Dominique Temple et Mireille Chabal, La réciprocité et la naissance des valeurs humaines (II) La réciprocité négative

Billet invité. Deuxième partie d’un résumé par Madeleine Théodore du livre de Dominique Temple et Mireille Chabal, La réciprocité et la naissance des valeurs humaines, Paris : L’Harmattan, 1995.

La jeune et vieille âme de meurtre recherchées par les Jivaro

La jeune et vieille âme de meurtre représentent les deux consciences antagonistes de la vie-par-meurtre et de la mort-par-meurtre. Chacune est conjointe à un acte réel qui est son contraire : pour la conscience de vie, la souffrance de la mort, et pour la conscience de mort, l’acte du meurtre. De la contradiction des deux mouvements inverses, l’un de l’âme qui disparaît, l’autre de celle qui apparaît, naît un sentiment de soi, le sentiment de son être. Il est le kakarma, l’être jivaro, l’être-de-réciprocité-de-vengeance. L’être est prêt à tout sacrifier pour être. Le cycle de la réciprocité négative s’analyse en 3 obligations : mourir, se venger et re-mourir. Il y a obligation de recevoir dans le cycle du don, et obligation de tuer dans le cycle de la vengeance, et le meurtrier perd son âme comme le donataire perd la face. Le meurtrier exige la vengeance d’autrui, comme le donataire exige que le donateur reçoive à son tour. Mana et kakarma sont la puissance d’être, au cœur de toute conscience de conscience. Autant de fois le cycle de la réciprocité positive ou négative est reproduit, autant de fois la valeur est redoublée. Dans les deux cas, c’est la reproduction du cycle qui augmente l’être social, et non l’importance de la redistribution ou de la mort. Dans les deux cas, la valeur se représente dans des objets, et conduit à une monnaie de renommée.

Les deux systèmes de réciprocité aux imaginaires différents permettent tous deux à l’homme d’accéder au sens et à la liberté de l’être. Ce n’est toutefois pas la même personne qui est à l’initiative du cycle et qui reçoit l’âme de la vengeance de la réciprocité négative, puisque c’est le meurtrier qui est actif, et sa victime qui reçoit l’âme du meurtre, alors que dans le cycle des dons c’est le donateur qui est actif et qui est même temps prestigieux. La réciprocité négative a donc ce privilège : permettre la distinction entre le Tiers du réciproque et sa représentation dans l’imaginaire. Pour les Jivaro, le Tiers est l’authentique Sujet, le Sujet de la parole : la parole reconstruit les demeures de l’être non plus sur la terre mais au ciel. Les Jivaro ne craignent ni la mort ni la souffrance parce qu’ils les acceptent comme des affranchissements de la nature qui les amènent à être plus humains.

Les principes en vigueur chez les Jivaro se retrouvent dans d’autres sociétés, les rites célèbrent avec insistance le triomphe de la réciprocité positive sur la réciprocité négative mais les deux formes de réciprocité peuvent coexister, chacune dans un domaine propre.

La guerre peut naître paradoxalement du don. Lorsque le donateur est trop généreux et soumet sans appel son partenaire, il ne lui laisse d’autre solution que de s’en remettre à la réciprocité négative pour ne pas perdre tout accès à l’honneur.

(à suivre…)

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  1. Mes yeux étaient las, bien plus que là, juste après l’apostrophe : la catastrophe.

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