Billet invité. Ouvert aux commentaires.
François Fillon a-t-il chuté dans les sondages parce que les Français vêtus de tee-shirts ou de costumes fabriqués en série et achetés à bas prix désireraient porter des costumes sur mesure ? Parce qu’ils voudraient ne plus regarder l’heure sur leur téléphone portable ou des montres fabriqués en série mais posséder des montres à plus de 10 000 euros l’unité ? Parce qu’ils souhaiteraient habiter dans la Sarthe un château richement meublé et entouré d’un vaste parc ? Parce qu’ils voudraient que des membres de leur famille soient rémunérés pour des activités dont la justice recherche le caractère effectif ? Sans nul doute oui pour quelques contemporains. Certainement pas pour la majorité d’entre eux car peu désirent ce mode de vie.
Avarice et envie
Pour ne pas subir la vindicte publique François Fillon aurait pu s’interroger sur les raisons de cette réponse massivement négative au désir de possession d’oripeaux d’une richesse peut-être mal acquise. Cela lui aurait évité de répondre à un journaliste l’interrogeant sur les costumes reçus d’un bienfaiteur : « Et alors ? » ; puis de se sentir obligé de les restituer.
Dans cette introspection, le candidat aurait utilement dû se remémorer les péchés capitaux. Parmi ceux-ci celui d’envie, car il occupe dans la situation de François Fillon une position paradoxale. L’envie, en tant que péché capital, provoque un mal-être à voir autrui jouir de certains biens. Elle est un regard mauvais porté sur les biens des autres. Une relecture du catéchisme pourrait donc rassurer le catholique Fillon : il serait victime de l’envie des autres.
Voilà donc ses soutiens de la Manif pour tous peut-être rassurés pour la pureté de l’âme de leur héros, sans nul doute aussi parce qu’ils apparaissent obsédés surtout par le péché de luxure dont il semble exempt. Passons outre le péché de gourmandise par le fait de vivre dans le luxe. Le péché d’avarice, par celui de ne pas payer certains biens que l’on consomme. Le péché de colère par l’emportement contre certains journalistes. Et le péché d’orgueil, en maintenant sa candidature.
Le Marché contre la paresse et la gourmandise
Mais un autre facteur joue surtout ici. Le programme de François Fillon a été construit autour de l’efficacité supposée du Marché. Il serait la solution aux problèmes du pays alors qu’une part croissante de la population paraît succomber à d’autres péchés capitaux qui y feraient obstacle. Le candidat se verrait bien investi de la mission de les combattre. Abaisser les coûts salariaux des entreprises, et elles trouveraient facilement des débouchés pour leurs productions. Ce serait simultanément réduire l’appât présumé du gain des employés, autrement dit une forme actuelle de gourmandise. Diminuer les allocations aux chômeurs, autrement dit lutter contre leur paresse supposée, et l’emploi augmenterait. La contrainte ou l’incitation pour y parvenir se trouve dans la soumission de plus en plus forte de l’économie à la seule logique du Marché. Les exemples abondent qui sont supposés en faire un sésame libérateur d’une bonne économie. Remplacer l’enfermement en prison des coupables de certains délits par des amendes, et cette incitation financière remplacerait les vices par la vertu des citoyens. Verser une prime aux enseignants et ils accepteraient aussitôt d’aller enseigner dans les quartiers dits « difficiles », etc. Si l’on résume ce type d’arguments, il présume que la meilleure incitation est une logique du « tout se paie » : négativement en pénalisant monétairement ; positivement en récompensant. Cette domination de l’intérêt privé réduit l’esprit de partage et de don. Tout devrait avoir une contrepartie. Aussi les électeurs peuvent se demander qu’elles ont été celles que ce candidat à la présidence a dû ou devrait offrir en échange des gratuités et des avantages dont lui et ses proches ont bénéficié. L’éloge du Marché pour discipliner et moraliser la population produit alors un inattendu effet boomerang.
* Les billets précédents de Jean-Michel Servet
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