PCF ou EELV. Examinons ce refus catégorique sous plusieurs angles.
Tout d’abord, il faut bien distinguer entre accord national et accords locaux. Ce à quoi se refuse la FI, c’est aux accords locaux où tantôt PS et PCF seraient alliés, tantôt seraient adversaires. La FI, à ma connaissance, n’a en revanche jamais été contre d’éventuels accords électoraux avec ses partenaires, notamment avec le PCF. Mais outre le fait qu’il existe le soupçon comme quoi la PCF n’aurait de toute façon jamais voulu d’accord avec la FI mais n’aurait négocié un accord que « pour la forme », que l’on peut laisser de côté « au bénéfice du doute », il faut bien comprendre que la FI est arrivée à la table des négociations en position de force, avec presque 20% des suffrages à la présidentielle. Que ces suffrages ne soient pas à mettre au seul crédit de la FI, c’est sans aucun doute vrai, dans la mesure où d’autres formations comme Ensemble et le PCF ont fait campagne pour elle « de l’extérieur », sans « affiliation » officielle. Mais le fait est qu’on pourra trouver grotesque l’accusation qui consiste à trouver la FI arrogante quant à ses exigences de circonscriptions, quand le PCF, lui, a ouvert les négociations en en demandant 50%. Quoi qu’il en soit, l’absence d’accord est devenue claire entre les deux formations autour du 9 mai, sans qu’il soit possible vu de l’extérieur de dire si c’est l’une ou l’autre qui a rompu les négociations. Au-delà de ça, on remarquera que le PCF réitère aujourd’hui la stratégie passée qui avait provoqué le délitement du Front de gauche, et qui consiste à vouloir des accords locaux plutôt qu’un accord national. Sans doute ces candidatures sont aussi un problème de rapport de force local et pas seulement de logique nationale, et est-il possible d’entendre que tel élu PS est de bonne volonté alors que tel député sortant PS est au contraire un adversaire avec lequel il ne faut pas négocier. Mais la visibilité à l’échelle nationale est du coup réduite, surtout quand on en vient, dans certaines circonscriptions si l’on en croit Charlotte Girard, à installer un candidat PCF en face d’un autre candidat PCF insoumis. Ou inversement. Je ne prétends pas trancher ici le débat local/national : l’élection législative tient des deux… mais la question de l’accord électoral, d’union ou de désistement, devrait à mon avis être débattue au niveau national et pas au niveau local, parce qu’il y a lieu de coordonner les différentes initiatives locales à un autre niveau que local afin d’avoir une logique d’ensemble. Ce que visiblement Caroline de Haas, dans le 18e à Paris, a refusé : seul importerait le fait d’avoir été légitimé en local, la logique nationale de l’ensemble de la campagne des législatives étant visiblement reléguée au second plan.
Plutôt qu’une opposition binaire entre deux formations qui voudraient chacune que l’on se rassemble sous sa bannière propre, ou sous une autre créée pour l’occasion qui rendrait encore plus illisible le millefeuilles des étiquettes politiques, il faut donc à mon sens voir plutôt une opposition entre une formation, la FI, qui souhaitait avant tout une inclusion au sein de la FI, et sinon malgré tout un accord électoral national, et une autre, le PCF, qui souhaitait avant tout un accord national, et à défaut est prêt à des accords locaux, au cas par cas, ce qui explique qu’il soit tantôt contre tantôt avec le PS, tantôt contre tantôt avec la FI, tantôt contre tantôt avec EELV, mais la plupart du temps seul contre tous les autres, comme il en est du reste vrai au final de beaucoup de candidats FI, EELV et PS.
Ensuite, l’absence d’accords avec la FI tient énormément au fait que cette dernière formation rechigne en effet à toute forme d’accord électoral que ce soit, qu’elle assimile à de la tambouille ou du bricolage électoral. C’est à cela qu’a tenu visiblement l’absence d’accord entre la FI et EELV. Mais aussi, très probablement, 1/ au fait qu’EELV n’ait pas soutenu JLM à la présidentielle, ce qui n’en faisait pas un parti de première urgence pour les accords électoraux, 2/au fait qu’EELV avait déjà un accord électoral avec le PS, ce qui a dû refroidir la FI qui ne tient pas à une « alliance tuyau de poêle » qui fasse qu’au bout du bout elle aurait risqué de se retrouver main dans la main avec des macronistes. La position de la FI a donc toujours été de privilégier en premier lieu l’inclusion au sein de la FI plutôt qu’un accord électoral, que celui-ci soit national ou bien local. Doit-on tenir cette stratégie comme le symptôme d’une volonté hégémonique ?
Hégémonie et unité
Hégémonie et unité semblent au final à tous points de vue comme les deux revers d’une même médaille : on considère la première quand on veut attaquer la FI, et la seconde quand on veut la défendre. Car il est tout à fait vrai que vouloir imposer une seule couleur à l’ensemble de la gauche semble relever d’une ambition sinon autoritaire, du moins impérialiste. Mais il est tout aussi vrai que privilégier l’adhésion à la FI aux accords électoraux semble revenir à privilégier l’unité sous une même bannière programmatique plutôt que le chaos fragmentaire de la multiplication des chapelles : de ce point de vue la FI a au moins autant fait qu’elle a défait pour l’unité de la gauche. Entre ordre et chaos absolus, comment s’orienter ? En recherchant l’entre-deux du relatif, bien sûr, qui respecte les différences mais permette la construction d’une stratégie d’ensemble.
Pour finir, cette querelle des accords électoraux, qui vise à vouloir sauver des sièges et à en conquérir le plus possible pour tel ou tel parti politique, à montrer les muscles en présentant des candidats perdants d’avance parce qu’il en faut dans toutes les circonscriptions, me semble très « Ve République ». En revanche, vouloir subordonner les candidatures au soutien du candidat à un programme plutôt qu’à sa couleur politique – comme le fait du reste à sa manière En marche –, voilà qui me semble renouveler les habitudes politiques, et augurer sinon du fait que l’avènement de la VIe soit proche, du moins que les ressorts institutionnels de la Ve sont épuisés. C’est ce que fait la FI, et il n’y a à mon sens pas beaucoup de sens à dire que c’est la FI qui divise la gauche (il serait de ce point de vue plus juste de dire que « la gauche est divisée », la responsabilité de cette division n’émanant pas que de la FI, même si celle-ci y a bien entendu sa part de responsabilité), mais il y en aurait plus à souhaiter que ce que la FI construit aujourd’hui corresponde aux habitudes politiques de demain, alors que le PCF, le PS ou EELV, tout amateurs qu’ils soient pour certains du « renouvellement des pratiques politiques », sont encore prisonniers de l’ancien monde, où la logique des partis et des accords électoraux prime sur celle des idées et de la lutte politique.
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