Écologiser l’homme…(2) écologisation locale, nationale et européenne, à partir de la journée mondiale des zones humides, par Jean François Le Bitoux

Billet invité.

Ci-dessous, un compte rendu distancié d’une réunion écologique citoyenne sur des programmes écologiques en cours, locaux et régionaux. Est-ce écologiser le citoyen ou une écologisation à pas forcé ?

Le 2 février est la date de la « Journée Mondiale des Zones Humides » (JMZH). Depuis quelques années, la commune de Leucate (Aude) sise entre son étang dénommé « de Salses Leucate » et ses vignobles, organise à partir d’exemples locaux, une journée d’interventions pédagogiques à destination de ceux qui partagent une même préoccupation pour l’écologie des lagunes, des étangs et des zones humides périphériques. C’est donc une séance d’écologisation citoyenne qui réunit des amateurs, des touristes, des consommateurs, des associations d’écolos appréciant la beauté et la sérénité des sites, des oiseaux et des végétaux, des professionnels qui en vivent et tous aimeraient que ça continue (chercheurs, pêcheurs, aquaculteurs, mais aussi agriculteurs, éleveurs). Si tout le monde souhaite entretenir son environnement, peu ont des idées sur ce qu’il convient de faire pour y parvenir. Des responsables politiques et administratifs constituent le dernier tiers de l’assemblée ; ils n’ont guère plus d’idées mais ils savent que sans eux rien ne se fait, ni ne se fera ; cette catégorie sociologique ne semble pas avoir les mêmes préoccupations que les amateurs et les professionnels. Alors écologiser l’homme ? Ou mettre en place une écologisation volontariste nécessaire, tel un despotisme doux et éclairé né d’une politique de la communauté européenne ? Avec Edgar Morin, on sait que l’écologie est par nature un domaine compliqué et même complexe qui intègre des connaissances accumulées à travers les âges et dans tous les domaines scientifiques et même au-delà, et qui ne cessent de fluctuer dans le temps, dans l’espace et de modifier le cours de l’histoire.

Il faut rappeler que ces efforts d’écologisation civique naissent avec le programme Natura 2000 par lequel la Communauté Européenne finance une politique à long terme qui affiche dès la fin du XXème siècle, sa préoccupation pour la prise en conscience des biens et services écosystémiques et une perte de biodiversité qui va en s’accélérant, (cf. Évaluation des écosystèmes pour le Millénaire). Régulièrement, le Conseil Européen nous rappelle à l’ordre afin que ces engagements soient respectés. La France met ces programmes en pratique parfois en renâclant (marées vertes, taux de nitrates dans l’eau…). Le vote récent d’une loi Biodiversité s’est fait avec une décennie de retard qui tente d’exprimer en langage juridique l’évolution d’équilibres biologiques complexes de la gestion des écosystèmes. Pas simple ! C’est loin d’être gagné !

L’Europe a toujours insisté sur une nécessaire pleine participation des associations locales pour une pédagogie continue et une vie citoyenne écologisée. Mais en France, les professionnels de la politique ne l’entendent pas ainsi. Politiques et administrations d’un commun accord, ont repris les choses en mains afin de contrôler ces programmes pas à pas, à toutes les strates du millefeuille administratif, quitte à rajouter quelques strates au millefeuille puisque l’administration ne sait pas simplifier : ce serait contre sa nature ! Certes ceux qui vivent au cœur du millefeuille en ignorent l’ambiance asphyxiante qu’ils trouvent même plutôt rassurante, ce qui est probablement vrai à leur niveau. C’est bien là que le bât blesse et cette blessure devenue chronique ne peut qu’évoluer vers des pathologies de plus en plus difficiles à traiter, quasi impossible à prévenir ! Ma culture vétérinaire comporte une dimension structurante inconsciente : le vétérinaire a une mission de « moyens », pas de « résultats ». Là où l’architecte et l’ingénieur utilisent des lois connues et se doivent de les appliquer correctement, médecin et vétérinaire s’engagent à mettre à la disposition de qui leur demande une aide, les moyens disponibles pour améliorer la situation afin de faire évoluer la biologie vers un état de santé meilleur. Le plus souvent des mesures sanitaires peu coûteuses contribuent à enclencher une amélioration. Naïf, j’attendais la même attitude de la part des administrations mais elles ont chacune leur propre vision de la bonne santé de l’État.

Leucate est un de ces villages traditionnels de la côte méditerranéenne qui a longtemps vécu entre la vigne et l’exploitation de la lagune par la pêche et l’ostréiculture), et qui est devenu une vitrine touristique de la modernité au cours de la seconde moitié du XXème siècle. Canet en Roussillon à 25 km plus au sud en Pyrénées Orientales, a une histoire similaire mais son étang plus petit, trop petit sans doute, n’a pas bénéficié d’un même intérêt officiel : il se comble et se meurt doucement. Depuis plus de trente ans, localement une petite équipe d’écolos tente de se rebeller contre ce laissez aller en vain puisque sans nul écho officiel. En France, sans reconnaissance et appui officiel, rien n’est possible.

L’Étang de Canet St Nazaire couvre encore plus de 500 ha. A l’origine c’était vraiment un étang d’eau douce séparé de la Méditerranée par un cordon dunaire sableux qui s’ouvrait sous l’effet de coups de Tramontane, purgeant ainsi l’écosystème des alluvions accumulés. Il y a une quarantaine d’années, un maire professionnel en bâtiments (BTP) a rêvé de faire de Canet un Miami catalan avec ses voies navigables qui traverseraient cet étang et il a donc ouvert une brèche dans cette dune, ce qui a eu pour conséquence de saliniser l’espace et d’en accélérer le comblement par précipitation des apports terrigènes. Ce barrage entre mer et étang était et reste certes illégal mais une fois toléré il reste en place car à l’époque, le maire était maître chez lui et l’État et les préfets se sont inclinés.

Pour tenter de freiner ces ardeurs, les propriétaires, car c’était un étang privé d’eau douce, en ont cédé la propriété au Conservatoire du Littoral, espérant redynamiser la gestion de cet espace. Mais cet organisme sans moyens propres, fait ce que les édiles locaux lui ordonnent et financent. Comme ils se sentent peu concernés, notre étang se comble et se meurt. Le passant peut se réjouir de voir quelques bancs de flamants roses se dandiner mais cela signifie que là où le flamant passe, l’étang se comble et trépasse ! Redonner vie et redessiner un écosystème aquatique n’est techniquement pas difficile mais sans ordre politique, pas d’écologisation possible. Une conseillère municipale m’a confié : « OK, il est sympa notre étang et partie de notre identité communale. Pris un par un, aucun élu ne te dira le contraire, mais en conseil municipal ou ailleurs dans le département ou la région, autour de la table, personne ne défendra ce projet ». Fermez le ban, circulez, y’a plus rien à voir, point barre ! C’est bien la structure politico-administrative qui décide de la vie ou de la mort de l’écosystème, sans alternative. Il ne reste aux écologisants rêveurs que leurs yeux pour pleurer ? Manière de reconnaître comme pour d’autres débats, les choses n’évoluent que sous une pression populaire et des manifestations de rue.

Retour à Leucate, dans la salle de réunion de l’espace Henry de Monfreid, aventurier d’origine locale qui vécut de manière écolo à travers le monde mais pas toujours de manière civique. Cette réunion annuelle est toujours intéressante par les présentations des exposants, leurs photos, les vidéos, quelques résultats de chercheurs car pour eux, participer à une « journée internationale » justifie bien des demandes de crédits. Un nouveau programme mondial relaie les efforts des équipes locales à un niveau international, le Programme Ramsar. C’est une façon officielle et discrète de reconnaître les « services écologiques rendus » par la nature et par des équipes souvent jeunes et investies dans leurs travaux, qui paient de leur personne pour faire avancer leurs passions avec des moyens financiers limités. On doit sans doute être rassuré de savoir que des comités internationaux observent la gestion de ces espaces aquatiques. Bref voilà pour les administrations à différents échelons du millefeuille, une technique pour « s’écologiser » officiellement et internationalement en soutenant quelques activités, sans devoir s’y investir vraiment. Se poser des questions dérangeantes n’est guère porteur pour faire carrière localement.

Puis une table ronde a réuni des acteurs de terrain. Une agricultrice fait paître ses brebis sur différentes pacages hier abandonnés et qui reprennent vie grâce à son dévouement mais sans lui laisser la possibilité de protéger et loger ses « filles », comme elle nomme son troupeau de brebis. Ces « zones humides » sont des espaces tampons qui subissent aussi les outrages d’épisodes méditerranéens torrentiels. La loi littorale y interdit toute construction, pour lutter contre une cabanisation abusive qui autrefois, avait contribué à dégrader les paysages. Cet élevage « transhume » localement entre différentes zones à quelques kilomètres les unes des autres et contribue à les entretenir. Mais la bergère doit se contenter d’une vie spartiate en camping-car ou mobil-home. Un apiculteur témoigne de l’intérêt de ces zones humides pour ses abeilles, pourvu que les sites soient entretenus. Lui aussi promène ses ruches d’un site à un autre en espérant trouver des fleurs sans pesticides. Pas facile de gagner sa vie dans les zones administrées ! J’allais oublier que notre bergère a reçu le prix local du « Concours agricole général des Prairies fleuries ». Ce prix récompense « l’excellence professionnelle, les savoir-faire et la technicité des agriculteurs dont les parcelles présentent le meilleur équilibre agri-écologique dans différentes catégories de prairies de fauche et de pâture ».  Une fleur de plus dans le millefeuille pour mieux nous écologiser ? On ne peut qu’être ravi qu’un chèque contribue à améliorer l’ordinaire de la bergère et de ses filles.

La soirée se termine par la présentation d’une vidéo sur des réalisations régionales. Il en existe d’excellentes sur le web, autant d’éléments pédagogiques essentiellement financés par l’Europe. Ces vidéos de la vie des espaces naturels démontrent aussi les difficultés de leur gestion. Techniquement, il ne fait aucun doute qu’il existe des chefs de projets compétents capables d’améliorer ces écosystèmes. Mais chaque film comporte la signature de dizaines de structures bureaucratiques qui sont autant d’étapes qui absorbent une partie des finances indispensables. Il n’est pas envisageable de couper une herbe ou de déplacer un caillou sans avoir réuni une demi-douzaine de grand messes qui n’ont pas tant pour but de définir des actions, que de vérifier que ce qui sera décidé ici ou là, ne dérangera personne ailleurs ! Il est reconnu que la loi « Biodiversité » permettra enfin, une reprise en main de structures bureaucratiques dispersées que les ministères ne savent plus gérer, ne sachant pas hiérarchiser les priorités entre ces dizaines d’intervenants qui doivent finalement passer par la politique et la préfecture guère mieux informées.

En résumé, une soirée de pédagogie écologique réussie. Mais Edgar Morin et Hubert Védrine seraient-ils rassurés des efforts des administrations pour mettre en application quelques principes élémentaires d’écologisation ? Les acteurs de terrain constatent les spécificités locales changeantes de chaque écosystème mais la réactivité jacobine, en voulant les gérer de manière bureaucratisée, standardisée, en montre les limites. Il ne s’agit là que d’exemples régionaux des difficultés d’appréhender nos espaces quotidiens selon des normes bureaucratiques. Même s’il existe des exemples de ces égarements à travers tout le territoire, nous sauverons notre étang malgré eux. Nous vivons une époque culturelle et politique étonnante et selon B. Hibou, P. Dardot et C. Laval, la pression administrative croissante démultipliée dans chaque strate du millefeuille contribue activement au cauchemar néolibéral mondial et ralentit par son inertie, tout « progrès » écologique en repoussant la prise de conscience citoyenne pourtant nécessaire et réclamée car indispensable par et pour tous.

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5 réponses à “Écologiser l’homme…(2) écologisation locale, nationale et européenne, à partir de la journée mondiale des zones humides, par Jean François Le Bitoux”

  1. Avatar de procrastin
    procrastin

    « Une conseillère municipale m’a confié : « OK, il est sympa notre étang et partie de notre identité communale. Pris un par un, aucun élu ne te dira le contraire, mais en conseil municipal ou ailleurs dans le département ou la région, autour de la table, personne ne défendra ce projet ». Fermez le ban, circulez, y’a plus rien à voir, point barre !  »
    Et plus loin :
    « Manière de reconnaître comme pour d’autres débats, les choses n’évoluent que sous une pression populaire et des manifestations de rue.  »
    Très juste ! Voir Notre Dame des landes .
    2000 ha de zone humide qui seraient bétonnisées s’il n’y avait pas eu cette résistance .

  2. Avatar de arkao
    arkao

    Cela me rappelle tristement des interminables et multiples réunions du syndicat de gestion de rivière à propos de la lutte contre une plante invasive des berges, la renouée du Japon. Commissions de réflexion, d’appel d’offre, de suivi de travaux, tout ça pour quelques dizaines de mètres carrés de bâche noire que l’employé communal aurait pu poser à peu de frais et en un temps limité avec l’aide de l’agriculteur riverain. Gabegie bureaucratique, technocratique et financière avec usure et démotivation des conseillers municipaux qui finissent par jeter l’éponge et pire se jeter dans les bras de la Marine.

    1. Avatar de vigneron
      vigneron

      Elles font moins de bruit que celles sur les réfugiés ou le multiculturalisme mais les controverses sur les espèces dites invasives ne manquent pas.

  3. Avatar de Alain Audet
    Alain Audet

    L’écologie c’est comprendre le fonctionnement de la biosphère qui est certes complexe mais se comprend comme suit, la biodiversité et la bio multiplicité sont les éléments fondamentaux du moteur de la biosphère, tant se porte ces éléments tant se porte la biosphère.
    L’état de santé de ces éléments est le reflet direct des activités humaines et le point de repère exclusif pour ajuster nos façons de faire en fonction d’assurer notre propre existence, parce que ce qui définit essentiellement l’espèce humaine c’est son intégrité physique et celle-ci dépend exclusivement de l’état de la biosphère et dans l’heure il serait peut-être préférable de parler de notre survie en tant qu’espèce.
    Tant et aussi longtemps que nous n’aurons pas un système politique et économique qui saura intégrer et assumer cette réalité dans son fonctionnement l’avenir de l’espèce humaine ainsi que des autres espèces vivantes est dorénavant sérieusement compromise.
    Pour ce qui est des politiciens et des administrateurs publics, si leur éveil correspond à ce que Paul Chefurka le suggère dans, Approaching the limits, c’est n’est pas demain qu’ils seront la référence et qu’ils prendront la situation en main.
    Selon lui l’état de conscience de la population face à ce phénomène se décline en cinq degrés différents, dans le premier degré se retrouve 90% de la population très peu préoccupé par la situation, dans les trois autres degrés suivant l’intensité de compréhension s’accroit en proportion de la diminution des gens qui s’y retrouve. Dans le cinquième degré, c’est une personne sur dix milles qui non seulement comprennent la problématique mais sont aussi en mesure de proposer des solutions, malheureusement il n’y a aucun politicien dans cette catégorie.

    1. Avatar de Jean Francois Le Bitoux
      Jean Francois Le Bitoux

      Merci de ces références. C’est aussi une des caractéristiques de notre époque. Nous sommes submergés par des « informations » que peu cherche à analyser , encore moins à synthétiser pour innover. C’était donc ma conclusion très personnelle et ce blog m’a fait me sentir moins seul… Et je continuerai donc …

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