Billet invité. Ouvert aux commentaires.
En réponse au billet de Pierre-Yves Dambrine, je m’interroge sur la pertinence ou non de la « voie ouverte » par Benoit Hamon à l’issue de la primaire du PS. Autant on peut être d’accord avec la première partie de son billet, qui décrit par le menu à quel point la désignation de Benoit Hamon comme candidat du PS est une bonne nouvelle, dans la mesure où elle ouvre une brèche dans l’ordo-libéralisme solférinien, notamment avec sa proposition certes imparfaite de revenu universel, autant je me pose la question de la justesse de la réflexion politique qui anime la seconde partie de son billet. Cette réflexion consiste à dire, si j’ai bien compris et si je résume : « On ne peut pas gagner avec Mélenchon, donc la voie ouverte avec Hamon doit être empruntée. »
Le raisonnement s’appuie notamment sur des contre-vérités, ou du moins sur ce que je considère comme des erreurs d’analyse. Notamment ici :
« Dans sa dernière vidéo, Mélenchon en sommant Hamon de rompre les amarres avec ses camarades du PS qui ont voté la loi sur le travail, pratique une politique de la terre brûlée. Ce type de démarche ne mène à rien car ce faisant Mélenchon ramène l’enjeu de l’élection sur le terrain circonscrit d’une logique d’appareil dont il prétendait pourtant nous sortir avec sa Constituante. Un comble. »
D’abord, Mélenchon ne « somme » pas Hamon de faire quoi que ce soit, mais lui demande de choisir son camp s’il veut qu’une collaboration soit possible avec la France insoumise (FI). La nuance est importante, vu qu’on passe entre les deux de l’image de quelqu’un (JLM) qui veut couler avec le navire de la gauche et s’enfoncer électoralement pour rester fidèle à ses principes, à celle de quelqu’un qui ne demande qu’à collaborer, mais qui pose des conditions préalables. Ceci est-il ramenable à une « logique d’appareil » ? Un comble serait de penser ça, justement ! C’est pour sortir de cette logique d’appareil et des petits arrangements entre partis que Mélenchon dit à Hamon qu’il faut choisir son camp au niveau des idées, ce qui suppose concrètement de secouer Solférino et de « dégager », ou du moins de refuser l’investiture aux législatives, à ceux qui sont responsables du désastreux quinquennat Hollande (Valls, Sapin, El Khomri, Cazeneuve, etc.). Il ne s’agit là pas non plus de « demander des têtes », mais simplement d’affirmer un projet de rupture forte avec ce qui s’est depuis des décennies pratiqué au PS. À savoir le jeu des chaises électorales et la tricherie aux élections d’une part, la soumission au « pragmatisme » socio-libéral d’autre part. Ce que Hamon n’a fait qu’en partie lors de son discours d’investiture.
Partant de là, comment Hamon peut-il réussir à « rassembler la gauche » ? Regardons ce dont il dispose :
– il part très tard en campagne par rapport à la plupart des autres candidats ;
– il est jeune et dynamique, ce qui lui donne un capital de sympathie ;
– il n’a a priori pas de casseroles aux fesses, contrairement à Fillon, et peut difficilement être considéré comme un candidat de l’establishment, comme Macron ;
– il a un capital politique assez compliqué, dans la mesure où il a fait partie d’un gouvernement très critiqué… mais aussi du groupe des frondeurs, ce qui n’aide pas à le poser comme un véritable opposant « droit dans ses bottes » comme Mélenchon, mais permet de le poser à l’inverse en « pragmatique » ouvert à la conciliation ;
– son programme existe (contrairement à celui de Macron), mais il est inconsistant par rapport à celui de la FI, ou même celui du candidat EELV Yannick Jadot : une collection de « petits objets » sympathiques mais inoffensifs et sans lien entre eux, comme le désignent Lordon et Mermet ;
– certes les sondages le mettent désormais en tête devant Mélenchon, mais 1/ il faut se méfier des sondages qui ne sont qu’un reflet très déformé de la réalité, et pas la réalité, 2/ les sondages sont valables à un instant t, et peuvent bouger d’ici mars ;
– même si on veut se fier aux sondages, en l’état actuel des choses, Hamon ne peut pas gagner seul, et notamment pas sans un report massif des électeurs soit de Macron, soit de Mélenchon (et comme il s’est clairement tourné vers Mélenchon et Jadot plutôt que vers Macron à la suite de son élection comme lors de son discours d’investiture, mettons plutôt que la dynamique aille vers Mélenchon plutôt que dans l’autre sens) ;
– Hamon dispose de l’appareil du PS pour soutenir sa candidature, ce qui n’est pas rien, mais n’est pas grand chose non plus. Si on compare le nombre d’adhérents PS avec les soutiens à la candidature de JLM, ça fait en gros 45 000 < 230 000, soit pas grand chose. Je compare ici ce qui est comparable, c’est-à-dire une base militante, et pas une base électorale : Hamon a bien sûr rassemblé beaucoup plus de monde sur sa candidature en termes de vote… mais pas tant que ça vu que la participation à la primaire au second tour n’a pas non plus décollé, et qu’il faut aussi penser au fait qu’une bonne partie de sa victoire soit due à la volonté de dégager Valls, et donc qu’une partie des gens qui ont voté pour lui à la primaire ne voteront peut-être pas pour lui à la présidentielle.
Une fois posée toute cette série de constats, quelle marge de manœuvre est-elle possible pour une éventuelle alliance entre Hamon et Mélenchon ? Car c’est de ça qu’il s’agit, en tout cas si l’on croit aux sondages au jour d’aujourd’hui : Hamon ne pourrait pas vaincre sans Mélenchon, et Mélenchon ne pourrait pas vaincre sans Hamon. Les deux seraient donc dans une impasse électorale. Mais il y a plus : le programme de Hamon étant peu abouti, celui-ci s’est peu exprimé sur la manière dont il allait pouvoir l’appliquer. Il est notamment resté très évasif sur la manière dont il comptait passer à la VIe République, alors que Mélenchon s’est très clairement exprimé là-dessus. La Constituante n’est certes qu’un moyen et pas une fin, mais à un moment, si l’on veut pouvoir avancer, il ne faut pas poser des objectifs infaisables, et penser aux moyens d’y parvenir. Que dire sinon de la volonté de Benoît Hamon de « changer l’Europe », sinon qu’il ne pense encore une fois qu’à un plan A (la changer) sans plan B (la quitter), ce qui risque fortement, comme pour Tsipras en 2015, d’aboutir à une impasse politique, et donc à un reniement des promesses de campagne ? Comment, surtout, Hamon va-t-il faire pour revenir sur la loi El Khomri si son parti investit Mme El Khomri pour les législatives ? Comment faire pour changer le PS, alors que celui-ci a ses « habitudes de gouvernance » bien chevillées au corps ? L’option risquée d’une candidature hors parti qu’a tentée Mélenchon a au moins le mérite de la clarté, et du dégagement complet de ces obstacles de « politique politicienne », que Hamon a maintenant à affronter s’il veut tenir sa ligne. Ce à quoi d’autres que Mélenchon l’encouragent d’ailleurs à le faire. Tenir sa ligne, ouvrir sa voie, certes… mais si cela doit aboutir à l’impasse politique pour des raisons aussi bien programmatiques que de « logique d’appareil », à quoi servirait une victoire électorale ? Quitte à être impuissant, autant être dans l’opposition, parce qu’être au pouvoir avec les mains liées, rien de plus frustrant, et de plus déshonorant aussi.
Très concrètement, comment, donc, penser une éventuelle alliance entre Hamon et Mélenchon pour sortir de l’impasse électorale, et en réunissant les conditions pour sortir également de l’impasse politique dans laquelle Hamon semble s’acheminer tranquillement ? Mélenchon rejoignant Hamon et s’inféodant au PS, alors qu’il a lutté contre lui toutes ces années, c’est impossible. Qu’est-ce que demande alors Mélenchon pour que « tout soit possible » ? Que le ménage soit fait, c’est-à-dire que Hamon tranche dans le vif pour un programme exigeant, qui fasse fuir les brebis de l’aile droite du PS ailleurs (c’est-à-dire probablement chez Macron). Il ne s’agit pas de mettre des têtes sur des piquets, ni de viser qui que ce soit en particulier, mais de créer les conditions favorables au départ de quelques-uns, et donc d’ancrer clairement son discours à gauche, et de cesser de vouloir faire le grand écart, qui est une démonstration de souplesse gymnastique mais ne permet pas d’avancer loin.
Il me semble, et là c’est moi qui m’avance, qu’une seconde condition pour parvenir à sortir le programme de Hamon de l’impasse politique, serait qu’il cesse de picorer dans le programme de la FI en y ajoutant deux ou trois choses de son cru (le revenu universel, etc.), et qu’il l’embrasse en intégralité. Les deux se ressemblent déjà beaucoup, ça ne devrait pas être très dur d’adapter le reste… Et donc il faudrait que Hamon réussisse à inféoder sa candidature, et donc le PS, à la FI… pour quel résultat ? pour que, je crois qu’il aurait la générosité et l’honnêteté de le faire, Mélenchon retire sa candidature à son profit. Il n’a en tout cas jamais manqué de répéter, y compris à son double discours de Lyon et de Paris du 5 février, que l’important ce n’était aps lui, mais les idées pour lesquelles il combattait. Et quand les gens crient « Mélenchon président », il les reprend, et leur dit que la seule chose à crier, c’est « Résistance ». Se désister en faveur de quelqu’un qui embrasserait son programme et qui serait jugé mieux apte à le porter ne devrait donc pas poser de problème pour Mélenchon, c’est du moins ma thèse. Et dans ce cas d’un ralliement de Hamon non à Mélenchon, mais à la FI (hautement improbable, je le sais, mais on peut rêver… et surtout il n’y a pas d’autre option d’accord possible dans l’état actuel des choses), le reste de la gauche suivrait, notamment EELV ou le PCF, qui ne s’est pour l’instant impliqué que très mollement dans la campagne de JLM.
Serait-ce encore une « carabistouille », un accord d’appareils ? Non, parce que la France insoumise n’est pas un parti, mais un mouvement dont la plupart des adhérents ne sont pas encartés ailleurs, et un mouvement par ailleurs très contraignant : ce n’est pas un cartel de partis comme le Front de gauche à l’intérieur duquel deux partis pouvaient se présenter face à face à des élections législatives ou municipales, mais un mouvement trans-partis largement ouvert à la société civile où les accords électoraux sont interdits, et où la signature d’une charte donne des boutons aux élus habitués à une totale indépendance et aux « petits arrangements » – c’est notamment ce qui a fait tiquer les élus PCF à qui on a demandé en novembre dernier s’ils voulaient soutenir la FI.
Les insoumis verraient-ils d’un bon œil la défection de Mélenchon vis-à-vis de Hamon ? Non, si cela se faisait sans garantie aucune de respect de la parole politique. Oui, si Hamon s’engageait, en signant la charte et en acceptant du coup l’autorité collective de la FI, à appliquer le programme pour lequel il serait élu. Parce que le plus important, ce ne sont pas les personnes, ce sont les idées. Et que de ce point de vue, le programme de la FI est bien plus abouti, cohérent et pragmatique (tout y est chiffré, tous les moyens d’action sont pensés et explicités) que celui de l’actuel candidat PS.
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