Billet invité.
L’élection de Donald Trump aux Etats-Unis est-elle la preuve que la démocratie conduirait inexorablement les sociétés vers l’obscurantisme, la majorité tirant toujours vers le bas ?
Ce constat m’a interpellée tant il est vrai que les événements politiques et économiques de ce début de XXIème siècle me désespèrent au regard d’un XXème siècle sanglant et destructeur qui avait fait croire à la génération des trente glorieuses que nous pouvions espérer changer le monde.
C’est pourquoi je reviens sur cette notion d’obscurantisme, que j’ai reliée aussitôt à la question des « goûts et des couleurs ».
Quel rapport me direz-vous ? J’y viens.
Il est tout à fait habituel de penser que les « goûts et les couleurs » ne se discutent pas et ça ne choque absolument personne lorsque que tel ou tel affirme de manière péremptoire : je n’aime absolument pas cette couleur, ou bien j’adore cette musique, ou bien je déteste cette œuvre d’art (surtout contemporaine, quelle horreur !), et que notre avis personnel soit LA référence. Le champ artistique est le lieu de prédilection des affirmations de l’individualisme intempestif car il fait soi-disant appel à une sensibilité personnelle (sortie d’on ne sait où : du ventre de sa mère en même temps que soi sans doute), laquelle sensibilité serait distincte de notre personnalité et ne serait donc pas construite des mêmes influences psychologique, économique, sociologique ou politique : une sensibilité personnelle ex nihilo.
Et comme il est également tout à fait habituel de penser que le champ artistique ne s’explique pas (qu’est-ce que l’art ?) chacun se sent soudain autorisé à exprimer son… obscurantisme en toute impunité, en toute inculture, dans la toute puissance de sa sensibilité personnelle.
Imaginez une minute que l’on demande démocratiquement l’avis de chaque personne d’une assemblée pour choisir les couleurs de la salle de réunion dans laquelle ils se réunissent habituellement : une fois supprimées les couleurs de ceux qui ont dit « oh mais moi je déteste le jaune, le bleu, le vert… etc. », que reste-t-il ? Quelle couleur va les mettre d’accord entre eux ? Eh bien j’en ai fait l’expérience et c’est le marron qui gagne. Est-ce que c’est la couleur de la médiocrité ? Ou bien est-ce que c’est le mélange des goûts et des couleurs qui donne un si piètre résultat? Est-ce que ce serait la couleur de la démocratie ?
On a souvent envie de dire « fuck la démocratie, maintenant c’est moi qui choisis la couleur ! » et de ce fait, de se placer « au-dessus » de la démocratie, « en amont », afin de se sortir des non-choix collectifs qui tirent les résultats vers le bas.
Mais que se passe-t-il donc exactement à ce moment là ? Je reviens sur la question des goûts et des couleurs : lorsqu’un tel me dit « je n’aime vraiment pas le jaune ! » je lui demande si il n’aime pas les boutons d’or ni le soleil ? Lorsqu’un autre me dit « je n’aime pas le bleu ! », je lui réponds « ni le bleu du ciel et de la mer ? ». Lorsqu’un dernier me dit « je n’aime pas le vert ! », je le plains de ne jamais pouvoir aller à la campagne. Il en va de même pour tous les goûts et les couleurs : tout dépend du point de vue dans lequel on se place. Si l’on se place du point de vue de sa soi-disant sensibilité personnelle ce n’est pas la même chose que si l’on s’intègre pleinement au monde en tant que partie d’un tout. Et quelle plus belle expérience que celle de participer à un projet collectif où chacun met sa sensibilité personnelle au service de ce projet !
Je retourne dans ma salle de réunion et, non, décidément, le marron ne convient finalement à personne. Comment faire autrement et mieux ? Et si l’on imaginait un projet commun où chacun puisse mettre sa sensibilité personnelle au service du projet. C’est alors qu’ayant convenu que cette salle était un lieu d’échange et de partage, nous avons additionné les couleurs « préférées » de chacun, sans les mélanger mais en les juxtaposant pour en faire un motif de rayures colorées à la Bridget Riley.
Il en va de même en politique où choisir son représentant en fonction de ses intérêts personnels sans les relier au projet collectif d’une société ne peut pas aboutir.
La démocratie est un projet collectif. C’est quand il n’y a plus de projet collectif qu’apparaissent la médiocrité individuelle et la couleur marron qui éteint toutes les couleurs.
Il n’y a pas de niveau plus élevé que la démocratie où les choses seraient censées se décider : le niveau où se situe le pouvoir est issu de la démocratie mais a perdu en chemin son projet collectif.
Merci beaucoup, Cloclo, cela me permet de suivre la question, la discussion. L’image de cette courbe « attendue » de l’intelligence humaine…