La Chine se retourne au milieu du gué
Lorsqu’il engagea la Chine sur la voie du capitalisme dans les années 1980, Deng Xiaoping décrivit la démarche comme « Traverser le gué en tâtant une pierre à la fois ». Les termes étaient ainsi posés d’un capitalisme conditionnel : politique des petits pas, dont les pas seraient suffisamment mesurés pour permettre tous les degrés d’une remise en question : de celui qui ne serait qu’un pas de côté sur une pierre moins branlante, à celui qui signalerait le retour sur la berge.
Après trente ans de progression vers l’avant sur le gué, c’est avec le président Xi Jinping, en place depuis 2013, à des pas de côté, sinon à des pas en arrière, que l’on assiste.
La direction du pays par le Parti communiste est à l’ordre du jour, le communisme lui-même revient en force. Les media officiels, organes du parti, sont à nouveau seule référence reconnue, les ONG sont sous surveillance étroite, les porte-paroles des droits de l’homme sont réduits au silence, voire emprisonnés, le seul syndicat toléré est à nouveau le syndicat officiel, une campagne contre les valeurs occidentales bat son plein, une B.D. cible les jeunes filles : méfiez-vous des hommes blancs, ce sont plus que probablement des espions !
Qu’est-ce qui inquiète M. Xi Jinping ? Tout d’abord le sérieux coup de roulis de la finance chinoise en 2015, devenue incontrôlable. Les moyens utilisés pour remettre la Bourse sur les rails furent bien éloignés de la confiance dans la main invisible d’Adam Smith : interdiction de la vente à découvert, suspension de la cotation de plus de la moitié des sociétés en Bourse, appels pressants au sens civique des intervenants, interdiction « patriotique » de vendre et enquêtes ouvertes sur les contrevenants, intimidation des gagnants les plus spectaculaires des mois précédents. M. Lou Jiwei, ministre des Finances limogé en novembre, a été la victime expiatoire d’une situation qui apparut hors de contrôle.
Ce qui inquiète ensuite le président chinois, c’est l’érosion des valeurs sous l’influence du matérialisme venu d’Occident, accompagnant d’autres notions comme la prévalence de l’individuel sur le collectif. M. Xi Jinping y lit l’origine de la dissolution du tissu social qu’il observe autour de lui et dont les signes les plus alarmants sont la corruption et la fuite hors du pays des hommes et des capitaux : fuite des bénéficiaires de la croissance à deux chiffres de 2006-2008 et départs massifs à l’étranger de leurs enfants.
D’où la campagne en cours contre la corruption, dont les victimes les plus haut placées furent des compagnons de route de M. Hu Jintao, le prédécesseur de M. Xi Jinping. D’où aussi les efforts faits pour assurer le retour des valeurs ou, plus précisément, le retour de ce « social intériorisé » dont parlait le père fondateur de la sociologie qu’était Émile Durkheim, de cette « décence ordinaire » dont parla ensuite George Orwell.
Les moyens de ce retour ? La promotion d’idéologies ayant déjà servi en Chine : le marxisme-léninisme, le maoïsme, et, plus surprenant sans doute pour un esprit occidental : le confucianisme, lequel s’explique aisément si l’on se souvient de certains propos du confucianiste Mencius (IVe av. J.-C.) : « Quand le ciel et la terre ne communiquent plus, les 10.000 êtres ne se reproduisent plus. Quand le haut et le bas [c’est-à-dire gouvernants et gouvernés] ne communiquent plus, la nation n’a plus d’amis [connaît sa ruine] ».
Organiser le retour des valeurs et la reconstitution du tissu social ne s’improvise pas bien entendu et exige le temps long. Les dix ans, soit deux mandats, auxquels les présidents chinois ont habituellement droit, paraissent bien courts dans cette perspective. Ce qui explique pourquoi on attribue à M. Xin Jinping l’intention d’adopter un plan de carrière semblable à celui de M. Poutine : viser comme lui une installation au pouvoir semi-permanente. Les mauvaises langues répètent d’ailleurs qu’avec le nombre d’ennemis qu’il se fait en ce moment, prendre sa retraite en 2022 serait bien malavisé.
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