Billet invité
Il ne fait pas un temps à sortir de chez soi et les grands dirigeants occidentaux ne vont pas se presser à Davos. L’année s’annonce rude et pleine d’incertitudes et l’heure n’est pas à la réflexion stratégique sur les grands problèmes de ce monde. Ils attendront, il y a plus urgent à régler. Pour faire court, la confusion qui régnait en Europe change d’échelle pour s’étendre sur la planète entière. Un tournant s’opère dans le brouillard le plus complet.
Bien à la manière chinoise, la venue au Forum du président chinois Xi Jinping symbolise la nouvelle donne qu’il cherche à faire valoir. La Chine prendrait sans prétendre encore l’égaler la place des États-Unis comme défenseur de la stabilité, de la mondialisation et de la disparition des barrières douanières, ainsi que de l’Accord de Paris. Elle voit dans la situation présente une opportunité de renforcer son influence et son rôle en Asie et dans le monde, offrant une alternative à la politique américaine du chacun pour soi qui se dessine. En prenant le contre-exemple de Donald Trump qui tire la couverture à lui, non seulement à son détriment mais aussi de celui du Mexique et du Canada quand il menace l’Alena, l’accord de libre échange qui lie les États-Unis à ces deux pays.
Ce renversement de situation est destiné à contrer la perspective d’un conflit économique et militaire avec les États-Unis à l’initiative de Donald Trump, dont la perspective est accréditée par les déclarations agressives à répétition des membres de sa future administration. Les relations entre les États-Unis et l’Europe sont aussi amenées à être chamboulées. Non seulement en raison d’un Brexit dont la version « dure » semble s’imposer – Theresa May devrait le confirmer dès demain – mais aussi de la politique européenne de Donald Trump qui a par avance salué son succès et affirmé sa volonté de conclure « rapidement » un accord commercial avec le Royaume-Uni, prenant le pli opposé de Barack Obama qui favorisait un partenariat prioritaire avec l’Union européenne dans sa nouvelle configuration. Cela a tout du renversement d’alliance que Boris Johnson, le ministre des affaires étrangères britannique, a immédiatement qualifié de « très bonne nouvelle ».
D’autres pays vont également quitter l’Union européenne en raison de la crise migratoire, a prédit le nouveau président, tout à sa soif de remodeler le monde. Il mise sur la poursuite de la fragmentation de l’Europe et reproche à Angela Merkel l’« erreur catastrophique » de son déclenchement en Europe. Autre face de sa politique protectionniste, des taxes douanières pourraient durement toucher l’importation des voitures allemandes.
La négociation du Brexit n’a pas encore formellement commencée mais les impétrants se positionnent. Michel Barnier, le négociateur européen, a fait état des risques qui allaient peser sur la stabilité financière et affirmé le besoin d’un « accord spécial » à ce sujet, afin que les gouvernements, les banques et les entreprises européennes aient toujours accès aux services de la City une fois le Royaume-Uni sorti de l’Union européenne. Pour aller à l’essentiel, afin d’éviter l’isolement des mégabanques des 27. Nous y voilà ! Mark Carney, le gouverneur de la Banque d’Angleterre avait de son côté confirmé que les Européens avaient beaucoup à perdre de ce côté-là. Les trois quarts de leurs opérations de change, la moitié de leurs prêts et la moitié de leurs transactions boursières se font à la City. S’en isoler aurait comme effet de renchérir le coût du capital, non sans lourdes conséquences pour les banques, les entreprises et les gouvernements européens… Les fers sont croisés.
Le ministre de l’économie britannique Philip Hammond a fait monter les enchères. Le gouvernement britannique avait déjà annoncé vouloir réduire à 17% un impôt sur les sociétés actuellement de 20%, qui deviendrait le plus faible de tous les pays du G20. Mais le ministre va plus loin en annonçant que « faute d’accès au marché européen » – il entend par là privilégié – un « changement de modèle économique » qui s’imposerait afin de « regagner de la compétitivité ». Il a pour nom le dumping fiscal, ce levier complémentaire aux taxes à l’importation, la dévalorisation de la livre britannique étant chose acquise. Une « guerre des monnaies » était dénoncée par les pays émergents qui subissaient les dégâts du « carry trade », mais on n’en est plus là, l’heure est désormais aux déclarations de guerre commerciales.
Question guerres, la future administration Trump se cherche encore, en premier lieu dans ses rapports avec la Russie. L’Otan est déjà déclarée « obsolète » par Donald Trump, à la recherche d’un « deal » qu’il privilégie à la confrontation. Après avoir menacé de relancer la course aux armements nucléaires, sans distinguer s’il visait la Chine ou la Russie, il envisage maintenant la reprise de sa réduction conjointement à celle des sanctions à cette dernière, à la recherche d’un « bon accord » avec Vladimir Poutine dont il ne précise pas le contenu.
Qu’il s’agisse du théâtre européen ou du Moyen-Orient, où la Russie a dernièrement marqué de premiers sérieux points, et où les États-Unis sont enclins au repli, il y a du grain à moudre. Vladimir Poutine était animé par le rêve de la reconstruction d’une « Grande Russie », et il peut prétendre marquer de nouveaux points, après la Crimée, grâce au succès de sa politique syrienne et à sa contribution à la solution d’un problème devant lequel les grandes puissances occidentales se confirment largement démunies : la montée en puissance des guerres régionales. Il s’outille pour, ni les victimes collatérales ni les pertes de ses soldats le préoccupant outre-mesure.
Confinant à la caricature, l’entourage de Donald Trump est rempli aux postes de commande ou de conseillers d’ancien de Goldman Sachs, à commencer par la désignation à la direction du Trésor de Steve Mnuchin, le successeur désigné de son actuel Pdg Lloyd Blankfein. Mais les milieux financiers ont fêté sans attendre les effets la victoire de Donald Trump. JP Morgan Chase, Bank of America et Morgan Stanley ont annoncé des résultats de fin d’année faramineux devant la perspective d’une hausse des taux, déjà entamée par la Fed, et d’une relance de l’économie. Mais aussi du retour de l’âge d’or de la spéculation financière, dans des circonstances plus redoutables qu’auparavant. Car s’il ne sera pas totalement fait table rase de la loi Dodd-Frank – le flou à ce sujet est total – pour n’en conserver que le moins pénalisant pour les banques et les fonds d’investissement, la masse mondiale des actifs financiers qui alimente la spéculation ayant considérablement enflé depuis le démarrage de la crise. Peut-on raisonnablement croire que ce qui subsistera de la régulation sera en mesure de lui faire barrage et ne cédera pas ?
Et si on parlait de la part d’identification de Poutine vis à vis de Trump et de Trump vis à…