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Un extrait de Se débarrasser du capitalisme est une question de survie, à paraître chez Fayard en mars 2017
Que faire maintenant ? Mettre en place les éléments d’une transition vers un socialisme authentique, dont les linéaments surgissent paradoxalement aujourd’hui à l’occasion de l’élection présidentielle en France.
Voici les sept ingrédients d’un programme authentiquement socialiste.
1° Faire de l’État-providence une institution irréversible et intangible, en tranchant la dépendance qui le lie aujourd’hui à la croissance et subordonne son existence aux caprices de celle-ci.
2° Casser la machine à concentrer la richesse qui conduit aujourd’hui 62 personnes à disposer d’un patrimoine équivalent à celui de la moitié la moins riche de l’humanité : 62 d’un côté, alors que 3,5 milliards, cela représente 3,5 x 1.000 x 1.000 x 1.000 êtres humains, ce qui – on en conviendra – dépasse l’imagination !
3° Promouvoir la gratuité pour tout ce qui fait partie de l’indispensable (alimentation, santé, éducation, vêtement, logement), comme le proposait déjà un prestigieux aîné : distinguer le nécessaire du superflu, et les faire relever de deux régimes économiques distincts. Dans son discours sur « les subsistances » (1792), Maximilien Robespierre posa la question suivante : « Quel est le premier objet de la société ? » Et il répondait :
« C’est de maintenir les droits imprescriptibles de l’homme. Quel est le premier de ces droits ? Celui d’exister. La première loi sociale est donc celle qui garantit à tous les membres de la société les moyens d’exister ; toutes les autres sont subordonnées à celle-là ; la propriété n’a été instituée ou garantie que pour la cimenter ; c’est pour vivre d’abord que l’on a des propriétés. Il n’est pas vrai que la propriété puisse jamais être en opposition avec la subsistance des hommes. Les aliments nécessaires à l’homme sont aussi sacrés que la vie elle-même. Tout ce qui est indispensable pour la conserver est une propriété commune à la société entière. Il n’y a que l’excédent qui soit une propriété individuelle et qui soit abandonnée à l’industrie des commerçants. […] Quel est le problème à résoudre en matière de législation sur les subsistances ? Le voici : assurer à tous les membres de la société la jouissance de la portion des fruits de la terre qui est nécessaire à leur existence, aux propriétaires ou aux cultivateurs le prix de leur industrie, et livrer le superflu à la liberté du commerce. Je défie le plus scrupuleux défenseur de la propriété de contester ces principes, à moins de déclarer ouvertement qu’il entend, par ce mot, le droit de dépouiller et d’assassiner ses semblables » (Maximilien Robespierre, « Les subsistances » [1792], in Robespierre : entre vertu et terreur, Slavoj Zizek présente les plus beaux discours de Robespierre, Paris : Stock, 2007: 144-145).
4° Remettre en question la définition comptable traditionnelle mais néanmoins arbitraire des salaires comme « coûts pour l’entreprise », coûts qu’il s’agit bien entendu de réduire autant que possible, alors que les dividendes accordés aux actionnaires et les bonus – souvent extravagants – accordés à la direction, sont eux autant de « parts de bénéfice », dont chacun sait qu’il faut chercher à les maximiser à tout prix. Les « avances », comme s’exprimaient les économistes d’autrefois, sont bien évidemment aussi indispensables les unes que les autres à la bonne marche de l’entreprise, et les avances en travail au même titre que celles en capital ou en direction / supervision de la bonne marche des affaires.
5° Imposer le travail des machines, robots ou logiciels, en lui appliquant le même barème que celui qui vaut pour les êtres humains qu’ils remplacent. Le gain de productivité apporté par la machine est visible aussi longtemps qu’elle travaille au côté d’un être humain, mais aussitôt qu’elle le remplace purement et simplement elle cesse d’être visible : l’être humain qu’elle complétait autrefois a disparu, tandis qu’elle travaille désormais dans l’ombre, sa valeur ajoutée étant absorbée dans des chiffres statistiques globaux, sans être comptabilisée en tant que gain de productivité. Les sommes récoltées par l’imposition de la machine refléteront les gains pour l’humanité dans son ensemble dus à la mécanisation ; ils pourront être mis au service du financement pour tous de la gratuité sur l’indispensable. Il s’agira là pour ces sommes d’un bien meilleur usage que le financement d’une allocation universelle, dont le montant quel qu’il soit serait aisément capturé par le système financier ambiant. Ainsi, pour rappeler une actualité récente, lorsque les États-Unis s’efforcèrent en 2009 de relancer le secteur du bâtiment en allouant une somme de 4.000 € aux ménages accédant pour la première fois à la propriété de leur logement, le prix de l’immobilier résidentiel américain bondit immédiatement de ce même montant.
6° Restaurer l’interdiction de la spéculation au sens purement technique du terme de « paris sur les mouvements à la baisse ou à la hausse des titres financiers », telle qu’elle était en vigueur en Suisse jusqu’en 1860, en Belgique jusqu’en 1867 et en France jusqu’en 1885. Les gigantesques flux financiers qui sont aujourd’hui divertis de l’économie réelle par le biais de la spéculation retrouveraient ainsi leur véritable destination. Le risque systémique considérable créé par elle – les spéculateurs ne disposant très souvent pas des sommes qu’ils sont prêts à parier, et donc à perdre – serait ainsi automatiquement éliminé.
7° Faire de l’euro l’embryon d’un nouveau système monétaire international, en remplacement de celui né à Bretton Woods dans le New Hampshire en 1944 et mort en 1971 dans les soubresauts d’une guerre du Vietnam excédant les capacités budgétaires des États-Unis. Depuis 1971, le monde vit dans un dés-ordre monétaire international, que l’invention des produits financiers dérivés (sous la forme initiale du swap de change) n’est pas parvenue à corriger.
Les éléments d’une telle transition sont les suivants :
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Mettre en place un système fiscal unique pour les 19 pays de la zone euro. Non pas sous la forme grotesque prônée par M. Moscovici, d’un « calcul » unique mais autorisant toujours chacune des nations à saboter les efforts des autres en matière de justice fiscale en pratiquant de son côté le moins-disant fiscal.
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Clore les systèmes nationaux d’émission de dette souveraine et mutualiser la dette, pour éliminer de cette façon le facteur déséquilibrant la zone euro dans son ensemble que sont les primes de risque de crédit et de risque de retour à l’ancienne monnaie incluses dans le coupon des obligations émises aujourd’hui par chacune des nations membres.
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Transformer le système européen Target 2 de paiements interbancaires en un authentique système de règlement incluant un rééquilibrage annuel entre nations, à l’instar de l’Interdistrict Settlement Account (ISA) américain qui lui a servi de modèle mais dont il n’a reproduit qu’incomplètement la fonctionnalité : retenant sa logique comptable, mais ignorant sa capacité au rééquilibrage par une remise périodique des compteurs nationaux à zéro.
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Aider les économies nationales à l’intérieur de la zone euro à réaliser un équilibre de leurs échanges pour qu’elles ne soient ni importateur net (important davantage qu’elles n’exportent), ni exportateur net (exportant davantage qu’elles n’importent), par un système d’encouragement et éventuellement de découragement, à l’instar de ce que Keynes préconisait pour le système monétaire international adossé au bancor dans la proposition qu’il en fit au nom de la Grande-Bretagne en 1944 à Bretton Woods. Dans ce cadre, les échanges d’invectives entre l’Allemagne et la Grèce, tels ceux dont nous fûmes les témoins de 2010 à 2013, seraient caducs.
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Interdire le mouvement des capitaux spéculatifs à l’intérieur de la zone euro et à ses frontières.
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