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La « parabole des talents » chez Mathieu (25, 14-30), ou « parabole des mines » chez Luc (19, 11-27), n’a pas cessé d’étonner : le Christ y semble en effet, contrairement à son habitude, avoir une opinion positive de l’argent et, mieux encore, encourager l’investissement. À son retour de voyage, le maître dit en effet à celui de ses serviteurs qui n’a pas su faire fructifier les pièces qui lui ont été confiées, dans les termes de Mathieu : « Il fallait placer mon argent auprès des changeurs, et je l’aurais retrouvé avec les intérêts ».
Or une simple lecture du texte de la parabole dans ses deux versions, chez Mathieu et chez Luc, révèle toute l’étendue du malentendu : le maître qui admoneste son serviteur de ne pas avoir investi est un tyran méprisable. Mathieu écrit ainsi, dans la bouche du serviteur : « Tu moissonnes là où tu n’as pas semé et fauche le foin où tu n’as rien planté », Luc écrit : « Ses sujets le haïssaient […] ‘Nous ne voulons pas que cet homme règne sur nous !’ », et plus loin, citant le maître : « Amenez ici mes ennemis, qui n’ont pas voulu que je régnasse sur eux, et égorgez-les en ma présence ».
Ce portrait impitoyable du maître n’a pas empêché les commentateurs de prendre au sérieux son injonction d’investissement au serviteur qui le défie, la dérive morale de nos temps faisant que quand le Christ cite ce personnage ignominieux : « Il fallait placer mon argent auprès des changeurs, et je l’aurais retrouvé avec les intérêts », nous y lisions un conseil judicieux, plutôt que la preuve ultime dans la bouche du Christ, qu’il s’agissait d’un scélérat.
Du coup, la morale de la parabole échappe à nos contemporains, qui parlent de « bien utiliser les talents [glissement sémantique !] que Dieu nous a accordés », ignorant sans vergogne celle qui est pourtant lisible mot pour mot dans le constat cynique que fait le Christ et que rapportent les évangélistes, chez Mathieu : « À celui qui a, on donnera encore, et il sera dans l’abondance, mais celui qui n’a rien se verra enlever même ce qu’il a », et chez Luc : « Je vous le dis, on donnera à celui qui a, mais à celui qui n’a pas, on ôtera même ce qu’il a ». Autrement dit, « l’argent appelle l’argent ! » : la concentration inéluctable des richesses !
À l’intention de ceux qui n’auraient pas compris (l’ensemble de nos contemporains, hélas !), Mathieu prenait la peine de préciser quelques versets plus bas : « Alors eux aussi répondront disant : ‘Seigneur, quand est-ce que nous t’avons vu avoir faim, ou avoir soif, ou être étranger, ou nu, ou malade, ou incarcéré, et que nous ne t’avons pas servi ?’ Alors il leur répondra disant : ‘En vérité je vous le dis, toutes les fois que vous ne l’avez pas fait pour les abandonnés, vous ne l’avez pas fait pour moi non plus’ » (25, 45-46).
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