Billet invité. Ouvert aux commentaires.
J’ai travaillé plusieurs années en tant qu’intérimaire (eh oui, on contourne régulièrement les lois sur l’intérim) au service approvisionnements d’une usine de moteurs.
Comme dans beaucoup d’entreprises, les différents directeurs ont des objectifs à atteindre, avec primes à la clé, et en ce qui concerne l’usine en question, les objectifs principaux étaient qu’elle ne soit jamais arrêtée pour cause de rupture de stock, et que le stock de pièces soit de plus en plus faible. L’objectif ultime serait d’avoir un stock de pièces pour 4 heures de production, mais nous en étions encore loin.
Or, chaque fois qu’un imprévu arrivait (retard ou erreur du fournisseur, accident de la route, erreur de stock…), on mettait tout en œuvre afin que notre usine continue de fonctionner quel qu’en soit le coût. Il faut savoir aussi que les fournisseurs se trouvent un peu partout dans le monde, donc il n’était pas question (ou rarement) de prendre sa voiture pour aller chercher ce qui manquait. Comme il s’agissait d’organes complexes, il y avait chaque jour des interventions urgentes à faire, ce qui faisait exploser le coût du transport, mais on respectait le niveau du stock, et l’usine continuait (la plupart du temps) à tourner.
Le plus ahurissant se passait entre Noël et le Nouvel-An : l’usine fermait entièrement donc nous ne pouvions pas recevoir de livraisons, car sans consommation pour la production, cela aurait fait monter la valeur du stock et compromettre un des objectifs principaux de notre directeur.
Pourtant il nous fallait des pièces pour redémarrer l’usine au retour de congés. L’astuce consistait à louer des locaux à proximité, en demandant à tous nos fournisseurs d’y déposer leurs marchandises. Du coup, notre stock ne tenait pas compte de ces marchandises-là, et notre directeur avait droit à sa prime. Ces pièces étaient rentrées dans notre stock progressivement en début d’année.
Bref, nous dépensions de grosses sommes d’argent uniquement pour que notre stock « officiel » paraisse bon aux yeux de ceux qui se trouvent plus haut dans l’échelle de la direction.
Le plus étrange, c’est que ça se faisait ouvertement, sans l’ombre d’une doute que c’était la bonne procédure. Tant pis pour le surcoût.
P.S. Pour illustrer cette volonté de baisser les stocks à tout prix, on nous parlait d’usines où le stock était entreposé près de la production, que ce stock appartenait au fournisseur et qu’il était sous sa responsabilité tant qu’il n’était pas consommé. J’avoue que je ne comprenais pas cette explication, car cela engendre des coûts supplémentaires pour le fournisseur, qui est bien obligé de les répercuter sur les prix, donc ce qu’on gagne d’un coté, on le paie forcément de l’autre. Ou alors, c’est un argument qui, comme l’arbre de la forêt, en cache un autre. En effet, je soupçonne que la véritable raison, est qu’on peut avoir des exigences bien plus radicales envers un sous-traitant, même s’il travaille au beau milieu de l’usine, que vis-à-vis de ses propres salariés.
Laisser un commentaire