Retranscription de Le temps qu’il fait le 3 février 2017. Merci à Pascale Duclaud !
Bonjour, nous sommes le vendredi 3 février 2017 et ici en Bretagne, la tempête souffle ! Le « coup de vent » ! Vous verrez ça un peu dans les branches qui s’agitent derrière moi.
Et l’Histoire ! L’Histoire, mes amis ! est à l’image de ces branches derrière moi. L’Histoire s’accélère. Et il y a, en ce moment, un très grand accélérateur de l’Histoire, qui s’appelle M. Donald Trump et qui est, « believe it or not ! », croyez-le ou non, président des Etats-Unis !
Encore que… encore que le New York Times ce matin, note que sur la question de la colonisation de la Palestine par Israël, M. Trump s’oppose à M. Netanyahu dans la soirée d’hier, et que sur la question de la Crimée et de l’Ukraine, il tape un peu du poing [sur la table]. Le New York Times titre « Sur deux piliers de la politique étrangère de monsieur Obama, M. Trump se rapproche ».
Pour tout le reste, pour tout le reste, ça continue à secouer. M. Trump s’en est pris – je crois que c’était hier – à M. Schwarzenegger qui a repris le flambeau de son émission de télé-réalité, et M. Schwarzenegger ne s’est pas laissé démonter devant les plaisanteries de M. Trump : il lui a dit que si M. Trump voulait faire baisser l’anxiété dans le peuple américain, ils pouvaient échanger leurs postes (rires). Mais je crois que quiconque échangerait son poste avec M. Trump (rires), rassurerait le peuple américain en ce moment.
Il y a eu des bagarres assez sérieuses avec des casseurs à Berkeley. À Berkeley !… Je connais Berkeley, ce n’est pas vraiment l’endroit (rires) où l’on s’attend à des casseurs ! On a voulu laisser parler un représentant de ce Breitbart, cet « organe de presse » – si on peut utiliser le mot – de M. Trump – un organe de propagande d’extrême-droite – et les étudiants n’ont pas voulu. En tout cas, dans leur grande majorité. Enfin voilà !
En France aussi ! En France aussi les choses changent assez rapidement : alors, il y a eu une petite bagarre hier dans le petit groupe des Amis du Blog de Paul Jorion : un petit club de gens qui font des papiers sur le blog, sur les sondages. Sur les sondages. Voilà : « La valeur des sondages ». Pourquoi ? Eh bien c’est parce qu’il y a certains candidats…. certains candidats plongent dans les intentions de vote, dans les sondages.
Alors, bon, une première remarque à faire de ma part : ce sont en général les partisans des gens dont les cotes plongent qui remettent en cause la validité des sondages. Tant que ça monte, ils dorment tranquilles ; c’est quand ça baisse qu’ils se font des soucis. Alors, j’ai une opinion sur les sondages parce que ça fait partie – ça a fait partie – de ma formation de sociologue. C’était très bien fait. J’ai eu des cours de mathématiques assez avancés sur la manière dont on fait des sondages. J’ai eu des cours : c’était M. Morsa à l’époque qui donnait des cours sur la technologie, la technique, du sondage. C’est une discipline de type mathématique et c’est une discipline sérieuse.
Il y a moyen de faire de mauvais sondages ; il y a moyen de biaiser les questions ; il y a moyen d’avoir des échantillons biaisés, mais si vous pensez au sondage en tant que tel, c’est à dire au fait de pratiquer une évaluation à partir d’un échantillon – et ça se fait, ça se fait de manière courante bien entendu dans les sciences dures, même si on ne pose pas de question à des gens dans ce cas-là, ça a été analysé – M. Bourdieu a mis en évidence la différence qui existait entre les opinions des gens exprimées et leurs comportements réels. Bien entendu, les gens disent une chose, ils font autre chose, ce n’est pas demain qu’on changera la nature humaine (rires). Sur la question de la fermeté qu’il s’agit d’avoir vis à vis de ses enfants, M. Bourdieu (Pierre Bourdieu, le sociologue, décédé aujourd’hui) avait souligné la différence qui existait dans les comportements laxistes et absolument négligents des parents et la vision « extrêmement claire : éthique ! » – voilà (rires) – qu’ils expriment dans un sondage d’opinion sur la manière dont il faut s’occuper de ses enfants.
Bien entendu – voilà – « de la coupe aux lèvres ». Il y a déjà un proverbe qui le dit : de la coupe aux lèvres, il peut se passer beaucoup de choses !
Ceci dit, la technique du sondage est une technique de qualité. Il y a des…(sûrement comme partout !) il y a sûrement 80% d’agences de sondages qui font leur boulot correctement, et il y a toujours (comme partout) il y a les 20% qui font ça – voilà – qui ne font pas ça comme il le faudrait. Une fois de plus : la nature humaine…
Ceci dit donc, bon, moi à partir de là, puisque je considère que la branche, la discipline, de la sociologie est justifiée, et qu’elle ne le serait pas si on ne faisait pas confiance aux sondages, je fais confiance (une confiance relative) aux sondages et je tire quand même les conséquences de ce qu’on observe.
Alors ayant dit ça (et vous avez compris de quoi je parle), c’est pour… c’est pour ne pas parler ouvertement d’une chose bien particulière. Nous nous retrouvons avec des chiffres très précis sur les intentions de vote à la présidentielle maintenant pour l’ensemble des candidats.
Alors il y a un candidat qui se retrouvait caracolant en tête jusqu’à récemment pour le premier tour, c’était M. Fillon. Bon, dans certains sondages il était neck and neck, je ne sais plus comment on dit en français mais enfin voilà, « dans un mouchoir », il était « dans un mouchoir » avec Mme Le Pen – Mme Le Pen : N° 2, ou N°1 dans certains sondages – et nous avions M. Macron qui venait ensuite, et voilà, nous retrouvons maintenant dans ce peloton de tête, à quelques points de M. Macron avec 20% d’intentions de vote, nous trouvons M. Benoît Hamon avec 17%.
Monsieur Fillon est en perte de vitesse pour les raisons qu’on connaît. C’est bien de parler… d’évoquer un complot mais il y a les faits… Il y a les faits. Il n’y a pas… – la notion de « faits alternatifs » (rires) ou de « post-faits »… est très surfaite – il y a des faits, voilà. Il y a des choses… j’ai écrit un gros bouquin sur la naissance de la notion de vérité et de réalité dans notre civilisation et dans les civilisations en général, donc je ne suis pas un naïf sur ces questions-là : je sais qu’il y a une certaine construction sociale de la vérité, qu’il y a une construction historique de la notion de vérité, qu’il y a une construction historique et sociale de la notion de réalité, mais il y a quand même des choses qui sont « plus fortes qu’un Lord Maire » comme on dit en anglais, il y a la preuve que « La preuve de la poire qui est qu’on peut la manger ». Voilà. Donc il y a des faits. Il y a des choses qui se sont vraiment passées, etc. même si « la représentation par les historiens… etc. etc. », question bien connue !
Le Socrate, le personnage de Socrate qu’on trouve chez Xénophon qui a été son élève, et le personnage de Socrate qu’on trouve chez Platon qui, nous imaginons, a été son élève aussi, ce sont des personnages extrêmement différents donc voilà, précaution supplémentaire : le Socrate de Xénophon et le Socrate de Platon !
Alors, on revient quand même à ces chiffres : moi j’ai dit, il y a pas mal de temps déjà – voilà, parce que je suis toujours dans le mode « boule de cristal » – que c’est probablement M. Macron qui deviendra président de la république. Mais ! Mais ! Mais ! Il y a des choses qui sont en train de se passer, et en particulier cette montée en puissance de M. Benoît Hamon parce que – bon, appelons les choses par leur nom – parce qu’il a impressionné les gens dans les débats qu’il a eus dans la primaire du Parti socialiste d’abord, quand il y avait beaucoup de candidats, et ensuite quand il s’est retrouvé seul en face de M. Valls.
Voilà – alors donc il est dans les intentions de vote de l’ordre de 17%, 18%, d’après ce que je vois. Bon, il est venu de loin. Il a pris une partie de ces 18%, il l’a prise à des candidats qui étaient mieux placés avant la primaire, avant le résultat du second tour de la primaire du Parti socialiste. Et c’est de la part des partisans de cette personne qui a perdu beaucoup de plumes évidemment que viennent, parmi les Amis du Blog de Paul Jorion (les ABPJ), que parmi eux il y a des choses qui sont dites sur les sondages.
Alors, dernière remarque sur les sondages : on vous dit beaucoup qu’ils se sont trompés dans certains cas – et là ça fait partie de la discussion que nous avons eue hier – Non ! les sondages ne se sont pas trompés dans le cas de l’élection de M. Trump aux États-Unis. Non ! ils ne se sont pas trompés non plus dans un cas historique qui est celui du referendum en Grèce quand on regarde les chiffres. Oui ! bien entendu, il y a des marges dans ce que les différents sondages, les instituts de sondage, produisent, surtout quand un vote est absolument serré, ça va de soi ! Un institut de sondage ne peut pas empêcher qu’un vote soit serré ! Mais dans l’ensemble, dans ces deux événements dont on nous dit que « les instituts de sondages se sont trompés » : ce n’est pas le cas ; regardez les chiffres !
Alors je continue : qu’est-ce qui va se passer ? Qu’est-ce qui va se passer ?
Jadot – voilà – a des mots très aimables pour M. Benoît Hamon. Il encourage les écologistes à voter pour M. Hamon. Mais nous savons – les écologistes, vous le savez, vous et moi – il y a des écologistes de droite et il y a des écologistes de gauche.
Les écologistes de droite, à mon avis, ils vont trouver dans M. Macron quelqu’un qui leur plaît. Donc ce ne sera pas non plus 100% des gens qui se disent écolos qui voteront pour M. Hamon : il y a une partie qui votera pour M. Macron. Alors : on a déjà vu que parmi les – M. Hamon a déjà pris dans les sondages pas mal de voix à d’autres gens qui se présentaient à gauche et dans l’extrême-gauche – ça peut continuer ! Ça peut continuer, il peut en prendre davantage. Je vais encore me faire taper sur les doigts mais il peut en prendre davantage si on a le sentiment, à gauche, qu’il a une dynamique autour de lui.
Et alors : bon, tout ça, non ! ne fait pas de M. Hamon un favori ! parce que, bon, voilà ! il faudrait racler vraiment les fonds de tiroirs… SAUF si ! Sauf si ! Sauf si ! – et nous vivons dans un monde complexe – sauf s’il y a un certain nombre de… « déçus » de la gauche qui votent ou qui manifestent des intentions de voter pour Mme Le Pen depuis pas mal d’années – vous savez qu’il y a des grandes régions qui étaient des grandes, grandes régions de gauche historiquement, des grandes régions industrielles où il y a les chiffres impressionnants de gens qui soutiennent aujourd’hui le Front National – est-ce que tous ces gens-là… ne reviendraient pas soutenir un candidat démocrate quand il cite de vrais chiffres – un candidat qui ne met pas sur la haine du voisin la plupart de – comment dire – la plupart de ses enjeux ? Je ne suis pas sûr… je ne suis pas sûr qu’il n’y a pas un certain nombre de gens qui ont voté Front National, qui ont voté Le Pen, qui ne voteraient pas aujourd’hui M. Hamon qui est une personne raisonnable – c’est son principal atout – qui défend des positions que j’approuve.
Hamon m’a invité à participer à un colloque qu’il avait organisé à Bercy et où il avait eu l’amabilité de me faire parler en premier. M. Hamon, j’en ai déjà parlé, c’est quelqu’un qui dans une occasion, s’est trouvé (au Havre) à fendre une foule devant des journalistes pour aller serrer la main à quelqu’un, et les journalistes se demandaient qui il allait voir comme ça, et j’ai eu cette grande satisfaction – et ce grand honneur ! – que ce soit pour me serrer la main, à moi.
Bon, voilà : cela situe les relations entre M. Hamon et moi. Cela ne veut pas dire que je l’approuve sur tout. Absolument pas ! Je ne suis pas d’accord, je ne suis pas d’accord sur cette politique du Revenu Universel de Base. Je ne pense pas que ce soit une bonne mesure. Je crois que c’est un moyen qui serait donné à la finance de voler encore un peu plus d’argent au public et ça – comme vous le savez – c’est quelqu’un qui a fait 18 ans de carrière dans la finance, dans les endroits clés, dans les endroits stratégiques, à des positions où l’on pouvait faire des différences – c’est une personne comme ça qui vous le dit.
J’ai connu ce monde de l’intérieur : c’est un monde où il y a beaucoup de gens de gauche, ce n’est pas ça, mais le milieu est criminogène, c’est un milieu qui encourage à faire des choses qu’il ne faudrait pas. Vous avez vu cette enquête qui a été faite ? qui est très amusante : on demande à des gens de donner une opinion sur un jeu, et c’est un jeu qui n’est pas biaisé. Et on prend deux groupes de banquiers : il y en a un auquel on rappelle dans les minutes avant qu’ils doivent émettre leur opinion qu’ils sont des banquiers et il y a un groupe où on leur parle de fadaises quelconques. Le groupe auquel on rappelle qu’ils sont des banquiers, triche par la suite de manière significativement différente de ceux à qui on n’a pas rappelé que ce sont des banquiers. C’est une chose qu’il faut garder en tête : c’est que s’il y a de l’argent en grande quantité qui arrive quelque part, ce milieu ne va pas pouvoir s’empêcher de vouloir ponctionner la somme.
Il y a encore d’autres choses que je n’approuve pas chez M. Hamon. Je le dis, voilà, je le dis. Ceci dit je ne… (je suis sociologue de formation), j’ai des opinions personnelles, j’ai une relation personnelle à M. Hamon. Tout ça joue bien entendu, tout ça joue bien entendu. Mais je suis très content qu’il y ait une sorte de dynamique – un « momentum » comme on dit en anglais – qu’il y ait une dynamique en sa faveur. Et j’aimerais bien que dans les sondages, il dépasse monsieur Macron ! Il y aurait bien entendu un paradoxe à ce que les deux personnes qui soient en tête, soient des anciens du Parti socialiste. Certains me disent que le fait même qu’ils sont passés par le Parti socialiste est quelque chose qui joue contre eux (rires). Je possède moi-même personnellement ma carte du Parti socialiste belge et je ne pense pas que ça m’empêche de dire ce que je pense, ni que ma parole soit entachée automatiquement par ça !
Alors ! Il faut bien le dire, M. Macron, les gens qui disent que M. Macron représente la gauche… bon c’est une plaisanterie ! il représente des idées de droite. Il ne représente pas une droite – comme je l’ai dit une fois – il représente le visage présentable, le visage humain de l’ultralibéralisme. L’ultralibéralisme : c’est une mauvaise chose. Je l’appelle en général « fascisme en col blanc », mais s’il y a effectivement des gens qui représentent – des personnages historiques comme les von Hayek, les von Mises, les Rothbard, les Friedman – représentent, je dirais, le visage inhumain de ce courant.
Il y a des gens qui – voilà – ne serait-ce que du fait de leurs parcours, peuvent présenter des arguments en faveur de ce type de position individualiste, anti-solidaire, contre l’entraide. J’ai parlé l’autre jour à des étudiants et, parce que j’avais prononcé le mot « solidarité », un étudiant m’a dit « Mais ce que vous dites est utopiste… parler de solidarité ! ». Nous vivons dans un monde où il y a des horreurs comme ça qui sont prononcées par des étudiants, dans des écoles… et des étudiants qui ne sont peut-être pas nécessairement des étudiants d’extrême-droite !
Alors, voilà ! J’ai à peu près dit ce que je voulais dire aujourd’hui. Je vais vous laisser. À la semaine prochaine ! Au revoir !
Encore un qui pousse Manu vers la sortie ! « On ne lui demande pas d’être gaulliste, il ne l’est pas…