* Bastien Lombaerd, 21 ans, étudiant en droit (ULB). Billet invité. Ouvert aux commentaires.
Il y a des livres dont rien que le titre nous fait déjà rêver. Des titres qui nous emportent sur une autre planète, sans que nous ayons pu en lire un paragraphe de son contenu. Le dernier qui s’en va éteint la lumière, voici le titre du livre de Paul Jorion.
C’est d’ailleurs un livre dont je n’ai lu que le titre. Je ne connaissais ni l’auteur, ni l’existence du livre lui-même. Comme quoi, les médias font beaucoup ! On préfère aujourd’hui parler de la sortie du livre d’une ex-ministre fédérale belge où le titre, qui dans ce cas ne fait pas du tout voyager, comprend le mot « merde », que de parler de livres d’auteurs, pas forcément moins connus, mais dont le sujet est sensible de ne pas intéresser tout le monde. Et pourtant, avec un titre si porteur !
Pourquoi, dès lors, vous parler d’un livre dont je ne connaissais, avant sa découverte, ni l’auteur ni l’existence même de son livre ?
Il y a de ça deux mois, lors des journées du patrimoine wallon, je me suis rendu dans l’église d’Yves-Gomezée, un petit village de la Province namuroise où l’une de mes anciennes professeures de secondaire y exposait ses œuvres…
Cette femme de livres et de lettres enseignait le français à ses élèves d’une manière digne des plus grands professeurs universitaires. Certes, tout comme ces grands intellectuels, elle avait une idéologie politique qu’elle faisait sentir et passer, tout en permettant la (re)mise en question de celle-ci. Une idéologie qui était plutôt fondée à gauche qu’à droite. Et parfois même, sur certains sujets, elle était beaucoup plus réactionnaire, voire novatrice, que ses jeunes étudiants à qui elle ouvrait pourtant la sphère la plus belle du monde, celle de la réflexion philosophique et littéraire, et par là même, elle nous invitait à ouvrir une deuxième sphère, celle de la réflexion politique.
C’est sans doute grâce à elle qu’aujourd’hui, j’aime le débat et la démocratie, mais c’est encore une autre histoire qui mériterait un autre papier.
J’aurais pu, en tant que simple étudiant, la garder dans le creux de ma mémoire, placée comme une relique, dans une espèce de musée imaginaire, dans la salle des anciens professeurs. Ce genre de relique qu’on ressort aux grandes occasions, lors de grandes discussions… Mais je n’ai pas opté pour cette direction, voyant en elle la possibilité de m’ouvrir encore plus sur le monde et sur la réflexion qu’elle nous apprenait si bien, mais que je devais pourtant quitter pour la grande aventure qui m’attendait dès lors : celle de l’université.
J’ai donc décidé, un beau soir, non pas d’été, mais d’hiver, de lui adresser un mail dans lequel je lui expliquais mon entrée dans le monde universitaire et le fait de vouloir avoir des nouvelles d’elle… Elle qui entamait sa toute dernière année d’enseignement avant de prendre une retraite ô combien méritée.
De mail en mail, d’année en année, de fil en aiguille jusqu’à encore aujourd’hui, nous échangeons nos points de vue. Tantôt sur la Vie, tantôt sur le Temps, tantôt sur la Politique, tantôt sur des ouvrages récemment lus…
Un jour, elle m’invita à cette fameuse exposition dans cette fameuse église du fameux village d’Yves-Gomezée où elle y exposait de fameuses œuvres. Des tableaux qu’elle disait « bruts et naïfs – ou faussement naïfs – , rien de réaliste, rien de joli, rien de raffiné, rien de classique ; souvent à la frontière entre l’abstrait et le figuratif ». Tout en rajoutant : « il est probable que tu n’aimes pas du tout ce que je peins ».
Elle m’avait donné un défi – si je peux parler de défi – celui de la reconnaitre parmi les artistes, elle peignait sous un pseudonyme. Mais avec une telle auto-description de ses œuvres, je n’eus pas beaucoup de mal à la repérer parmi la dizaine d’artistes.
Des œuvres en effet abstraites mais parlantes, criantes et crevantes de réalisme au travers d’interrogations proposées sur notre monde et, à l’image de Wendrix – son pseudonyme d’artiste – des œuvres penchant vers une certaine idéologie philosophique voire politique.
Une des œuvres, peinte dans un camaïeu de gris bleuâtre, s’intitulait Le dernier qui s’en va éteint la lumière. Une œuvre inspirée directement du livre de Paul Jorion, livre qui était d’ailleurs exposé aux côtés du tableau, permettant au passant d’en faire la découverte et pourquoi pas l’incitant à l’acheter par la suite.
Une œuvre qu’on pourrait donc qualifier « d’inspirante » qui amène, d’office, à la réflexion. À la fois sur l’œuvre en elle-même et sur son titre… Et donc sur le livre auquel ce titre fait référence.
Voilà mon premier contact avec Paul Jorion et son livre.
Il fut question, à la suite de cette exposition, dans nos mails, de ce livre de Paul Jorion, Le dernier qui s’en va éteint la lumière sur l’extinction de l’humanité. Un livre présenté comme « essai » par l’auteur lui-même.
L’extinction de l’humanité, un sujet d’intérêt général traité, comme me le disait ma professeure – que je nommerai Wendrix – non pas en réunissant des articles divers au sens propre, mais nourri de nombreuses lectures d’ouvrages spécialisés – notamment en matière d’économie.
Ayant cette vieille habitude, chaque fois qu’elle prend un livre en main, de prendre en même temps un bloc de papiers et de quoi écrire… elle me fit part, de ce qu’on pourrait appeler une « fiche de lecture » du livre de Paul Jorion.
Vous recopier cette fiche de lecture ne serait, ni pour moi ni pour vous, quelque chose d’utile. Mais ce que je pourrais dire, avant lecture, c’est que ce livre traite de politique, d’économie, d’économie politique, de notion de démocratie, de notion de pouvoir d’argent, de l’environnement, d’intérêt général, de finance, de multinationale… et de pouvoir.
À la lecture du document et des sujets abordés, j’avais premièrement réagi en disant ceci :
« Le sujet abordé a l’air très technique mais pourtant si courant et d’actualité. Les affaires de transparence qui ne cessent d’éclore suite aux Panama papers, Luxleaks – et l’on pourrait rajouter à l’heure où je vous écris ce billet les « Footballeaks » – prouvent en effet que le monde, ou l’humanité, est en mutation.
Mais de quelle mutation parlons-nous ? Une mutation qui mettra fin à l’humanité pour toujours ou, tel le Phoenix, pour la faire renaître de ses cendres autrement ? Une mutation qui donnera suite à un réel changement de la pensée générale de/sur l’humanité ? »
Je disais que le droit devait évoluer tout comme le système politique. D’ailleurs, l’un et l’autre sont liés puisque c’est le politique qui donne naissance au droit. Le droit doit davantage évoluer avec son temps et ses mœurs. Comment faire en sorte que les multinationales ne gâchent ni la vie de leurs employés, ni celles de leurs clients, ni celles des petits commerçants qui sont en voie de disparition nette ?
Je pense, en tant que jeune, qu’il faut davantage s’intéresser à l’avenir plutôt qu’au présent et affronter les problèmes avant qu’ils n’arrivent. En droit pénal, par exemple, il faudrait repenser le système des peines. Mais même quand on le modifie, il ne semble pas correspondre aux mœurs citoyennes et éthiques.
Non, je reste convaincu que ce n’est pas logique de permettre aux riches d’outrepasser les règles que les pauvres doivent suivre (cf. Khazakgate).
Pour elle et comme pour l’auteur de l’essai, s’intéresser au futur plutôt qu’au présent n’était pas la bonne solution.
« Les choses vont si vite, plus le temps passe, plus les problèmes s’amplifient, se multiplient… Les reporter à plus tard, n’est-ce pas une façon de s’en débarrasser et de les laisser aux suivants ? Avec le risque qu’il soit trop tard… »
« Le moment où je parle est déjà loin de moi » disait Boileau.
Chaque nouvelle parole est déjà du passé, l’avenir est à chaque instant rogné par le présent… Le présent grignote l’avenir et le fait basculer dans le passé…
Dans son livre, Paul Jorion dit que les générations futures sont des entités abstraites. Il a tout-à-fait raison ! Qui pourrait dire le contraire ? L’avenir est une entité abstraite… sur laquelle nous n’avons aucune prise réelle, aucune vision concrète. C’est maintenant, aujourd’hui, qu’il faut du courage pour agir et réagir, en prenant conscience des problèmes à résoudre, et des changements à opérer – dans la mesure du possible. »
« D'ailleurs, demain, serons-nous encore là ? » écrivait-elle très justement.
Mais la réponse, on la connait tous : non. Non, c’est un fait certain, nous ne serons plus là demain. Nous vivons pour, au bout, mourir et quitter ce monde et cette humanité. Une humanité qui, à l’évidence, aura sa mort aussi.
Je suis partisan de la notion « d’égarés » que Jean d’Ormesson attribue aux humains que nous sommes. Il est vrai que nous ne savons pas ce qui nous amène sur cette Terre et ce que nous allons devoir y faire. Ce que nous savons, c’est notre début – notre naissance – et notre fin – notre mort. Nous savons que nous partirons. Nous ne savons pas encore quand ou encore comment. Mais, c’est certain, nous partirons. Vous, moi, eux…
Ce que nous pouvons faire, et j’en suis convaincu, c’est de faire vivre, à l’image de notre vie, l’humanité et de la faire survivre un temps soit peu dans de meilleures circonstances que celles dans laquelle elle navigue pour le moment.
« On s’active fébrilement à tuer le temps, on se divertit pour ne pas penser à la mort » poursuivait-elle. Et bien au contraire de ce qu’elle, et sans doute Paul Jorion, peut penser : oui, nous passons notre vie à nous divertir, car nous savons qu’au bout de cette vie, il y a la mort. Et c’est sans doute aussi pour cela que les riches – qui ont plus de temps libre que les pauvres qui doivent travailler pour gagner un minimum d’argent qui leur permettra de survivre – permettent par leurs actions de faire évoluer plus rapidement le monde – et l’humanité.
C’est d’ailleurs les « nouveaux riches », les patrons de Facebook, Microsoft ou encore Google, qui s’attardent à déployer des moyens financiers dans le domaine de la recherche scientifique médicale, qui permettront peut-être un jour d’éradiquer les maladies tueuses d’hommes. Des maladies qui, au rythme de leur accroissement, seront peut-être le moteur principal de notre extinction…
Mais... « Il faudrait être bien naïf pour croire que les milliards de Microsoft, Google et Facebook vont sauver l'humanité ! » m’écrivait-elle.
« Les « Gafa » (Google, Apple, Facebook et Amazon) ne paient quasi pas d’impôts dans les pays où ils sont utilisés et où ils font des profits faramineux.
En plus, ils redirigent leurs bénéfices vers des paradis fiscaux où l’impôt est nul : les iles Caïmans pour Facebook, les Bermudes pour Google et Microsoft, le Delaware, Gibraltar, Jersey et les iles Vierges britanniques pour Amazon. C’est ce qu’on appelle « l’optimisation fiscale »…
Avec de tels montages, stratagèmes, roublardises, manipulations… peut-on leur faire confiance dans leurs intentions humanitaires ? Les sommes versées dans les recherches (par exemple médicales) leur permettent d’éviter légalement l’impôt et en plus leur procurent une façade de générosité et de bienveillance vis-à-vis du public. »
Et là, évidemment, on ne peut qu’être en accord avec cet argument. Mais dans l’état des choses, bien que ce contournement fiscal soit peu éthique dans son but premier, mais licite, doit-on reprocher au Privé de prendre à ses frais ce que le Public ne fait pas ?
La question sera sans doute celle qui opposera gauchistes et droitistes pour quelques années encore... Sauf si plusieurs Emmanuel Macron naissent ici et là.
Alors oui, il est plus intéressant de s’intéresser au présent. Mais si on travaille aujourd’hui sur le présent, les réformes n’aboutiront que demain. Néanmoins, il y a tant de choses à faire présentement qui auraient des effets directs, mais qui ne sont pas mises en place par nos hommes politiques qui, eux aussi, finiront comme nous tous : morts.
Il faut croire au progrès, bien plus qu’en Dieu. Le progrès, on le remarque, on ne le voit pas, mais on voit son action. Et le progrès, ce n’est que demain…
D’ailleurs, Jean d’Ormesson dit, dans son dernier livre, « il y a pire encore que les imbéciles qui croient au progrès : ce sont les imbéciles qui n’y croient pas ». Et il dit, dans son développement : « qui accepterait demain de vivre comme hier ? ».
Du progrès, il y en a. Ne fut-ce que dans les sciences – la médecine, notamment – mais aussi dans l’idée de justice – le retrait de la peine de mort, la protection des minorités, … – et dans l’environnement aussi.
Mais, comme dans tout, c’est le pouvoir et l’argent qui mettent le frein à ces progrès.
Il est vrai que plus on évolue, moins on voit les progrès qui nous entourent. Raymond Aron disait : « Les hommes font l’histoire, mais ils ne savent pas l’histoire qu’ils font ».
Le progrès est aussi différent pour chacun. Quand certains verront du progrès dans le fait de déployer de l’argent à développer une voiture autonome non polluante plutôt que d’investir cet argent à la fabrication d’armes toujours plus redoutables… D’autres y verront un recul.
Alors, plus que sincèrement, je crois au progrès, et j’invite chacun d’entre vous à s’interroger sur ce qu’il peut faire pour améliorer notre environnement simplement. Il suffit parfois d’un rien.
Être citoyen, c’est bien. Mais être acteur de ce monde et de cette humanité c’est mieux.
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