Billet invité.
De sourde, la guerre qui oppose les magistrats brésiliens de l’enquête « lava jato » (lavage express) aux dirigeants politiques corrompus est brusquement devenue ouverte. Ces derniers font preuve ces jours-ci d’une extrême nervosité à l’approche d’un accord de collaboration entre la justice et les responsables du géant du BTP Odebrecht, dont le PDG est détenu en prison. Contre des remises de peine, ceux-ci seraient prêts à parler et à impliquer dans des délits de corruption des dizaines d’élus, qui cherchent à tout prix à arrêter l’enquête.
L’enquête Petrobras, du nom du géant brésilien de l’industrie pétrolière, a mis au jour l’existence depuis 2014 d’un vaste système de corruption s’appuyant sur une surfacturation systématique par les groupes du BTP des travaux de sous-traitance qui leur sont confiés, afin qu’ils financent les campagnes électorales des élus. Au Brésil, la liste de ceux qui ne font pas l’objet d’une enquête judiciaire ou ne sont pas inculpés pour des faits de cette nature est plus courte que celle de ceux qui le sont. Le nouveau président de la République Michel Temer ainsi que les présidents du Sénat Renan Calheiros et l’ancien président la Chambre des députés Eduardo Cunha – le tombeur de Dilma Rousseff qui est à son tour tombé – figurent en bonne place au palmarès des malversations. Plus que les affaires, la carrière politique est connue au Brésil pour être la plus lucrative.
Encouragée par le succès de sa mobilisation massive en faveur de la destitution de Dilma Rousseff, au prétexte d’un maquillage des comptes publics, l’opinion publique qui manifeste dans les grandes villes n’entend pas en rester là. Ulcérée par les mœurs de la classe politique, elle appuie les procureurs et les juges et veut éradiquer un mal longtemps accepté avec résignation. Des manifestations sont convoquées ce dimanche par le mouvement « Vem pra rua ! » (descends dans la rue).
Les députés ont en début de semaine pris l’initiative d’entamer ouvertement les hostilités en introduisant dans une loi anti-corruption, qu’ils ont par ailleurs dénaturée par de multiples amendements, une disposition prévoyant une peine de deux ans de prison en cas « d’abus d’autorité » des procureurs et des juges. Le message a été reçu et ceux-ci ont immédiatement dénoncé une mesure d’intimidation ayant pour but d’étouffer leurs enquêtes. L’équipe en charge de l’enquête Lava Jato a menacé de démissionner collectivement, si la loi était votée puis promulguée par le président. Dans la nuit même, le président du Sénat Renan Calheiros a tenté de passer en force en proposant de voter en urgence la proposition de loi controversée, qui avait été déjà votée le matin par les députés. Mais la majorité des sénateurs s’y est opposée.
Les députés avaient précédemment adopté une amnistie déguisée des financements occultes. Mais, face à la puissance des réactions sur les réseaux sociaux, le président de la République avait renoncé à la promulguer, l’annonçant dimanche dernier lors d’une conférence de presse improvisée avec les présidents de la Chambre des députés et du Sénat.
Les choses ne peuvent en rester là. La société brésilienne se trouverait face à un grand vide, si les réseaux de corruption qui gangrènent la société et impriment leur marque à la politique devaient être menacés, comment le combler ? Cela interviendrait dans le contexte d’une récession prolongée d’une ampleur jamais connue.
Le repli était de 3,8% du PIB l’année passée et pourrait encore être de 3,5% cette année. Comme mesure phare de son programme de redressement destiné à favoriser la relance, le gouvernement Temer prévoit de geler les dépenses publiques pendant 20 ans, ce qui impactera durement les secteurs de la santé et de l’éducation publique et compromettra le but recherché. Mais c’est l’heure du libéralisme triomphant. L’élan que connaissait le Brésil est brisé, atteint par la crise de ses débouchés, faute de s’être appuyé en priorité sur le développement du marché intérieur et la résorption des inégalités.
La réponse est ici : entre Avranches et Granville.