Billet invité.
À part qu’elle sera placée sous l’égide du Coq au moment même où Trump va recevoir l’investiture aux USA, que laisse augurer, vue d’ici, la politique chinoise pour 2017 ? Avec tout l’arsenal de précautions qu’il convient de déployer quand on se lance dans la politique fiction, il semble que le Président Xi, en poste depuis 2013, songe beaucoup à renforcer son pouvoir y compris peut-être en en aménageant la prolongation au-delà des limites constitutionnelles actuelles (2 mandats de 5 ans). Beaucoup d’observateurs occidentaux ont, ces derniers temps, joué avec l’image d’un « Nouveau Mao ». Il est vrai que sa stature de chef d’État et son prestige à l’international en font un dirigeant très « visible ». À l’intérieur du Parti, il semble avoir réussi durant ces presque 4 années à fortifier son ascendant sur la caste dont il est issu, celle des « fils de princes » (il est vrai, en embastillant celui qui risquait de lui faire le plus d’ombre, l’encombrant Bo Xilai !). En se donnant aux yeux de la population une image positive de « chevalier blanc » par sa lutte très déterminée contre la corruption (qui, au passage, a permis l’élimination d’autres « gêneurs » des hautes sphères de l’appareil !), il a conquis ses galons de « père et mère du peuple ». Son engagement plus que résolu en faveur du football comme nouveau facteur de cohésion nationale (nouvel « opium du peuple » ?) vient opportunément renforcer cette popularité. Pour un liant plus idéologique et un supplément d’âme plus culturel, il a amplifié le mouvement des « études nationales » initié par son prédécesseur Hu Jintao (2003-2013) en tentant d’inciter la Chine entière à se retremper dans l’héritage confucéen au nom de l’« harmonie » et des valeurs nationales.
Est-ce à dire que la partie est gagnée et que tout va pour le mieux « sous le Ciel » ?
Les acquis sont là, mais pas mal de zones d’ombre aussi.
Les acquis les plus évidents sont d’ordre économique. Le 11 décembre dernier, s’est ouvert l’examen marquant le quinzième anniversaire de l’admission de la Chine à l’OMC (2001) : son statut doit être révisé au sein de l’Organisation où elle n’occupait qu’un strapontin jusqu’à présent pour cause de menue anomalie (encore trop d’État dans son jeu !) et où elle guigne évidemment un fauteuil d’orchestre ! Il est évident que cette admission dans la cour des « grands » en 2001 a boosté une économie qui avait déjà « décollé » de manière spectaculaire dans les années 90. La dernière digue « idéologique » ayant sauté avec les « événements de 89 » et le moteur s’étant résolument « débridé » lors du voyage de Deng Xiaoping dans le Sud et les Zones Économiques Spéciales en 92, l’économie chinoise a connu un développement fulgurant inédit. Il ne faut pas se leurrer : ce n’est pas le « socialisme », fût-il qualifié « de marché », qui est responsable de cette réussite étonnante. Ce n’est pas non plus le « capitalisme » proprement dit tel que l’Occident l’a inventé et déployé. Ni l’un ni l’autre ne peut revendiquer la victoire ! Ce qui a fait merveille, en tout cas dans ce temps court dont nous parlons, c’est l’étroite imbrication des deux : la « main invisible » d’Adam Smith dans le gantelet d’acier du Parti Unique !
Cette alliance, dont on pouvait penser, non sans goguenardise, qu’elle était du type « carpe et lapin », a illico produit des changements spectaculaires dans la mesure où elle a immédiatement trouvé les bras dont elle avait besoin en puisant dans le réservoir des effectifs en surnombre à la campagne : au début des années 80, avant l’entrée en vigueur des réformes initiées par Deng Xiaoping, la catégorie de population étiquetée « paysanne » était d’environ 800 millions et une bonne partie de ces 800 millions vivait dans une extrême pauvreté. Trop de monde sur trop peu de terres ! Le passage au « socialisme de marché » et la marche de toute la Chine vers « la petite prospérité », l’objectif de Deng, supposaient que la Chine devienne un immense et démesuré chantier de construction en même temps qu’elle mettait des ouvrier(e)s au service des joint-ventures et autres formes de délocalisation occidentale. C’est la campagne chinoise qui a fourni l’essentiel de la main d’œuvre nécessaire ! Sur les grands chantiers qui ont poussé comme des champignons, les « mingong » durs à la tâche et habitués à des conditions de vie très rudes sont arrivés en masse (on peut raisonnablement situer leur nombre entre 80 et 120 millions dans la première décennie) pendant que beaucoup de jeunes filles quittaient leurs villages pour être embauchées dans les régions côtières ou les zones économiques spéciales (ZES) au service d’entreprises issues des délocalisations, se mettant ainsi au service du « made in China » que l’on connaît bien : vêtements, jouets, outils, vaisselle, téléphones cellulaires, etc… Cette politique a eu pour effet une amélioration rapide du niveau de vie des familles paysannes et un progressif rééquilibrage du ratio ville/campagne (même si le « hukou » citadin, permis de séjour en ville, n’a été donné qu’au compte-gouttes !). Elle a cependant eu et a encore cependant un coût humain important : les « mingong » sont des exilés de l’intérieur qui ne voient pas grandir leurs enfants, confiés aux grands-parents (un seul retour au foyer dans l’année pour les 15 jours de congé du Nouvel An) et les jeunes gens, garçons et filles, employés dans les ateliers et usines sous contrôle occidental vivent de plus en plus mal le « déracinement » qui les rend citoyens de nulle part et les laisse sans identité ni repères (les nombreux suicides chez Foxconn ont fait grand bruit ces dernières années).
Mais cela n’aurait sans doute pas suffi non plus sans le raz-de-marée de corruption dans lequel la Chine s’est engouffrée : de la toute petite corruption du citadin lambda qui graisse la patte au commissaire de police du quartier pour installer ses trois tables de restaurant improvisé sur le trottoir à la corruption XXXL des gros bonnets parmi lesquels on retrouve, sans pouvoir toujours bien les différencier, des cadres du PCC, des gradés de l’Armée et des caïds des Triades, un « milieu » où l’argent est gris et où les sommes en jeu ont énormément de zéros ! L’organisation clanique de la société, l’infrangibilité des solidarités familiales, l’efficacité des réseaux des guanxi (relations et clientèles) et la supervision de la mafia ont fait le reste ! Tout le monde s’est enrichi : pas dans les mêmes proportions, cela va de soi, mais comme, pendant tout un temps, chacun, en menant ses petites affaires, y a trouvé son compte et son content, la première période d’enrichissement tous azimuts a pu glisser sur des rails plutôt bien huilés. Pendant que des millions de petites gens au bas de l’échelle étaient occupés à s’éblouir d’avoir pour la première fois de leur vie entre les mains un billet de 100 yuan (13 euro au taux actuel), certains hauts cadres du PCC (dirigeants de provinces ou de gros districts) s’entraînaient avec une remarquable célérité à brasser (la relative timidité des débuts s’effrita vite !) des affaires de plus en plus grosses dont les miettes pouvaient largement rassasier les nombreux appétits des étages inférieurs !
Le phénomène a pris tant d’ampleur et la « main invisible » libre de ses mouvements a fouetté tant d’ambitions et accumulé tant de magots démesurés que Xi Jinping a dû siffler la fin de la récré. Avant d’accéder au sommet de l’Etat, il a fait ses classes au Fujian où il a eu tout loisir d’observer les excès d’une corruption qui ne se sent plus de bride et s’enhardit. Il a compris aussi que la population, après avoir été un peu « complice », manifeste un rejet de plus en plus écœuré de toute cette caste arrogante et gloutonne qui s’empiffre des ressources du pays et fait main basse sur tous les secteurs juteux de l’économie au mépris des normes environnementales qui sont le cadet de ses soucis ! La colère populaire s’alimente en effet à deux sources inépuisables :
d’une part le mépris de la santé publique et même de la vie humaine : le séisme de 2008 au Sichuan n’en finit pas de mettre en colère ! le lait à la mélamine continue à rendre très sceptique sur la sécurité alimentaire ! le trafic du sang contaminé vecteur du sida nourrit un ressentiment féroce ! A l’œuvre dans tous ces cas de cyniques escrocs et des pollueurs impunis ;
d’autre part, le déclassement des plus modestes dans l’effarant écart des niveaux de ressources engendré par l’anarchique emballement de l’économie ! Dans les profondeurs de la « pâte » chinoise, ce qui fait levain et inquiète voire terrorise les dirigeants, ce n’est pas la revendication de « Droits de l’Homme » ou d’élections démocratiques, c’est l’immense sentiment de colère et d’injustice qui a progressivement enflé et dont l’Histoire a appris à tous qu’il peut à lui seul renverser les dynasties les mieux établies ! Et celle du PCC n’a que 68 ans de règne !
On peut supposer que ce n’est pas par particulière « vertu » que Xi Jinping a entrepris à son arrivée au pouvoir de juguler la corruption (seulement la partie émergée et la plus voyante de l’iceberg ? c’est probable) et de resserrer plus récemment les boulons du système bancaire de façon interventionniste musclée. L’économie-casino et les bulles spéculatives liées à un boom immobilier délirant (villes fantômes aux centaines de milliers d’appartements vides !) commençaient à mettre en danger le fonctionnement même de la finance et de l’économie tout entière en provoquant des turbulences et du tangage au-delà du résorbable ! La caste a tellement vite appris les joies de l’offshore et les charmes des îles très bienveillantes aux capitaux qu’elle pourrait s’offrir le luxe d’émigrer sans régler aucune facture, celle des terribles dégâts environnementaux par exemple : elle a en poche les passeports ad hoc pour quitter le pays avec famille et bagages du jour au lendemain si elle le décidait ! La « potion magique » du confucianisme new look assaisonné au football sera-t-elle suffisante pour un retour à un peu de sagesse et de modération ? En coulisses cela nécessite sans doute des méthodes plus… convaincantes.
Xi Jinping doit négocier et réussir l’atterrissage en douceur de l’économie chinoise qui, longtemps juchée sur des résultats de croissance à deux chiffres, est en train de revenir à des niveaux plus modestes : beaucoup des équipements lourds (ponts, autoroutes, voies ferrées, ports) sont en voie d’achèvement, les fabrications à l’export se sont rationalisées, un certain nombre des « délocalisations » occidentales des années 80-90 sont allées chercher ailleurs des prix de revient plus bas pendant qu’ une production variée et de bonne qualité s’oriente désormais de plus en plus massivement vers le marché intérieur qu’il s’agit de pousser à la consommation sans tomber dans l’engrenage du « toujours plus » qui décervèle les populations et asphyxie le planète.
Car, parallèlement et sans tarder, le Président Xi doit s’attaquer à une autre tâche immense et coûteuse : dépolluer la Chine, réparer les innombrables ravages causés à l’environnement, mettre à bas les usines les plus vétustes, reconvertir une bonne partie de ses industries et amplifier le mouvement déjà amorcé du déplacement des villes trop insalubres et leur reconversion en éco-cités vertes. Autant dire nettoyer les écuries d’Augias ! Il est vrai qu’il y a là un nouveau marché, « marché vert » où les Français seraient, à ce qu’on dit, plutôt bien placés : si cela se met à rapporter gros (et de l’argent qui, aubaine, pourra même passer pour pratiquement « propre » !), ce business peut attirer des jeunes gens aux dents longues de la génération montante des enfants uniques ! La tendance préoccupante à la décadence morale et le « tout au fric » généralisé font qu’on en est à nourrir prioritairement cet espoir !
La tâche est lourde et de longue haleine. Elle doit se réaliser dans un contexte mondial instable, électrique et délétère. Rien ne permet de dire qu’elle réussira, d’autant que l’installation de la Chine à l’avant-dernière marche du podium aiguise les tentations de coups fourrés destinés à lui faire perdre pied ! On peut comprendre (sans forcément justifier) pourquoi Xi Jinping peut être tenté de bousculer la règle constitutionnelle : il faut, pour avoir une petite chance de mener à bien cette traversée par mer agitée, avoir pas mal de temps devant soi, mais aussi disposer du genre de pouvoir à poigne de fer qui fera que beaucoup (même nous !) crieront au despotisme ou à la dictature !
Les mesures qu’il faudra prendre ne seront pas toutes populaires (là-bas comme chez nous, les gens rouspètent à qui mieux mieux contre les ravages de la pollution, mais renâclent devant des mesures coercitives quand elles les concernent !). Elles seront brutales et ravageront sans doute des pans entiers de l’emploi. Elles peuvent fédérer des mécontentements qui menaceront la stabilité du régime. Plusieurs scénarios sont possibles. Certains peuvent tout à fait alarmer. Notre espoir ne peut reposer que sur la conscience aiguë qu’ont les Chinois de la solidarité planétaire qu’implique leur conviction que les hommes, qui ne sont guère plus que « les puces nichées dans les coutures du pantalon de l’Univers », ne peuvent pas impunément menacer trop longtemps le fonctionnement harmonieux du Ciel/Terre.
L’intérêt général — et là, excusez du peu, il s’agit de celui de toute l’humanité — nécessite quelquefois des brutalités odieuses à ceux qui les subissent. La vieille histoire de l’omelette et des œufs cassés…
Nous ne prendrons qu’un exemple de ces « œufs cassés », payés par d’autres que nous en l’occurrence, puisque l’exemple est chinois. Quand, à la fin des années 70, contre la vision nataliste de Mao, la Chine a imposé la mesure de l’enfant unique, cela s’est fait, en particulier pour les femmes premières concernées, au prix de contraintes très dégradantes et parfois de véritables atrocités, sans parler du sacrifice consenti par chaque famille : renoncer à mettre au monde des enfants nombreux, qui ont toujours été en Chine le symbole du bonheur, à un moment où les progrès de l’alimentation et de la médecine permettaient qu’ils ne meurent plus si souvent en bas âge !
Nous sommes 7 milliards (dont 1 milliard 350 millions de Chinois) à peupler la planète. Qu’on songe à ce que seraient aujourd’hui la population mondiale et l’état de nos ressources naturelles si le gouvernement chinois, de façon épouvantablement tyrannique, nous en convenons, n’avait pas frappé très fort et châtié durement son peuple pendant près de 40 ans !
Alors, on dit merci qui ?
En annexe à notre propos du jour quelques propositions de lecture très éclairantes
— sur un état des lieux très détaillé des rivalités au sein du PCC et au sommet de l’État :
» Les fils de princes » de Jean-Luc Domenach (Ed. Fayard avril 2016)
— sur toutes les formes de collusion entre le Pouvoir et les Affaires depuis les années 90 et la transposition à peine voilée des grandes purges pour corruption : la série, parue en coll. de poche (Ed. Points Seuil) des 9 romans policiers de Qiu Xiaolong (traduits de l’anglais) dans lesquels l’inspecteur Chen, basé à Shanghai et grand amateur de poésie, essaie de démêler ces criminelles embrouilles. Par exemple, l’affaire Bo Xilai comme si vous y étiez dans « Dragon bleu, Tigre blanc« .
Désolés d’ajouter qu’on peut faire l’impasse sur la dernière parution de Qiu Xiaolong « Il était une fois l’inspecteur Chen » (2016) : l’inspecteur Chen y est déprimé et Qiu Xiaolong, sans doute talonné par son éditeur, en panne d’inspiration.
(suite) (« À tout seigneur tout honneur ») PJ : « il n’est pas exclu du tout que je me retrouve dans la…