L’Amérique du repli repose sur une vision du XIXe siècle
Donald Trump a en matière d’économie des vues très semblables à celles qu’il entretient sur l’immigration : bâtir un mur gigantesque.
Dans le cas de l’immigration le mur ferait 3.201 kilomètres : la longueur de la frontière commune des États-Unis et du Mexique, dans le cas de l’économie, il serait aussi long que le pourtour du pays.
Une seule philosophie sous-tend tout ceci : maintenir à l’intérieur du pays les emplois qui s’y trouvent, et si possible en créer de nouveaux. Pour cela il faut empêcher les entreprises de se délocaliser, empêcher les marchandises étrangères bon marché d’envahir le pays, interdire à la main d’oeuvre étrangère d’entrer, et chasser celle qui serait entrée par effraction.
Donc, décourager par des lois ou des taxes prohibitives les entreprises américaines qui songeraient à s’expatrier, rénover entièrement l’infrastructure du pays – par l’initiative privée bien entendu – pour créer de nouveaux emplois, déporter les immigrants illégaux, dénoncer les grands traités commerciaux qui, en établissant une politique générale du moins-disant salarial, fiscal et juridique, drainent les emplois là où ils sont meilleur marché, établir des traités bilatéraux éliminant les tarifs douaniers en échange d’avantages mutuels équilibrés.
Tout cela a pour nom souverainisme et son ennemi est la mondialisation.
Il n’y a là rien de ridicule et le monde fonctionnait de cette manière au début du XIXe siècle. Mais qu’en est-il aujourd’hui ?
Prenons le cas de grands travaux financés non pas par l’État mais par le privé. Paradoxalement peut-être si l’on s’en tient à quelques clichés sur les États-Unis, le projet serait a priori davantage viable en France que là-bas. Le système des highways compte 253.000 km, dont 10.000 seulement sont des autoroutes à péage, soit 4% seulement du total, et l’Américain est réticent de notoriété publique devant la perspective de payer pour avoir le droit d’être au volant. Mais soit, les moeurs évoluent.
Pensons maintenant à l’idée de conserver les emplois en empêchant les entreprises de partir et en érigeant des barrières au libre-échange. Un article publié en janvier de cette année (*) procure des chiffres révélateurs à ce sujet. Les États-Unis auraient ainsi perdu dans leurs échanges avec la Chine, sur la période 1999 à 2011, entre 2 et 4 millions d’emplois. 40% des postes perdus dans l’industrie du meuble américaine le furent en raison de la mondialisation et, dans le secteur du textile, le chiffre monte à 45%. Faits qui semblent justifier le projet de muraille infranchissable. Si ce n’est que lorsque le calcul est fait sur l’ensemble des emplois perdus dans le secteur industriel américain, le commerce international ne rend compte que de 13% des emplois perdus, les 87 autres pour-cent étant dus à une augmentation de la productivité, entendez à la robotisation et à la logiciélisation. Quelle devrait être la hauteur du mur qui empêchera la courbe de la mécanisation de poursuivre son progrès exponentiel ?
Bien d’autres points devraient être mentionnés qui mettent à mal la représentation 1850 de l’économie qu’entretient M. Trump. Ignore-t-il, partisan qu’il est d’une balance commerciale à nouveau équilibrée, qu’un déficit commercial est la condition à remplir par les États-Unis s’ils veulent que le dollar conserve son statut de monnaie de référence ? À moins que son Amérique du repli veuille mettre fin à ceci aussi ? Ignore-t-il que le carry trade se poursuivra tant que les capitaux spéculatifs seront autorisés à quitter un pays où les taux sont faibles parce que l’économie est en petite forme pour aller drainer les rentes d’une économie florissante ? À moins qu’il n’entende interdire la spéculation bien entendu. Les ténors de Wall Street dont il semble vouloir garnir son futur gouvernement apprécieraient certainement.
(*) Daron Acemoglu, David Autor, David Dorn, Gordon H. Hanson, Brendan Price, « Import Competition and the Great US Employment Sag of the 2000s », Journal of Labor Economics, Vol. 34, No. S1 (Part 2, January 2016), pp. 141-198.
Des airs de côte léonarde, vers Roscoff, Santec. En écho à la référence aux lointains ancêtres, la montée du niveau…