Se battre contre la corruption systémique ou attendre la catastrophe ?, par Roberto Boulant

Billet invité.

L’actualité de ses dernières heures est là pour nous rappeler une évidence qu’il n’est plus possible de nier : la corruption des politiciens professionnels par les plus puissants des intérêts privés.

Et peu importe que cette corruption soit légalisée sous la forme du lobbying, qu’elle se présente sous la forme d’aller-retour grassement rémunérés entre fonction publique et secteur privé, qu’elle paye des centaines de milliers d’euros un conférencier pour un discours de quelques dizaines de minutes, ou bien même qu’en dehors de toute légalité, elle distribue des enveloppes sous prétexte d’emplois fictifs. Le fait est que des politiciens professionnels s’enrichissent ainsi au-delà de toute mesure, pendant que les populations voient leur standard de vie reculer et l’avenir de leurs enfants hypothéqué.

Et comme tout système mafieux, le capitalisme ne rémunère pas de la même manière les petites mains et les premiers couteaux. Nul doute que sur le marché, le prix du député de base soit inférieur à celui du ministre, mais peu importe ! Le cheminement a été démontré depuis longtemps -notamment par les travaux de Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot -, à la fin c’est la voix de la ploutocratie qui s’impose. Comme le prouve jusqu’au dégoût la violence sociale déployée tout au long du quinquennat qui s’achève.

Laissons aux historiens le soin de qualifier l’attitude de M Hollande quant à son comportement : convient-il de parler de trahison, ou bien alors de l’aboutissement d’un plan de carrière cynique ? Celui d’un jeune énarque qui pensa en son temps que le parti socialiste offrait les plus belles opportunités de carrière.

Bien plus intéressant sera sans doute pour les historiens le parcours de Myriam El Khomri, qui transfuge de classe finançant ses études grâce à des bourses et honnête élue de terrain, finira par voir son nom accolé à une loi de régression sociale. Un exemple chimiquement pur du fonctionnement de notre machine institutionnelle. Faites-y entrer quelqu’un d’animé par les meilleures intentions et vous obtiendrez tout de même une horreur juridique en fin de processus ! Mais comment en vouloir à Mme El Khomri ? Comment imaginer un instant qu’elle puisse résister, seule, à l’énorme pression de son gouvernement et de son administration ? Elle n’avait le choix qu’entre la démission, c’est-à-dire le sacrifice de sa carrière et de tous les efforts consentis pour s’élever socialement, et la soumission…

Maintenant élevons-nous de plusieurs crans dans notre monarchie, et imaginons M Hamon élu Président de la république en mai prochain. Imaginons que l’homme soit honnête, et qu’à l’inverse de ses prédécesseurs, il ne soit pas mû par le cynisme et l’ambition maladive. Imaginons même qu’il parvienne à s’entourer de ministres aussi sincèrement dévoués que lui au bien commun. Combien de temps pourront-ils résister à l’infernale pression et aux efforts conjugués des oligarques de leur parti, de leur administration et de l’Eurogroupe, avant de rendre les armes en rase campagne comme le fit M Tsipras ?

Penser qu’il est possible de se battre contre le TINA, tout en restant à l’intérieur de ce système corrompu et verrouillé, me semble être une idée absurde. Tout aussi absurde que de penser pouvoir stopper l’effondrement d’une société où les équilibres sociaux reposent entièrement sur un travail qui disparait, où les limites de ce que peuvent supporter les écosystèmes sont dépassées, et où 8 êtres humains sont aussi riches que la moitié la plus pauvre de l’humanité.

Un état des lieux qui relève de l’évidence, mais tellement angoissant qu’il est très tentant de fermer les yeux ! De se mentir en se disant que le système est réformable et que moyennant un peu de courage et quelques mesures d’accompagnement pour maintenir la tête hors de l’eau des plus fragiles, il sera possible de tout continuer comme avant. Peut-être même certains préfèrent-ils la certitude de la catastrophe à l’inconnu et à la terrifiante perspective de la liberté ?

Mais peu importe finalement leur choix. Qu’ils essayent de freiner avec M Hamon ou qu’ils choisissent d’accélérer avec M Macron, ils gagneront peut-être quelques dizaines de mois, mais ils finiront submergés par le vote populiste d’extrême-droite. Là également, il n’y a pas à porter de jugements moraux : chacun sait bien qu’à force de battre son chien, on le rend fou.

L’effondrement démocratique provoqué par la machine à concentrer les richesses et à faire exploser les inégalités devient de toute évidence, inévitable. Mais avec la surveillance généralisée et l’état d’exception se profile la réponse de la ploutocratie : l’État policier. Le rêve de Friedrich Hayek finalement réalisé : le renard libre dans le poulailler libre, avec un état réduit à l’unique fonction régalienne de l’application de la violence légale.

Ce cauchemar orwellien qui s’approche à grands pas ne nous laisse d’autre choix que celui de se soumettre ou de se battre. Un choix détestable et encore totalement inimaginable hier, dans ce monde maintenant disparu, où un Donald Trump à la Maison Blanche ou une Marine Le Pen au pouvoir étaient des scénarios burlesques.

Mais se battre n’est pas synonyme de verser le sang. Si pour échapper à l’État policier il n’est d’autre choix possible que de détruire la corruption systémique, de briser le lien de vassalité entre nos élus et l’argent, cela peut encore se faire pacifiquement. En prenant le pari que Jean-Luc Mélenchon et le FG appliqueront le programme de la France insoumise en cas de victoire. Programme dont la Constituante me semble être le seul moyen réaliste de combattre la corruption et les pleins-pouvoirs de la ploutocratie, avec entre autres moyens, la possibilité de révoquer le mandat d’un élu si celui-ci trahit ses engagements.

Une situation qui pourrait se résumer au choix de celui qui est prisonnier d’une pièce en flammes : rester et avoir la certitude de se faire carboniser, ou bien sauter par la fenêtre en espérant qu’il sera possible d’amortir la chute et de se retrouver à l’air libre. L’avantage que nous avons encore sur ce malheureux et que lui doit décider dans l’instant, alors que nous autres avons encore 79 jours pour y réfléchir tranquillement. Le temps n’est-il pas le plus grand des luxes pour les simples mortels que nous sommes ?

Tic-tac, tic-tac…

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