Billet invité.
L’hypothèse du coup médiatique sur le revenu universel est plausible. Mais le sujet du revenu universel n’en est pas moins une innovation fondatrice du débat politique tel qu’il doit être dans une démocratie réelle. Les candidats libéraux de cette élection présidentielle s’expriment clairement sur le postulat du travail comme dépense d’énergie physique ou informative déterminant la rentabilité du capital des riches. Il n’y a de valeur ajoutée que dans l’augmentation nette de la mesure du capital repéré comme tel et non dans l’existence effectivement bonne de tous les citoyens.
François Fillon et Emmanuel Macron nous assènent sans détour que si des citoyens oublient, ou ne peuvent pas, ou ne veulent pas ou ne savent pas voter, ce n’est pas une question qui puisse les concerner en tant que présidents potentiels de la République Française. L’État de droit et de justice n’est pas en soi pour eux un thème politique. La démocratie est un fait donné hors du problème de l’existence de tous et du travail qui serait utile à ce que tous les citoyens puissent vivre concrètement en service les uns des autres.
Comme illustré une nouvelle fois sur France Culture ce matin et dans le débat à 11 de mardi soir, par sa proposition de revenu universel, Benoît Hamon ramène le débat politique à ce qu’il doit être si la démocratie n’est pas simplement formelle mais réelle. La valeur ajoutée est-elle juste la mesure de la rentabilité nette des entreprises et des produits vendus ou la mesure de la satisfaction de tous les besoins d’existence de tous les citoyens y compris de ceux qui ne possèdent pas grand chose ?
Proposer le revenu universel, c’est mettre en discussion le fondement politique du prix des activités économiques. Les revenus des activités économiques sont-ils attribuables uniquement à ceux qui ont un emploi monétisé et un capital ou à tous ceux qui par leur existence de citoyen adressent une demande de valeur économique à la société toute entière ? Le travail rémunérable est-il celui qui produit et qui vend ou celui qui rend des biens et des services réels à tous les citoyens solidaires par la société et les socialités ?
Un emploi méritant salaire est-il une production marchande donnant lieu à un flux monétaire entre banques privées ou bien l’attention active que tout citoyen porte à l’existence bonne de ses concitoyens ? Un salaire est-il juste un pouvoir d’achat négocié entre des intérêts particuliers d’offre et de demande de biens marchandisés ou la mesure de ce que chaque citoyen échange par son existence singulière avec la société politique ? Un revenu se matérialise-t-il exclusivement par une écriture comptable dans une banque privée ou aussi et nécessairement par une satisfaction en nature d’un besoin reconnu légitime par la loi commune ?
Paradoxalement, Benoît Hamon l’Européen se fait contrer par ses adversaires libéraux sur l’incompatibilité du revenu universel avec les règles du vivre ensemble définies dans les traités de la zone euro. Malheureusement, l’emprise de l’économisme libéral apolitique est actuellement si puissante dans la démocrature médiatique que le citoyen de base ne peut avoir aucune explication sur la nature technocratique libérale de la construction européenne actuelle. Il est impossible de montrer que la BCE détachée de toute structure étatique et de toute souveraineté politique ne peut émettre l’euro qu’adossé à des titres de dette et de capital émis par des intérêts privés dissociés de tout intérêt général public.
Il est donc impossible de discuter de la connexion logique rationnelle que Benoît Hamon fait de son revenu universel avec le parlement de l’euro. Il est une évidence que le revenu universel ne peut pas être financé par le marché mais par les impôts et les prélèvements sociaux. Le revenu universel est par nature une question de fiscalité et un problème de recouvrement de l’impôt et des prélèvements sociaux dans l’ensemble des transactions de valeur ajoutée contre monnaie. Si les contreparties de l’euro ne sont que des titres financiers de l’économie marchande, le revenu universel est définitivement un élément de langage pour capter des électeurs économiquement condamnés au désoeuvrement.
Notons que la proposition de parlement de l’euro est soigneusement ignorée par les candidats libéraux et par les candidats qui ne voient aucun monde au-delà des frontières nationales virtualisées. Ne pas considérer la responsabilité des institutions politiques dans l’émission et la circulation de la monnaie, est une simplification très avantageuse de la communication politique qui n’a rien à dire aux citoyens exclus de l’économie marchande ni aux non-citoyens qui sont du mauvais coté de la frontière nationale.
La malhonnêteté intellectuelle à propos du revenu universel et de l’euro est la plus grave du coté des libéraux : elle détruit le droit et la démocratie dans ses fondements, c’est à dire dans la possibilité réelle d’une justice universelle pour les citoyens. Pour que tout citoyen ait un droit effectif à l’existence dans une société organisée dans cette fin, il faut nécessairement que les besoins humains soient identifiés par la loi et le pouvoir politique avant que des réponses ne soient produites et vendues par le marché. Il faut nécessairement que l’existence de tous les citoyens et donc de leurs représentants politiques soit financée avant toute production économique.
La première raison d’existence de la monnaie comme moyen de compter les échanges est la solidarité d’existence des citoyens dans l’État de droit de la démocratie. La première conséquence de l’émission de l’euro par une administration bancaire et juridique an-étatique est l’exclusion de la démocratie comme cause réelle vraie de la valeur ajoutée entre les citoyens prétendus tels. En refusant de discuter de la démocratisation de l’euro par l’étatisation des institutions européennes, les candidats libéraux s’assurent de leur élection par le capital et les propriétaires du capital dont l’existence est exclusive par un euro exclusivement marchand.
Discuter du parlement de l’euro, c’est admettre que le pouvoir d’émission monétaire et de mesure de la valeur ajoutée appartient à toute la société politique et pas seulement aux capitalistes exclusivement intéressés aux dividendes financiers du capital. La mission fondatrice du parlement de l’euro serait d’établir une loi commune à l’Eurozone pour nommer la réalité humaine positive sous-jacente à toute représentation monétaire et pour fixer les limites distinctives entre valeur et non-valeur ou fausse valeur. Établir des bases fiscales communes et centralisées à l’impôt sur le bénéfice des sociétés commerciales, c’est dire ce qu’est réellement un bénéfice dans une démocratie européenne.
Non seulement un parlement de l’euro réintroduit l’existence d’États nationaux solvables dans une société européenne étatisée d’États particuliers, mais l’émergence d’une loi européenne au sens juridique du terme remet tous les citoyens de la société européenne au centre de l’économie de marché des Européens. Un budget européen et une fiscalité européenne deviennent la condition de possibilité d’un revenu universel financé par une solidarité démocratique européenne. Évidemment, le revenu universel est alors monétisable par une augmentation du capital humain public européen dont la contrevaleur privée est matérialisée par la taxation des flux financiers entre les États et les souverainetés publiques et privées européens.
Si l’euro n’est pas reconstruit sur la souveraineté monétaire et fiscale des peuples d’Europe, il est encore impossible de penser et de planifier la transition écologique. La demande écologique est impossible à formuler et mesurer en financement de l’offre écologique publique ou privée si les États sont débiteurs d’intérêts exclusivement privés. L’air, l’eau et la nature n’appartiennent à personne en particulier. Si la société politique nationale et internationale n’a pas le droit de matérialiser en monnaie la dette écologique qu’elle a sur le travail de tous les citoyens des États, alors personne ne saura jamais ce que coûte ni ce qu’il faut produire pour acheter un développement durable à tous les citoyens.
Le revenu universel pose la question de la nécessité effective du travail, de sa nature et de sa représentation en monnaie pour que la demande des biens particuliers réponde à l’offre commune de biens réels. Nul doute qu’une adoption française du revenu universel soit un investissement constitutionnel de la démocratie française en Europe. Le parlement de l’euro qui délibérerait des lois communes de la démocratie en euro et de la fiscalité, et de la compensation bancaire et financière qu’elle induit dans la zone euro, est assurément une réforme constitutionnelle radicale.
Le Président Mélenchon serait le moteur idoine de l’inscription de la Cinquième République française dans une démocratie européenne des peuples. Un tout petit coup d’oeil sur l’histoire constitutionnelle de la France depuis la Révolution suffit à constater que la représentation parlementaire du peuple s’affranchit mécaniquement de ses obligations et devoirs législatifs si elle n’est pas surveillée par un puissant monarque qui incarne le pouvoir du peuple. De même L’État démocratique du peuple français ou de n’importe quel peuple européen se met à la merci de l’oligarchie européenne transnationale s’il n’est pas représenté dans la politique transnationale par une personne physique identifiable comme chef de la puissance publique de la démocratie nationale.
Sur le plan anthropologique, il n’est pas insensé de postuler que ni la démocratie représentative, ni la démocratie participative, ni la démocratie directe ne sont à soi seules nécessaires et suffisantes à l’existence libre de tous. La démocratie a autant besoin de la pluralité des opinions et des essences que de l’incarnation singulière et communisée de chaque individu. Président, parlement et assemblées générales des citoyens sont nécessaires les uns par les autres. D’où l’on déduit que le crédit et la monnaie qui rationalisent l’interaction entre les trois niveaux de responsabilité politique doivent s’intégrer totalement dans le pouvoir judiciaire de la démocratie.
La reconstitution de la démocratie française au sein d’une société européenne des peuples est impossible sans la représentation de l’unité nationale par un président fort et sans la délibération de l’unité nationale par une représentation parlementaire française ET une représentation parlementaire spécifique de la collaboration solidaire inter-étatique en euro. La double représentation parlementaire du peuple français face à lui-même et face aux autres peuples de l’euro n’aura aucun effet démocratique sans l’émergence d’une force politique socialiste pan-européenne libérée du paradigme libéral nihiliste dépressif.
Le rôle de Benoît Hamon avec la double proposition du revenu universel et du parlement de l’euro est naturellement de faire émerger un puissant parti politique européen de la démocratie sociale. Sans large majorité à l’Assemblée nationale, le Président Mélenchon sera dictateur ou ministre de la parole et des chrysanthèmes. Sans un premier ministre responsable de la politique gouvernementale par la confiance d’une vraie majorité parlementaire socialiste, les députés corrompront le Président ou le Président corrompra les députés. Les uns et les autres utiliseront la supra-nationalité et le secret bancaire en euro pour arranger leurs affaires privativement dans le dos de leurs électeurs.
En revanche, si le parlement de l’euro peut contrôler la négociation fiscale inter-gouvernementale et la représentation des États nationaux par le conseil des chefs d’État de l’euro, alors la démocratie européenne pourra se doter d’un cadastre central des actifs financiers de la valeur ajoutée. La fiscalisation du capital et des revenus en euro deviendra une assurance universelle européenne des droits, de la propriété, de la responsabilité et de l’existence de chaque citoyen européen, riche ou pauvre, dans une nature et une démocratie effectivement régénérées, financées et protégées.
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