Haight-Ashbury
Publié par Paul Jorion 4/10/2009 dans Arts, Questions essentielles, tags: Hippies, San Francisco
San Francisco est une ville que j’ai beaucoup aimée. Ça me plairait assez de retourner un jour vivre là-bas. Pendant près d’une année j’y ai vécu seul. La nuit après le travail, j’écrivais une sorte de journal, je parlais des gens et de la ville que j’aimais. J’avais mes quartiers favoris, comme Haight-Ashbury – où le mouvement hippy est né -, mes endroits préférés comme City Lights sur Columbus, ou le rivage de la baie à Crissy Field. Deux extraits.
Ce matin je suis allé acheter des disques à Haight et Ashbury. Je tente petit à petit de reconstituer en format compact mon ancienne collection de trente-trois tours. Et j’ai retrouvé aujourd’hui « The 5000 Spirits or the Layers of the Onion » et « The Hangman’s Beautiful Daughter » de l’Incredible String Band, parus en 1967 et 1968. Et aussi de Bert Jansch, « Birthday Blues » de 1969. Si cela ne vous dit rien, alors vous ignorez également ce qui s’est passé à la même époque à Haight-Ashbury, et ceci non plus ne vous dira rien, les paroles de Scott McKenzie : « Si tu viens à San Francisco, N’oublie pas de porter quelques fleurs dans les cheveux ». Daisy disait avec une certaine fierté aux gens que nous rencontrions pour la première fois : « Quand je l’ai connu, il était Hippie ! » Le monde a décidé que le talent qu’il me reconnaîtrait ensuite serait celui de banquier. Mais quand vient la nuit, et que tous les chats sont gris…
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Il est minuit, ou pas loin. Il pleut et je vois un gars qui marche, j’arrête la voiture à sa hauteur et je lui demande s’il sait comment je peux rejoindre le centre. Il me dit que je suis en fait juste en surplomb de Haight-Ashbury. Il est allé à la plage par le parc du Golden Gate et retourne à pied au campus de l’Université de San Francisco ; il dit avec un peu d’hésitation : « Si vous voulez, je peux vous montrer… comme il pleut… ». Je dis « Oui, montez ! ». Au moment où on arrive au carrefour de Haight et de Masonic et qu’il s’apprête à descendre de la voiture, il se tourne vers moi, il a vingt ans et une grande mèche de cheveux bruns, et il me dit, « Vous m’avez épaté : il est minuit et vous me faites monter, comme ça, dans votre voiture, quelqu’un que vous n’avez jamais vu ! » Sa remarque m’interloque : il me semble qu’il a fait exactement pareil et c’est ce que je lui réponds : « Et vous, vous montez comme ça dans la voiture d’un étranger, à minuit ? » Il fait la moue pour me faire comprendre qu’à son avis la situation n’est pas symétrique : que les risques pour moi et pour lui ne sont pas équitablement répartis. Je dis « Vous savez, on meurt toujours de quelque chose… ».
Bien vu…^!^… pour le meilleur (parfois) et pour le pire (… bien trop souvent ! )