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Guy McPherson, professeur émérite d’écologie et de biologie évolutive à l’Université d’Arizona.
Merci à Pierre pour sa retranscription !
P: Nous allons vers une extinction massive, rien que ça, parce que
l’humanité détruit son propre habitat. C’est le message sans équivoque
de l’expert du climat Guy McPherson, de l’université de l’Arizona.
Certains le qualifient d’éco-terroriste, d’autres d’anarchiste, mais
peut-être est-il simplement un réaliste. Guy est en Nouvelle Zélande
pour une tournée de conférences.
Guy, ravi de vous revoir
G: De même, Paul.
P: La dernière fois qu’on s’est vus, en 2014, vous avez ruiné tous mes
espoirs et ceux de ma famille. C’était très sombre comme ambiance.
Est-ce que ça a changé depuis, de votre point de vue ?
G: Oh oui, la situation est bien pire qu’à l’époque.
P: Ok, ok, donc je reformule : on perd notre temps à discuter de
changement climatique, de réchauffement planétaire et d’élévation du
niveau des mers.
G: Je serais content que les gens aient une chance de savoir ce qui se
passe dans le monde. C’est pour ça que je fais ce travail, alors je
crois qu’il faut vraiment en parler. Les gens doivent savoir que ce qui
est en train de se passer…
P: …est presque futile.
G: L’action est futile, à part à un niveau individuel, pour se sentir
mieux. L’action est un remède au désespoir, comme disait Edward Abbey,
cet anarchiste.
P: Vous êtes anarchiste ?
G: Oui, et je sais ce que ça veut dire. Ce n’est pas le chaos.
L’anarchisme n’est pas un concept romantique, mais une façon de vivre
qui a fait ses preuves pendant trois millions d’années.
P: Si vous voyez juste, vous devez aussi vous tromper. Vous dites que
c’est important qu’on parle de ce qui se passe, mais je ne crois pas que
ça soit la vraie raison. À vous en croire, si on en parle, c’est juste
pour nous bercer d’illusions sur notre capacité à échapper à ce qui nous
attend.
G: Ça dépend de votre point de vue. De mon point de vue, il n’y a rien à
faire au niveau de la préservation de l’espèce humaine au-delà de
quelques années. D’autres pensent qu’agir augmentera leur longévité, et
c’est possible, suivant ce qu’ils font et ce qu’ils comptent faire. Mais
pour l’espèce humaine en général, c’est terminé, et depuis longtemps.
Nous sommes en plein dans la sixième extinction.
P: Ok, on va parler dans un instant des délais que vous annoncez. Vous
avez déjà indiqué que les choses bougent, peut-être même plus
rapidement que vous ne le pensiez. Dans certains de vos écrits, vous
sous-entendez presque que nous avons l’arrogance de croire que le destin
de la planète et celui de l’humanité sont confondus. En réalité, vous
envisagez un sort plutôt positif pour la planète, mais sans nous.
G: Tout à fait. Les hommes sur la planète, notre espèce a environ 200
000 ans. L’univers a 13,8 milliards d’années.
P: Nous ne sommes qu’un bref instant.
G: Oui, c’est un feu de paille. Un feu tout court, en ce qui nous concerne.
P: Et, sans la vie humaine telle qu’on la connaît, la planète pourra
sans doute guérir en quelques millénaires ?
G: Ça prendra des millions d’années, comme ça a été le cas dans les
extinctions massives précédentes. Mais je n’ai pas de doute que la
planète finira par être de nouveau florissante. Il y aura juste des
choses minuscules comme les microbes, les bactéries, les champignons
pendant quelques millions d’années.
P: Ce que vous dites à l’air très logique, en tous cas beaucoup plus que
(le discours de) ceux qui disent qu’il suffit de dire à la marée
d’arrêter de monter. Mais je n’y crois pas vraiment, parce que mon
esprit rationnel ne peut pas concevoir tout ça. Je vais donc prétendre
que ça n’existe pas. Est-ce que c’est contre ça que vous luttez quand
vous faites des conférences dans le monde entier ?
G: Bien sûr. En général [devant] des gens comme vous et moi, plutôt
privilégiés, et qui n’imaginent pas voir ces privilèges disparaître.
C’est ça la difficulté. Nous n’avons jamais rien connu d’autre. Nous
sommes nés en captivité, comme je le dis, et nous n’avons pas choisi de
naître à cette époque. C’est difficile d’imaginer autre chose, encore
moins la situation qui va se présenter dans un avenir pas si lointain.
P: Une autre chose difficile à imaginer, même si on en a les preuves
absolues, c’est notre aspect éphémère. Nous connaissons l’histoire. Nous
savons que nous ne durerons pas éternellement, et donc nous pouvons
connaître une part de l’avenir. Combien de temps avons-nous ? En tant
qu’espèce ?
G: Je n’imagine pas qu’il restera des humains dans dix ans. Je pense que
ça sera…
P: Attendez, vous avez dit « dix ans » ?
G: Oui, et même sur un ton catégorique. Nous allons vers une température
du globe qui n’a jamais été atteinte ces deux derniers millions
d’années. Au moins un ordre de grandeur au-dessus de l’extinction massive…
P: Vous voulez dire que l’augmentation de température sera phénoménale
dans les années qui viennent…
G: Oui. C’est une progression exponentielle. Nous avons du mal à
appréhender le changement exponentiel…
P: Non non, je comprends les mots « exponentiel » et « changement ». Ce que
je ne veux pas comprendre, c’est votre échelle de temps. Pourquoi est-ce
qu’on perd notre temps dans ce studio ? Qu’est-ce qu’on fait là ?
Sérieusement, s’il ne nous reste que dix ans, qu’est-ce que vous faites
là, à trimbaler votre femme autour du monde pour parler de ça ? Il ne
vous reste que dix ans ! Vous devriez plutôt être à la maison avec vos
enfants.
G: Je n’ai pas d’enfants, parce que j’ai vu tout ça venir depuis longtemps.
P: Faites-en maintenant. Vraiment, dix ans ?
G: Non, même pas dix ans. Vous savez, le problème quand je donne ces
chiffres, c’est que les gens pensent que ça va être comme d’habitude…
P: Il y a des gens qui prennent des photos dans le studio. Pourquoi vous
prenez des photos ?
G: Ce n’est pas ma femme, c’est ma compagne, mais peu importe.
P: Par rapport à la situation mondiale, effectivement.
G: J’incite les gens à chercher l’excellence, l’amour, à faire ce qu’ils
aiment faire. Je ne crois pas que ça soit si farfelu. Je recommande aux
gens de rester calme, aussi, parce que la situation échappe à notre
contrôle.
P: Vous pensez que les chose ne peuvent qu’empirer. Compte tenu des
délais que vous annoncez – je ne me souviens plus de ce que vous aviez
dit la dernière fois, mais c’était nettement plus que dix ans.
G: Oui
P: Donc c’est votre délai maximal. J’étais prêt à vous suivre, mais vous
avez ruiné tous mes espoirs en l’avenir, et ceux de ma chère enfant
(elle est là, c’est ma petite Bella). Elle n’a pas eu de chance, elle
n’a pas eu sa part du gâteau.
G: Oui, je pense que c’est horrible. Les jeunes sur la planète n’auront
pas la chance de vivre une vie épanouie, ni même de comprendre ce que
vivre veut dire.
P: Oui, et je n’ai même pas fini ma phrase : on n’a plus le temps. Donc
soit je devrais arrêter l’entretien et ne plus jamais vous parler, ou
alors continuer à parler, vu que ça ne sert à rien de parler à qui que
ce soit d’autre, vous voyez ?
G: Oui, je vois tout à fait.
P: Comment…
G: Et vous avez raison : ça ne sert à rien de discuter avec qui que ce
soit. C’est entre vous et moi.
P: Ok, juste une chose, Guy… Oh mon Dieu… Si les gens vous croient,
et pratiquement personne ne le fera, maintenant que vous avez annoncé
vos délais… Mais s’ils vous croyaient, comment feriez-vous pour éviter
qu’une vague de désespoir absolu déferle sur la planète ?
G: Je pense que l’espoir est une idée abominable. C’est se bercer
d’illusions. Permettez-moi de citer Nietzsche : « l’espoir est le pire des
maux, car il prolonge la souffrance de l’homme. » L’espoir et la peur sont
les deux aspects de « je ne connais pas l’avenir, je pense qu’il ne sera
pas terrible mais de toute façon je ne ferai rien ». L’espoir est une
mauvaise idée. Il vaudrait mieux l’abandonner et s’occuper plutôt de la
réalité. Vivons, plutôt que de rêver à un futur qui n’arrivera jamais.
P: Je suis content de ne pas bosser dans les voitures sans chauffeur,
parce que je croyais que ça, ça allait changer nos vies dans les dix ans
qui viennent. Bien fait pour eux…. (rires). Non mais j’ai mon
producteur… Faut qu’on enchaîne. On n’a pas besoin de faire quoi que ce
soit avec cette info, franchement. Et ces histoires de critères de
qualité des émissions, on s’en fout… Ok Guy, en ce qui concerne…
Parce que c’est ça que je dois savoir, et Bella aussi… Dans le
meilleur des cas, l’humanité en a pour combien de temps ?
G: Je ne m’avancerai pas. Je conseille aux gens de vivre pleinement dans
le temps qu’il nous reste, d’être là pour leurs proches et le reste de
ce qui vit sur la planète, mais je ne connais pas votre date de péremption.
P: Ok Guy, portez-vous bien… Mais à quoi bon… Merci d’avoir été avec
nous.
G: Merci, Paul.
P: Mais quand même, en deux mots. Ça me tombe dessus d’un coup, ces dix
ans. Ça aurait dû être dans mes notes [d’interview]. Vous êtes un expert…
G: Non, non, on n’a pas dix ans
P: Qu’est-ce que vous pensez de tous les autres experts qui semblent
penser que nous pouvons agir sur le changement et survivre ? Ce sont des
experts, eux aussi, ou en tous cas ils prétendent l’être.
G: Pour commencer on les paye, et donc ils ne présentent les
informations qu’à moitié. Personne ne veut rajouter la prise en compte
des rétroactions et de leurs conséquences. Et comme notre société est
concentrée sur la spécialisation, les spécialistes sont amenés à
comprendre un aspect ou l’autre du changement climatique. Des choses
comme l’obscurcissement de l’atmosphère ou la fonte des glaciers de
l’Arctique, l’albédo qui en découle ou le méthane. Personne ne fait la
synthèse de tout ça.
P: En gros, ils mentent. A eux-mêmes et au reste du monde.
G: Je ne veux pas utiliser le mot « mentir ». Je crois que c’est bien pire
que ça.
P: Guy, merci beaucoup d’avoir été avec nous. C’était Guy McPherson,
professeur émérite en ressources naturelles et biologie de l’évolution,
de l’université de l’Arizona.
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